- Auteure
- Droits d’auteur
- Avis d’utilisation
- Introduction
- Les obligations légales découlant de la Charte
- Le concept de discrimination
- L’atteinte du droit à l’égalité
- Les motifs énumérés à l’article 10
- L’obligation d’accommodement
- La contrainte excessive
- L’application dans le cadre du télétravail
- Conclusion
Auteure
Merci à Isabelle Auclair, CRHA, agente gestion du personnel au Centre intégré de santé et de services sociaux de la Montérégie-Ouest, pour sa collaboration à l’élaboration du contenu de cet outil.
Collaborateur et collaboratrice
Merci à Me Marie-Gabrielle Bélanger, CRIA, avocate en droit du travail et de l'emploi chez Fasken, pour sa collaboration à la révision légale de cet outil.
Merci à Jean-Pierre Morin, CRHA, inspecteur, développement professionnel et qualité de la pratique à l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés, pour la validation déontologique et réglementaire de cet outil.
Droits d’auteur
La reproduction, la publication et communication de ce document dans son intégralité sous quelque forme ou par quelque moyen (électronique, mécanique ou autre, y compris la photocopie, l’enregistrement ou l’introduction dans tout système informatique de recherche documentaire) est interdite sans le consentement écrit de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés.
Par contre, pour les CRHA ǀ CRIA ainsi que les abonnés au Carrefour RH, il est permis d’utiliser les exemples contenus dans ce document avec les adaptations nécessaires sans autorisation de l’Ordre.
Avis d’utilisation
Dans le cadre de sa mission de protection du public, l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés vous propose cet outil. Ce dernier doit toujours être adapté selon le contexte, les besoins de votre organisation ainsi qu’en tenant compte de l’ensemble des parties prenantes. Il ne constitue en aucun cas un avis juridique.
Si vous êtes un professionnel agréé, vous devez toujours vous référer à votre code de déontologie, aux normes professionnelles, ainsi qu’aux lois et règlements en vigueur et consulter un conseiller juridique au besoin.
Par ailleurs, les propos qui y sont exprimés n’engagent que leur auteur et l’Ordre des conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agréés décline toute responsabilité à leurs égards.
Introduction
Le télétravail est devenu une option de plus en plus répandue au cours de l’année 2020. De nombreuses personnes travaillent ainsi, par choix ou par obligation en raison de la pandémie. Dans certains cas, le télétravail peut s’avérer une mesure d’accommodement. Dans d’autres cas plus rares, un salarié peut avoir besoin de mesures d’accommodement pour être en mesure d’effectuer son travail à partir de son domicile.
Il y a peu de jurisprudence en matière d’accommodements raisonnables en contexte de télétravail. Les principes décrits ci-dessous peuvent guider les organisations qui ont des questionnements face à leurs obligations quant aux accommodements à faire dans le cadre du télétravail.
Section 1 - Les obligations légales découlant de la Charte
Le concept de discrimination
Pour les organisations de compétence provinciale[i], l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne[ii] prévoit des protections contre la discrimination :
- « Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, l’identité ou l’expression de genre, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap.
- Il y a discrimination lorsqu’une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit. »
Lorsqu’une « distinction, préférence ou exclusion » est fondée sur un des motifs prévus à l’article 10 de la Charte et a pour effet de porter atteinte ou de compromettre un droit prévu par la Charte, notamment à l’article 16, il y a discrimination.
