Décryptage : les conversations difficiles
Ainsi, du point de vue de Jean, les critiques de Carole traduisent une volonté évidente de prise de contrôle et de pouvoir pour atteindre ses buts. Voyant ses décisions critiquées, Jean a le sentiment que la qualité de son travail est remise en question et même que sa crédibilité professionnelle est mise à mal aux yeux des autres. En outre, le conflit a des répercussions sur le climat de travail entre leurs deux équipes. Le dialogue entre les deux collaborateurs se dégrade au risque de nuire à la productivité même de l’entreprise, entraînant une perte de commandes commerciales. Malgré leurs efforts pour discuter ensemble, toute conversation entre eux demeure bloquée sur leur vision divergente. À ce stade, le risque est réel, si rien ne vient faciliter leurs échanges, que leurs conversations difficiles conduisent à une escalade du conflit.
Pour un modèle de communication efficaceComment gérer une conversation difficile entre deux collaborateurs? Alexandre Fausse, CRHA, directeur ressources humaines, Opérations Noram chez Danone Canada, s’appuie sur un modèle de communication efficace pour relancer le dialogue et désamorcer un conflit. Inspirée du livre Conversations cruciales - Des outils pour s’exprimer quand les enjeux sont de taille de Patterson, Grenny, McMillan et Switzler, « cette méthode de communication est simple et demande peu de préparation avant la rencontre. C’est une méthode en trois étapes que j’appelle les trois boîtes », explique monsieur Fausse.
Première étape : préciser l’objectif de la conversation
Une conversation efficace doit d’abord dépasser certaines résistances, qui poussent à se braquer sur sa position, à se mettre sur la défensive ou à adopter un comportement chargé en émotions. Une conservation est mal engagée lorsqu’elle se focalise sur les seuls aspects techniques. Il est possible d’aborder des questions délicates, voire épineuses en abordant la relation. Ce qui ouvre la porte au dialogue est de clarifier son besoin. Pour cela, on exprime sans crainte et sans agressivité ce qu’on attend du dialogue.
Dans ce cas-ci, Alexandre Fausse a recommandé à Jean d’exprimer à Carole son besoin de bâtir une relation de confiance. Formuler positivement son besoin contribue souvent à préciser l’objectif de la conversation. Le but final est de parvenir à identifier un besoin qu’on a en commun avec son interlocuteur, souligne-t-il. Par exemple, ils peuvent partager le même désir de travailler ensemble sur une base de confiance réciproque et de s’entendre sur un processus de collaboration. Par ailleurs, M. Fausse suggère de bien choisir le moment de la conversation plutôt que de chercher à l’éviter en la retardant.
Deuxième étape : identifier l’enjeu commun de la conversation
Lors d’une conversation délicate, on gagne à prendre le temps de faire le point sur les répercussions possibles du conflit. Les interlocuteurs vont au fond du problème épineux lorsqu’ils parlent avec franchise des risques d’une mésentente tant pour leur travail que pour celui de l’équipe ou pour toute l’organisation. L’atteinte à sa crédibilité – et ses effets néfastes – est pour Jean l’enjeu crucial de leur conversation. Pour crever l’abcès, Alexandre Fausse suggère de garder cet enjeu au centre de l’échange et de se recentrer sur le besoin (et non l’émotion) si la conversation tend à déraper.
Par exemple, Jean peut commencer par exprimer qu’il s’est senti affecté par les commentaires de Carole devant le comité de direction. À condition de parler au je, et non au tu, Jean communique clairement ce qu’il veut éviter : la crainte qu’une perte de crédibilité n’affecte la confiance dans le travail de l’équipe et nuise, à long terme, à sa promotion au sein du groupe Danone. Il consolide encore la conversation en clarifiant son intention : « À l’avenir, je propose que nous regardions cela ensemble avant de l’aborder devant les autres ». Pour Alexandre Fausse, à cette étape-ci, il importe de ne pas présumer de l’intention de l’autre et de l’écouter attentivement en quête d’un objectif commun.
Troisième étape : mettre au jour des faits méconnus
C’est dans le partage d’informations qu’émergent souvent de nouvelles solutions jusque-là insoupçonnées. Bien souvent, les parties en conflit perçoivent rarement la situation dans toute sa globalité. D’où l’intérêt, pense Alexandre Fausse, de permettre à son interlocuteur de connaître ce qu’il ne connaît pas ou ce qui aurait pu lui échapper : faits, sentiments, événements, interprétations, opinions...
Réciproquement, il est important de saisir la perception que son interlocuteur a de l’enjeu de la conversation et de s’ouvrir à des éléments d’information connus de lui seul. De quoi reconsidérer le problème épineux sous un autre angle et lever bien des coins d’ombre sous ce nouvel éclairage! Autre avantage, « vous vous montrez ouvert à apprendre de nouveaux éléments qui pourraient modifier votre jugement de la situation au cours de la conversation », souligne monsieur Fausse. Dans cette position d’ouverture, il recommande d’être particulièrement réceptif aux réponses de l’autre, voire de s’exercer à anticiper ses réponses. On opte pour une conversation constructive quand on se met à identifier des solutions possibles qui n’auraient pas été envisagées sans cet échange. « Souvent, le résultat sera l’émergence d’une synergie », affirme Alexandre Fausse. Pour lui, contrôler ce type de conversation exige plusieurs qualités : courage, ouverture d’esprit, engagement, capacité à se mettre dans les souliers de l’autre. Notons que ce modèle de communication est aussi valable dans une relation entre un patron et son employé pour préciser une tâche, des responsabilités ou des façons d’interagir.
LES PRINCIPES D'UNE BONNE CONVERSATION
|
Myriam Jézéquel, journaliste indépendante
Alexandre Fausse, CRHA, directeur ressources humaines, Opérations Noram, Danone Canada
Source : Effectif, volume 17, numéro 2, avril/mai 2014.