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Et si le leadership horizontal était bon pour la santé!

Dans plusieurs organisations, le leadership est en train de se transformer. De plus en plus, on y voit des leaders officiels partager leurs responsabilités avec des leaders ponctuels.

7 juillet 2014
Claude Mignault | Catherine Privé, CRHA

Que ce soit grâce à leur expertise, à leur crédibilité ou encore par reconnaissance, certains leaders ponctuels peuvent prendre le leadership de l’équipe en guidant et en orientant les actions des autres. On voit donc émerger ce que Rune Kvist Olsen a nommé le leadingship dans son ouvrage A Change from Leadership (vertical power structure) to Leadingship (horizontal power structure) at Work. L’essence du leadingship est qu’il permet aux gens d’être autonomes et de devenir des leaders dans leurs propres domaines d’expertise, permettant ainsi à chacun de contribuer selon leurs compétences. De fait, on considère maintenant que certaines personnes ont le talent nécessaire à la réalisation de certains projets hors de leur champ de responsabilité et que cela peut être utile à l’organisation.

Le leadership horizontal se manifeste donc par le partage du leadership entre les membres d’une équipe. Suivant les dossiers, les sujets ou les projets, le leadership est accordé à celui ou à celle qui possède la compétence ou la légitimité pour l’assumer. De plus, le leadership horizontal est de type collaboratif en ce qu’il amène les gens à agir de concert plutôt qu’à miser sur les directives formelles. Les membres de l’équipe sont en mouvement et décident ensemble. Cette forme de leadership s’applique particulièrement bien à des contextes de créativité et d’innovation où on a tout avantage à ce que tous soient mis à contribution, et plus particulièrement dans leur zone de talent.

La venue des jeunes travailleurs n’est certes pas sans lien avec cette transformation du leadership. S’ils influencent la notion de leadership, c’est qu’ils semblent plus engagés à l’égard de leur équipe qu’envers leur supérieur immédiat. Ils sont affectés davantage par la crédibilité qu’ils accordent aux individus que par le lien d’autorité qui les unit.

Il est intéressant de constater que le leadership horizontal contribue au maintien de trois des dimensions essentielles au bien-être psychologique : l’autonomie, la reconnaissance et l’épanouissement. Dans le même sens, il pourrait diminuer le sentiment de sous-utilisation du potentiel vécu par un nombre considérable d’employés.

Un exemple de leadership horizontal
Les pratiques de gestion implantées chez Lab-Volt ltée, entreprise reconnue mondialement comme un important fabricant de matériel technico-pédagogique, illustrent bien l’effet du leadership horizontal sur le bien-être et la santé psychologique. La filiale canadienne de la société Lab-Volt est située à Québec.

Les équipements Lab-Volt, vendus partout dans le monde, sont utilisés dans les universités, les écoles et lycées techniques, les collèges, et les centres de formation professionnelle. Tous les systèmes sont supportés par des manuels en français, en anglais ou en espagnol et conçus pour s’adapter à des besoins spécifiques tels que la formation militaire. Par exemple, le système de radar analogique et numérique permet une démonstration sécuritaire, en temps réel, des applications spécifiques de guerre électronique. Les programmes de formation Lab-Volt sont basés sur un apprentissage progressif et amènent l’étudiant, étape par étape, des principes de base à un niveau élevé de compétence.

L’usine Lab-Volt de Québec, composée de 200 salariés, dont 120 à la production, a une culture de partage et de travail d’équipe. À cet égard, à l’embauche de nouveaux employés, deux critères sont scrutés pour cibler les nouveaux collaborateurs : l’ouverture d’esprit et la polyvalence. Dans cette usine, les employés sont appelés à changer régulièrement de poste de travail pour supporter les besoins de production.

Devant un défi de croissance en 2006, Lab-Volt a su revoir ses modes de fonctionnement pour passer d’une production « en lot » à une production « juste-à-temps ». Ce changement a nécessité la révision des bases du travail en équipe. Pendant cette période, un comité de travail a été formé pour réfléchir à des stratégies qui pourraient répondre aux besoins des employés. Il faut mentionner que plusieurs demandes de conciliation travail/famille, de congés supplémentaires, d’aménagement d’horaire étaient formulées au même moment. Ce comité a donc proposé la mise sur pied d’horaires variables. Ce n’est pas sans crainte que la direction générale a accepté cette proposition, mais pour une durée déterminée, de manière à en évaluer les retombées. L’entente était que la flexibilité des horaires ne devait en aucun cas nuire à la production et à l’atteinte des objectifs. Désireux que cette mesure tienne dans le temps, les employés se sont prévalus de ces horaires en se responsabilisant et en assurant l’atteinte des résultats visés.

