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Gestion de crise : l’approche de CMP Solutions Mécaniques Avancées

En 2001, CMP Solutions Mécaniques Avancées perd son client principal, Nortel, qui lui procure alors 70 % de ses revenus, et se redresse de cette situation critique. En 2008, l’entreprise, dont la clientèle maintenant diversifiée est principalement américaine, fait de nouveau face à une crise et adopte des stratégies innovatrices pour surmonter la tourmente.

25 février 2009
Michel Labrecque, CRHA

Avec un chiffre d’affaires d’environ quatre-vingts millions de dollars canadiens et exportant 90 % de sa production aux États-Unis, CMP est un chef de file reconnu et spécialisé en solutions sur mesure pour boîtiers métalliques et usinage de précision. L’entreprise familiale compte près de cinq cent cinquante employés non syndiqués répartis dans trois usines dont deux sont situées sur le territoire américain, l’une dans l’État de New York et l’autre en Caroline du Nord.

L’usine principale et le siège social de CMP sont situés à Châteauguay où travaillent environ deux cent soixante-quinze employés non syndiqués.

Difficultés actuelles
Après un mois record de production en octobre 2008, un ralentissement soudain du rythme d’entrée des commandes s’est manifesté au début de novembre. L’entreprise attribue ce revirement de situation à la crise économique qui affecte durement nos voisins du sud. Ses clients, principalement américains, ont réduit sensiblement leurs commandes. À titre d’exemple, le chiffre d’affaires de l’usine de Binghamton (New York) a diminué de 70 % en raison de l’arrêt d’activité temporaire d’un client majeur.

Facteurs de succès de la stratégie de crise
Face à des choix difficiles, CMP s’est donné les objectifs suivants :

  • conserver les employés clés pour rebondir rapidement et efficacement après ce ralentissement;

  • faire le maximum pour minimiser l’impact de cette crise sur la main-d’œuvre;

  • réduire les dépenses d’exploitation dans le but de maintenir un minimum de profitabilité.

L’entreprise a également retenu de sa mésaventure économique de 2001 d’importants principes de gestion de crise qui ont fait leurs preuves et qui guident à nouveau son approche et ses choix. Parmi ces facteurs de succès, citons entre autres :

  • la communication aux employés qui constitue un élément critique en situation de crise : au quotidien, ce sont les supérieurs immédiats qui agissent comme courroie de transmission;

  • la visibilité quotidienne des membres de la direction qui appuient et renforcent les communications des superviseurs;

  • l’adoption d’une approche par phase qui permet d’ajuster les mesures à prendre en fonction d’une réalité évolutive et parfois ponctuée d’événements soudains et imprévus;

  • la prise en charge, par les membres de la direction, de la communication à tous les employés en assemblée, lorsque les mesures prises doivent être modifiées (changement de phase);

  • les mises à pied et terminaisons d’emploi massives qui sont des solutions de dernier recours lorsque des réductions de coûts s’imposent, comme l’a décrété le président;

  • le respect accordé aux employés et la transparence de la direction et du personnel de gestion à leur égard, qui préservent et intensifient leur
    engagement envers l’entreprise.
Solutions retenues
CMP en est au tout début de la deuxième phase de la gestion de crise. Parmi les solutions initialement retenues, la mise à pied de la main-d’œuvre temporaire et contractuelle. L’entreprise a aussi réévalué les dépenses d’exploitation telles que : heures supplémentaires, déplacements d’affaires, service d’entretien ménager, paie à la quinzaine, utilisation de l’énergie et autres coûts inhérents à la production. Au total, l’ensemble des mesures de réduction des coûts qui n’affectent pas la main-d’œuvre permanente a permis à l’organisation de préserver l’équivalent de soixante-quatre postes. Elle a dû malgré tout procéder à la mise à pied de quelques personnes occupant des postes non essentiels.

