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Établir des relations performantes au travail

Découvrez les cinq dimensions essentielles pour décrypter et améliorer les relations professionnelles : sens, temps, énergie, espace et émotion. Une approche pour comprendre et transformer votre environnement.
8 juillet 2025
Ordre des conseillers en ressources humaines agréés

Comment représenter les relations au travail et les faire varier pour la réussite d’un projet commun? C’est la question que se sont posés Jennifer Abou Hamad, enseignante et chercheure à l’Institut de gestion sociale en ressources humaines (IGS-RH), en France, et François Xavier Arnaudeau, consultant et cofondateur de Verticille Conseil, un cabinet d’accompagnement à la transformation des entreprises. Ensemble, ils ont étudié la qualité, la densité et les forces des relations entre les équipes dans une entreprise ferroviaire française.

Les notions de dynamiques de groupe et de relations interpersonnelles dans l’entreprise ont fait l’objet de nombreuses recherches au cours des dernières années. « Un individu ou un groupe est considéré comme une entité sociale. Il est donc important de comprendre son fonctionnement, celui du groupe et les relations qu’il entretient avec le groupe », souligne Jennifer Abou Hamad, en se référant notamment aux travaux du médecin Jacob Levy Moreno.

On sait déjà que, lorsque des personnes travaillent sur un même projet, la dynamique de groupe est essentielle à la performance et au sentiment de satisfaction au travail. Autrement dit, cette force collective peut représenter « un avantage compétitif, un vivier de compétences et de créativité dans un monde dynamique en constante évolution ». Or, les relations qui naissent dans les entreprises et autour sont de plus en plus complexes. « L’objectif de cette recherche est donc de construire des structures sociales centrées sur l’analyse des interactions des différentes équipes de travail », poursuit l’enseignante.

Dans ce contexte, les relations de groupe sont considérées comme un réseau à travers lequel cinq dimensions des relations au travail sont explorées, à savoir le sens, le temps, l’énergie, l’espace et l’émotion. « On a remarqué qu’il n’y avait pas de vocabulaire commun permettant de décrire les relations au travail », indique François Xavier Arnaudeau. L’étude permet ainsi d’analyser les relations en tant que sujet plutôt qu’objet. 

Le sens

« Le sens au travail, c’est la conviction que son travail a une signification personnelle, sociale ou même existentielle, explique Jennifer Abou Hamad. Il peut être lié à divers éléments comme la reconnaissance de l’importance de ses tâches, la possibilité de mettre ses compétences à profit, l’adéquation de ses valeurs personnelles sur les valeurs organisationnelles, le sentiment de contribuer à quelque chose de plus grand que soi. »

Les organisations ont la responsabilité de favoriser des environnements propices à l’accomplissement de tâches significatives et à la communication transparente, par exemple. « Je prends souvent l’exemple de réunions dans lesquelles personne ne sait pourquoi il est là, illustre François Xavier Arnaudeau. Je ne sais pas qui est mon voisin et je ne sais pas à quoi correspond la signification de cette réunion ou de cette relation. » Ce genre de situations courantes amène des questions importantes, selon le consultant. Quel sens donne-t-on à cette réunion ou à cette relation? Construit-on quelque chose ensemble, dans une direction commune? Est-ce partagé et compris? Si ce n’est pas le cas, c’est l’occasion de changer de façon de faire et d’interagir.  

Le temps

Le facteur temps joue un rôle crucial dans les relations d’équipe, affectant fortement la collaboration et la performance. Les délais serrés et la pression temporelle peuvent induire du stress chez les membres d’un groupe, affecter leur motivation, leur productivité et leur bien-être psychologique. Cette situation peut aussi générer des erreurs, une baisse de qualité, des conflits et des désaccords. Une mauvaise gestion du temps et une planification déficiente entraînent également des retards et des pertes de temps. « Il est donc essentiel de fixer dès le début du projet des attentes claires sur le plan des délais et de la ponctualité », précise Jennifer Abou-Hamad.

Selon François Xavier Arnaudeau, la synchronicité et la synchronisation sont par ailleurs primordiales. Adopter des calendriers communs est une bonne manière d’éviter les tensions générées par le manque de coordination. Il propose de percevoir le temps comme un outil permettant d’accomplir des choses plutôt que comme une contrainte oppressante.

