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Crise économique et réorganisation des ressources : comment atténuer le choc et préparer la relance?

En cette période de turbulences économiques, les gestionnaires font face à un important défi : pallier la baisse de travail et la contraction des ressources tout en préparant la relance et les besoins futurs de l’entreprise.

12 mai 2009
Pierre Pilote, CRIA, et Myriane Le François

Dans ce contexte, maintenir l’équilibre s’avère crucial. Voici, présentées d’un point de vue juridique, certaines solutions qui sont disponibles pour ce faire.

La réalité de chaque entreprise est particulière. Dans certains cas, il est possible de prévoir une relance à court ou à moyen termes et, dans d’autres cas, le futur apparaît incertain. Les mesures à préconiser diffèrent donc selon la position de l’entreprise et ses perspectives futures.

Réduction du temps travaillé
L’une des premières mesures envisagées consiste à réduire ou à interdire les heures supplémentaires qui représentent généralement un coût important pour les employeurs. Sur le plan juridique, les employeurs n’ont aucune obligation d’accorder des heures supplémentaires, qui font partie de leurs droits de direction.

Bien que notre société soit souvent perçue comme individualiste, nous sommes de plus en plus témoins de cas où les membres du personnel acceptent ou même proposent à leur employeur de réduire temporairement leur horaire de travail et leur rémunération afin d’éviter des mises à pied ou des licenciements. Une telle réduction ne cause pas de problème lorsque les salariés y consentent. Par contre, en certaines circonstances, un employeur qui impose une telle mesure
peut faire face à des réclamations pour congédiement ou licenciement déguisés. La prudence est de mise.

Service Canada offre maintenant un Programme de travail partagé dont les entreprises peuvent se prévaloir, à certaines conditions. D’entrée de jeu, mentionnons que ce programme doit être autorisé par Service Canada. Aussi, il s’applique uniquement dans le cas d’un manque de travail temporaire ne dépassant pas vingt-six semaines. L’entreprise doit pouvoir démontrer la possibilité d’une reprise avant la fin du terme. De plus, tous les intéressés doivent y consentir par écrit. En vertu de ce programme, Service Canada verse des prestations d’assurance-emploi aux salariés admissibles dont la semaine de travail est réduite. Cette réduction ne peut dépasser trois jours par semaine.

La réduction des heures de travail permet d’éviter les mises à pied, de conserver le personnel formé et de maintenir le moral des employés.

Mise à pied
La mise à pied est une mesure temporaire qui ne rompt pas le lien d’emploi. Elle doit être distinguée du licenciement. Elle est envisageable lorsque l’employeur prévoit une relance dans un délai maximal de six mois. Il n’est pas requis de fournir un préavis ou une indemnité aux salariés mis à pied ni de poursuivre le paiement de leur salaire, à moins de dispositions à cet effet dans une convention collective. Les salariés mis à pied bénéficient de l’assurance-emploi. L’employeur maintient généralement leurs couvertures d’assurance, à l’exception de la couverture pour invalidité à court ou à long termes.

L’employeur qui désire s’assurer que son personnel formé et qualifié demeure fidèle durant la mise à pied peut envisager le versement d’une certaine compensation financière au cours de cette période pour favoriser un retour au travail au moment opportun.

C’est ainsi que la mise à pied permet de maintenir le lien d’emploi avec le personnel formé, de préserver le moral des employés et d’éviter le paiement d’une indemnité de départ ou de fournir un préavis. Toutefois, s’il s’avère que la situation ne s’améliore pas et que le retour au travail est improbable dans les six mois, la mise à pied, de nature temporaire, devient un licenciement, de nature permanente. Les salariés doivent alors recevoir l’indemnité de départ qui leur est due en vertu de la loi.

Licenciement
Lorsque les coupures de postes s’avèrent inévitables et qu’une reprise à moyen terme des activités n’est pas envisageable, l’employeur procède à des licenciements ayant un caractère permanent.

L’employeur doit alors porter une attention particulière aux critères de sélection des personnes licenciées. Les principaux sont l’ancienneté, la performance individuelle ou départementale et les besoins de l’entreprise. Dans un milieu syndiqué, la règle de l’ancienneté prévaut généralement et doit être suivie, à moins d’une entente particulière avec le syndicat.

Peu importe les critères choisis, ils doivent être appliqués uniformément et objectivement. Les employeurs ne doivent pas se servir de cette situation pour licencier des employés « indésirables » qui, autrement, ne seraient pas affectés par les coupures, au risque d’une plainte pour congédiement sans cause juste et suffisante.

Si moins de neuf salariés sont visés sur une période de deux mois consécutifs, l’employeur doit fournir le préavis minimal de la Loi sur les normes du travail (LNT) ou l’indemnité en tenant lieu variant entre une semaine et huit semaines selon la durée du service continu.