Par la suite, un processus de communication a été implanté afin d’informer les employés sur la situation, sur les actions déjà entreprises pour y remédier et sur les mesures à envisager. Par la suite, une demande de travail partagé, qui avait obtenu l’assentiment de tous les employés, a été adressée au gouvernement fédéral. De plus, l’entreprise a décrété un arrêt de deux semaines de ses activités durant la période des Fêtes. Chaque employé a pu choisir son mode de rémunération pour cette période de fermeture : utilisation des jours de congé pour affaires personnelles, utilisation des jours de vacances accumulés, prise des vacances 2009 par anticipation et, finalement, congé sans solde. Enfin, on a aussi parlé de la possibilité du gel des augmentations salariales prévues pour 2009.

Le tableau suivant identifie un bon nombre de solutions possibles à envisager en cas de crise. Plus bas : les actions entreprises à ce jour pour faire face à la situation et une liste des mesures potentielles qui seront évaluées selon les circonstances et la dégradation des événements.

Phase
d’ajustement
Actions entreprises après la chute des télécoms en 2001
1. Janvier 2001
Réduction du personnel temporaire.
Réduction des heures supplémentaires.
2. Février 2001
Formation multidisciplinaire.
Campagne de sensibilisation et de réduction des fournitures.
Rupture de contrats de service en sous-traitance.
Rapatriement de la sous-traitance des produits.
3. Mars 2001
Réalignement de la stratégie ventes et marketing.
Programme de réduction des coûts des matières premières.
4. Mai 2001
Mise en place du programme CMP Solution : 130 employés mis à pied temporairement à 90 % du salaire.
Formation intensive de l’équipe des ventes.
Introduction des nouveaux produits.
5. Juillet 2001
50 employés de plus sont mis à pied à 90 % du salaire.
Quelques rappels sont effectués pour pourvoir des postes clés.
Formation intensive sur les nouveaux produits.
6. Septembre 2001
Premières mises à pied permanentes (50 salariés).
Le programme CMP Solution remplace désormais 70 % du salaire des employés mis à pied temporairement.
7. Novembre 2001
Mise à pied permanente de 70 salariés.
Réduction des salaires sur une base volontaire.
Réduction des avantages sociaux.
Fin du programme CMP Solution.
8. Janvier 2002
Relance des activités.
Réembauche et embauche rapide.
 
Phase
d’ajustement
Actions entreprises après l’effondrement global de l’économie en 2008
1. Décembre 2008
Réduction du personnel temporaire.
Réduction des heures supplémentaires.
Mise sur pied d’un comité incluant un représentant des employés.
Communication aux employés des mesures déjà prises et des mesures anticipées.
Fermeture temporaire pour une période de deux semaines pendant les Fêtes. Compensation grâce aux vacances en réserve et à la permission d’utiliser par anticipation les vacances de 2009.
Mise à pied d’employés à des postes non essentiels.
Soumission d’une demande de travail partagé auprès de la DRHC.
2. Janvier 2009
Déploiement du programme de travail partagé.
 
Date et séquence
à déterminer
Autres mesures à envisager si la situation continue à se détériorer
Impact moins
important

 

 

 

 

 

 

 

 


Impact maximal
pour les employés

Transfert de production provenant des autres usines.
Offre de préretraite aux employés.
Réduction de l’horaire de travail sur une base volontaire.
Incitation à la prise des vacances.
Autorisation d’absence sans solde.
Gel des salaires en 2009.
Fermeture d’usine pour un certain nombre de semaines.
Mutation du personnel de bureau à des postes d’usine.
Affectation de ressources dans des entreprises qui fonctionnent selon les principes du Lean Manufacturing (pour transfert d’expertise).
Partage de ressources avec des entreprises en recherche de main-d’œuvre spécialisée.
Réduction des salaires.
Terminaisons d’emploi avec primes de séparation.
Réduction des heures de travail sans soutien du gouvernement.