Depuis ce temps, les postes de chef d’équipe ont disparu, les horaires flexibles sont maintenus (horaire entre 20 et 40 heures/semaine au choix, début et fin de travail variables, réduction ou compression de la semaine de travail, temps reporté ou autre selon le besoin spécifique de l’employé) et les employés gèrent de façon autonome leur production et leurs heures de travail. Le leadingship dans les équipes émerge selon les besoins opérationnels et les défis. La production se fait par centres de travail et les équipes varient de trois à cinq personnes. Les équipes reçoivent leurs objectifs hebdomadaires et quotidiens. Chaque centre de travail peut observer le travail des autres et l’avancement de la production. Ainsi, les équipes qui terminent plus rapidement leurs tâches sont invitées à aller aider les autres centres de travail. Les leaders informels ont pris les responsabilités liées à la transmission d’information, à la tenue de réunions éclairs et à la prise de décision liée à leur centre de travail. Pour ce qui est de la gestion des priorités et de la planification des vacances, le leadership est assumé par l’équipe.

Chez Lab-Volt, la hiérarchie étant pratiquement inexistante, les délais d’approbation et de décision sont minimes. Un des principes intéressants de la culture d’entreprise est que les dirigeants sont au service des employés. En fait, c’est le principe de la pyramide inversée qui favorise l’élimination des délais et la création de valeur ajoutée.

Avec ce leadership horizontal qui favorise l’utilisation des talents et la collaboration active, il n’est pas rare que les heures de production soient complétées avant le vendredi midi. Ainsi, les objectifs organisationnels sont atteints et les employés bénéficient d’horaires leur permettant de concilier travail et vie personnelle. On constate plusieurs bénéfices liés à ce style de gestion et à la mise en place d’initiatives de flexibilité.
En premier lieu, le climat de travail s’est grandement amélioré, les employés sont heureux et fiers de travailler chez Lab-Volt. Le nombre de demandes de congé et l’absentéisme ont par le fait même diminué, puisque les employés ont la latitude d’organiser leur propre horaire de travail. La capacité d’attraction de l’entreprise a nettement augmenté depuis la mise en place de ces mesures.

En contrepartie, Lab-Volt exige un haut niveau de responsabilisation individuel. Aucune décision personnelle ne peut être prise sans d’abord en valider les impacts avec les membres de l’équipe. « Avec une grande liberté d’action viennent de grandes responsabilités ». Les employés qui ont leur place chez Lab-Volt sont ceux qui s’y investissent comme si c’était leur propre business.

Effets sur la santé psychologique
Trois dimensions du bien-être et de la santé psychologique au travail sont observables dans l’illustration de Lab-Volt, usine de Québec. D’abord, l’autonomie. Les employés se sentent responsables de l’atteinte des objectifs de leur centre de travail, voire de celui des autres. En ayant l’information nécessaire telle que les objectifs à atteindre, le minimum et le maximum d’heures de production à faire par jour, la disponibilité des pièces ainsi que la force de travail disponible dans l’usine, les employés peuvent prendre des décisions efficaces. De plus, ils sont autonomes dans le choix de leur horaire et de leurs vacances, ce qui contribue à accroître leur sentiment d’efficacité personnelle pour organiser leur vie et à diminuer les conflits de rôles personnels et professionnels.

En second lieu, la reconnaissance est très présente puisque chaque employé se concentre sur ses talents et que ses collègues lui accordent du leadership situationnel. Maintenant, les employés ne cherchent plus qui est leur patron, mais plutôt qui est la bonne personne pour les guider dans telle ou telle situation.

Enfin, l’épanouissement permet aux membres des équipes de prendre conscience de leurs forces et de leur contribution à la réussite collective.

En conclusion...
Une question reste en suspens : la mise en place d’initiatives qui favorisent le leadership horizontal nécessite-t-elle du courage managérial? Il faut que les leaders formels soient prêts à partager leur leadership avec les membres des équipes. De plus, ce style de leadership suppose que certaines pratiques organisationnelles soient repensées. Pensons par exemple à la planification stratégique, au recrutement et à l’évaluation du rendement.

Pour le professionnel en ressources humaines, il est pertinent de réfléchir aux meilleures façons de conseiller ses clients internes ou externes sur l’implantation de pratiques de gestion et initiatives organisationnelles qui leur permettront d’améliorer le bien-être psychologique au travail et l’impact du leader sur la santé de son organisation. Pour ce faire, il devra faire une lecture juste de la culture organisationnelle et bien évaluer la maturité du leadership à l’interne de l’entreprise. Il est évident que, pour réaliser ce genre d’initiative, il devra bien s’aligner sur les enjeux d’affaires de l’entreprise pour ainsi obtenir le soutien de la direction générale. De plus, les mécanismes de déploiement ou d’implantation des nouvelles initiatives devront impliquer les acteurs concernés pour qu’ils se sentent concernés par le projet. De cette manière, le professionnel en ressources humaines pourra assumer pleinement son rôle de partenaire stratégique et avoir l’impact souhaité sur ces transformations organisationnelles.

Catherine Privé, CRHA, MAP, présidente, Alia Conseil
Claude Mignault, directeur des services administratifs, Lab-Volt

Source : Effectif, volume 17, numéro 3, juin/juillet/août 2014.


Claude Mignault

Author
Catherine Privé, CRHA Présidente et chef de la direction Alia Conseil

Catherine Privé est présidente et cofondatrice d’Alia Conseil depuis 30 ans. Elle guide la firme vers l’innovation, en s’appuyant sur les tendances et les meilleures pratiques pour maintenir son excellence et sa position de référence en développement organisationnel au Québec.