Si dix salariés ou plus sont visés sur une période de deux mois consécutifs, il s’agit d’un licenciement collectif et l’employeur doit fournir un préavis ou verser une indemnité en tenant lieu variant entre huit et seize semaines selon le nombre de salariés affectés par établissement. Un préavis pour la même durée doit être remis au ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale.

Il est important de mentionner que certaines exemptions permettant de se soustraire aux dispositions portant sur le licenciement collectif sont prévues à la LNT. Il s’agit des cas fortuits et des événements imprévus. Pour s’en prévaloir, un employeur doit démontrer la survenance d’événements soudains et impossibles à prévoir.

Dans une décision récente (Commission des normes du travail c. Industries Troie inc.), la Cour du Québec a dispensé un employeur du paiement de l’indemnité tenant lieu de préavis de licenciement collectif; ce dernier a réussi à prouver qu’il ne lui était pas possible de prévoir la perte subite et importante de commandes. Selon la Cour, « il était possible que Troie inc. perde des contrats, mais il était imprévu qu’elle en perde autant et en si peu de temps ».

Le licenciement pour des motifs économiques ne constituant pas un motif sérieux de fin d’emploi, le préavis raisonnable du Code civil du Québec, lequel inclut le préavis de la LNT, doit également être versé. À ce propos, plusieurs employeurs veulent savoir dans quelle mesure la mauvaise position financière de l’entreprise peut être invoquée afin d’éviter de fournir un préavis – ou le paiement d’une indemnité en tenant lieu – qui serait supérieur à ce qui est prévu à la LNT. Les tribunaux n’ont pas encore eu l’opportunité de se pencher sur cette question dans le contexte actuel, mais il ressort de la jurisprudence passée que les critères servant à la détermination du préavis raisonnable ne prennent pas en compte la santé financière de l’entreprise.

Dans la mesure où cela est raisonnable, le préavis – ou l’indemnité en tenant lieu – prévu au contrat de travail doit être versé au salarié licencié.

Pour conclure ce point, il est utile de démystifier la croyance selon laquelle il serait illégal de mettre à pied ou de licencier des salariés se trouvant en congé de maladie ou en congé parental. Ces salariés doivent être traités comme s’ils étaient au travail et ne doivent pas bénéficier d’avantages supérieurs du fait qu’ils bénéficient de tels congés. S’il appert que leur poste est aboli et que ce poste serait aboli s’ils étaient au travail, ils doivent être inclus dans le licenciement et en être informés au même moment que les autres.

Préparer la relance
Le ralentissement des activités de l’entreprise peut constituer un bon moment pour repenser ses orientations et son positionnement face au marché.

En vue de préparer le renouveau de l’entreprise et de s’assurer que le personnel est en mesure de faire face à cette réorientation, il peut être approprié de mettre en œuvre des plans de formation durant la période creuse. Emploi-Québec a mis sur pied des programmes spéciaux visant justement à accompagner et à aider les employeurs à atteindre cet objectif. À cet égard, on peut consulter le bureau local d’Emploi-Québec.

La Régie des rentes du Québec offre également certaines options de retraite progressive aux personnes désirant s’en prévaloir. Ces options permettent à l’employeur de garder à son emploi du personnel qualifié, moyennant un horaire et une rémunération réduits, et de faciliter et compléter le transfert des connaissances aux salariés moins expérimentés en vue d’assurer la relève et de préparer la relance de l’entreprise.

Ainsi, une personne âgée entre 55 et 70 ans peut réduire son horaire de travail avec l’accord de son employeur tout en maintenant le même niveau de cotisations à la Régie. De cette façon, elle ne sera pas pénalisée lorsque viendra le temps de prendre sa retraite.

Les personnes âgées entre 60 et 65 ans peuvent aussi se prévaloir d’une rente de retraite anticipée. Pour en bénéficier, le salarié doit satisfaire aux conditions suivantes : ses revenus de travail estimés pour les douze premiers mois de paiement de sa rente ne dépassent pas 11 575 $ en 2009 et une entente existe avec son employeur pour réduire son temps de travail d’au moins 20 %.

La décision de procéder à une réduction des effectifs comporte son lot d’inconvénients, tant pratiques que financiers. Les gestionnaires des ressources humaines sont maintenant confrontés à la dure réalité de devoir se séparer de salariés qualifiés et compétents dont l’apport pourrait s’avérer nécessaire lorsque le cycle économique redeviendra positif. C’est pourquoi les entreprises ont tout à gagner à tenter de trouver des solutions créatives et innovatrices qui leur permettront de conserver les ressources qui sont nécessaires à leur survie à long terme.

Me Pierre Pilote, CRIA, associé, et Me Myriane Le François, collaboratrice, Gowling Lafleur Henderson s.r.l.

Source : Effectif, volume 12, numéro 2, avril/mai 2009.


Pierre Pilote, CRIA, et Myriane Le François