Impacts et gains anticipés

Même si les conditions et les causes de la crise économique globale de 2008 sont très différentes de celles qui ont occasionné les difficultés vécues chez CMP en 2001, l’entreprise croit que le respect des principes qui l’ont si bien servie dans un passé encore récent lui permettra de rassurer ses employés en limitant au maximum les impacts négatifs pour eux tout en maximisant ses chances d’atteindre ses objectifs d’attraction et de fidélisation des talents, dans des jours meilleurs.

Leadership et communication
Comme en tout autre situation de crise, il y a des pièges à éviter… En voici quelques-uns :

  • attendre que la pression monte et que quelqu’un d’autre prenne une décision radicale et irréversible;

  • jouer à l’autruche en espérant que le temps arrange les choses;

  • se limiter à une seule solution ou à une approche traditionnelle;

  • ne pas tenir l’ensemble des employés au courant de la situation et ignorer leurs idées;

  • ne pas considérer les possibles impacts négatifs des solutions retenues;

  • se limiter à ne considérer que les impacts financiers;

  • déléguer à leurs superviseurs tous les aspects de la communication aux employés;

  • ne pas partager la « douleur » associée aux mesures retenues de façon équitable entre les divers groupes d’employés (par exemple, usine, bureau et direction;

  • ne pas donner de choix aux employés lorsqu’il est possible de le faire.

Lors d’une crise, le service des ressources humaines doit s’imposer et faire preuve de leadership afin d’être en mesure d’influencer les décisions des membres de la direction. Il doit aussi savoir les sensibiliser à l’impact possible des actions retenues tant sur la main-d’œuvre que sur l’entreprise.

Dans de telles circonstances, le gestionnaire des ressources humaines doit innover et être en mesure d’assumer certains risques. Mais devant la difficulté à évaluer avec précision l’ensemble des résultats et conséquences liés aux approches moins traditionnelles de gestion de crise économique, plusieurs se limitent plutôt à faire des mises à pied accompagnées de primes de séparation.

La communication est la pierre angulaire du succès et, de ce fait, la direction de l’entreprise doit être en mesure de donner l’heure juste et faire preuve de transparence en tout temps.

Lorsque c’est possible, les employés sont appelés à faire des choix personnels en rapport avec l’instauration de certaines mesures (par exemple le choix du type de rémunération lors de la fermeture temporaire de l’usine).

Finalement, l’engagement de la direction est essentiel et chacun de ses membres doit démontrer un leadership de tout premier ordre en évitant de déléguer des tâches difficiles aux superviseurs de premier niveau. Les employés doivent se sentir appuyés dans cette période empreinte d’incertitude et d’insécurité et avoir l’occasion de parler de leurs craintes directement avec les décideurs.

Résultats des stratégies adoptées lors de la crise de 2001
  • Le taux de roulement des employés clés a été limité à 1 %.

  • Il n’y a eu ni vandalisme, ni sabotage.

  • Le climat de travail est toujours demeuré positif.

  • Lors d’un sondage auprès des employés sur leur satisfaction concernant la gestion de la crise, CMP a obtenu un taux de 98 %.

  • Au cours de la période de relance, les employés ont réintégré le travail à 24 heures d’avis.

  • Globalement, la perception quant à la crédibilité et au leadership de toute l’équipe de direction a atteint un sommet.

  • L’influence et le leadership exercés par les gestionnaires des ressources humaines dans l’ensemble du processus ont été largement reconnus et célébrés. C’est ainsi qu’en 2002, CMP s’est vu décerner un prix IRIS par l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés pour sa gestion réussie de cette crise.

Michel Labrecque, CRHA, vice-président, ressources humaines, et Danielle Lapointe, CRHA, conseillère principale, ressources humaines, CMP Solutions Mécaniques Avancées

Source : Effectif, volume 12, numéro 1, janvier/février/mars 2009.


Michel Labrecque, CRHA