L’énergie

L’énergie est un concept utilisé dans divers domaines, qui prend une importance capitale dans l’analyse des dynamiques au travail et de l’intensité des interactions professionnelles. Au cours d’une journée, la quantité d’énergie disponible pour le travail est limitée, influant directement sur l’efficacité, la motivation, la performance et la satisfaction au travail, et elle peut également être une source de stress. « Cette notion soulève ainsi le défi de maintenir une concentration et une productivité élevées tout en évitant l’épuisement professionnel, mieux connu sous le nom de burnout », mentionne la chercheuse.

Autrement dit, l’énergie au travail se résume à la capacité de rester engagé dans ses activités professionnelles, tout en équilibrant la charge de travail avec les périodes de récupération nécessaires. C’est encore plus vrai dans un groupe, c’est-à-dire que la manière dont les membres interagissent et se comportent peut affecter directement l’énergie de chacun. Un groupe dont les individus s’encouragent mutuellement, échangent des idées et s’écoutent sera bien plus performant. « C’est très important de cultiver cette dynamique positive pour maintenir l’aspect énergisant d’un environnement de travail », ajoute Jennifer Abou-Hamad.

Cela ne signifie pas que chaque personne doit toujours maintenir un haut niveau d’énergie. « La question, c’est d’arriver à déterminer dans quelle mesure une relation nous fatigue ou, au contraire, nous met en mouvement », renchérit François Xavier Arnaudeau. Cette dimension permet ainsi de prévenir certains risques psychosociaux en reconnaissant les raisons qui poussent deux personnes à dépenser de l’énergie pour se comporter d’une façon ou d’une autre.

L’espace et l’émotion

Toutes les relations au travail sont nourries au sein d’un espace commun, soit un espace physique comme la salle, le poste, le mobilier, mais pas seulement. Les technologies d’information et de communication ont élargi les zones d’échanges et de collaboration, tout en éloignant physiquement et en dispersant géographiquement les personnes qui y prennent part. La pandémie a exacerbé le travail à distance et en mode hybride, l’utilisation d’outils de visioconférence et de moyens de communication virtuels.

Des personnes de différents référentiels culturels et origines se retrouvent plus souvent autour des tables de réunion virtuelles. « Il ne s’agit donc pas que d’une distance physique, mais aussi d’une distance culturelle », spécifie François Xavier Arnaudeau. En faire un véritable sujet dans la relation est important afin de mieux se comprendre.  

La dernière dimension explorée par les chercheurs est l’émotion, c’est-à-dire les sentiments comme la joie, la tristesse, la colère, la frustration ou encore la peur vécue au travail, qui affectent, entre autres, le bien-être mental et physique et la performance. Ces émotions sont influencées par divers facteurs, tels que la nature du travail en elle-même, certes, mais aussi la relation avec les collègues, avec la hiérarchie et la clientèle.

« Une des difficultés avec cette dimension, c’est qu’une émotion ne se gère pas », constate François Xavier Arnaudeau. Nommer les émotions qui traversent la relation est un premier pas. Ensuite, que peut-on faire pour les exprimer de façon constructive? Aujourd’hui, de nombreuses organisations cherchent à comprendre les émotions au travail de manière efficace pour favoriser la satisfaction ainsi que le bien-être des personnes qu’elles emploient.

Repérer les leviers

Dans les questionnaires utilisant les cinq dimensions présentées, les personnes notent leurs perceptions des différentes relations qu’elles entretiennent et dont elles témoignent. Ensuite, un atelier de restitution avec l’équipe ou l’organisation peut être mis en place afin de trouver collectivement les leviers d’action pour améliorer les relations. Dans un service, par exemple, il faudra mettre en place du mentorat. Dans l’autre, il pourrait plutôt être judicieux d’organiser une formation en communication non violente.

En somme, appréhender ces cinq dimensions en mettant en place des politiques et des pratiques équitables et transparentes permettra de promouvoir un climat propice à l’établissement de relations de confiance, de respect mutuel et performantes dans l’organisation.

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