Par analogie, nous pouvons nous référer à la définition de la discrimination retenue par la Cour suprême dans l’arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia[iii]
- « (…) la discrimination peut se décrire comme une distinction, intentionnelle ou non, mais fondée sur des motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d’un individu ou d’un groupe d’individus, qui a pour effet d’imposer à cet individu ou à ce groupe, des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d’autres ou d’empêcher ou de restreindre l’accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d’autres membres de la société. Les distinctions fondées sur des caractéristiques personnelles attribuées à un seul individu en raison de son association avec un groupe sont presque toujours taxées de discriminatoires, alors que celles fondées sur les mérites et capacités d’un individu le sont rarement. »
L’atteinte du droit à l’égalité
L’article 10 ne peut pas être utilisé seul. Il n’est pas autonome. La personne qui l’invoque doit démontrer la compromission de son droit à l’égalité prévu à la Charte. Dans le contexte du travail, nous devons lire l’article 10 de pair avec l’article 16 :
- « 16. Nul ne peut exercer de discrimination dans l’embauche, l’apprentissage, la durée de la période de probation, la formation professionnelle, la promotion, la mutation, le déplacement, la mise à pied, la suspension, le renvoi ou les conditions de travail d’une personne ainsi que dans l’établissement de catégories ou de classifications d’emploi. »
L’article 16 est large et vise à prévoir la vaste majorité des aspects d’une relation d’emploi.
Les motifs énumérés à l’article 10
Même si tous les motifs prévus à l’article 10 peuvent être invoqués dans un contexte de télétravail, certains motifs sont plus propices à ce type de demandes d’accommodement en cette période pandémique :
- La grossesse;
- L’âge;
- Le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour y pallier.
La notion de « grossesse »
La grossesse est définie largement par les tribunaux :
- « La période pendant laquelle une femme enceinte peut se prévaloir du critère de grossesse semble très étendue dans le temps. Il est donc raisonnable de penser que le critère de grossesse énoncé à l’article 10 de la Charte québécoise inclut non seulement la période pendant laquelle la femme porte l’enfant, mais également la période de récupération nécessaire suite à cette grossesse.
- Toutefois, comme la notion de grossesse est manifestement comprise dans le critère du sexe, l’utilisation de ce dernier critère pourrait éventuellement en élargir la portée. »[iv]
La notion d’« âge »
L’âge est un motif reconnu, « sauf dans la mesure prévue par la loi ». En effet, la loi peut prévoir des exceptions comme la reconnaissance de la majorité[v] et des droits en découlant, du droit de vote[vi] ou du droit de consommer du cannabis[vii]. Ce sujet peut aussi inclure des questions concernant des conditions de travail désavantageuses, notamment pour les plus jeunes salariés[viii], par exemple.
La notion de « handicap »
La notion de handicap a fait l’objet d’un jugement de la Cour suprême[ix] qui mentionne que le « motif “handicap” » de la Charte doit comprendre une « affection, même sans limitation fonctionnelle, ainsi que la perception d’une telle affection (….) »[x]. De plus, « un “handicap” » peut résulter aussi bien d’une limitation physique que d’une affection, d’une construction sociale, d’une perception de limitation ou d’une combinaison de tous ces facteurs »[xi].
La Cour suprême écrit :
- « 81. Il faut préciser qu’un “handicap” n’exige pas obligatoirement la preuve d’une limitation physique ou la présence d’une affection quelconque. Le “handicap” peut être soit réel ou perçu et, puisque l’accent est mis sur les effets de la distinction, exclusion ou préférence plutôt que sur la nature précise du handicap, la cause et l’origine du handicap sont sans importance. De même, une distinction fondée sur la possibilité réelle ou perçue que l’individu puisse développer un handicap dans l’avenir est prohibée par la Charte. »
La Cour suprême a pris soin de préciser que les « caractéristiques personnelles quelconques ou les affections “normales” » telles que la couleur des yeux ou le rhume, ne constituent pas un handicap[xii].
Il est important de préciser qu’un handicap peut être physique ou psychologique. L’origine du handicap n’a pas d’importance en vertu de la Charte[xiii].
L’obligation d’accommodement
Lorsque la discrimination est établie, naît l’obligation d’accommodement de l’employeur envers son employé. Il est important de préciser que pour qu’il y ait une obligation d’accommodement, l’employeur doit avoir été avisé de la présence du motif prévu à l’article 10, par exemple en fournissant un billet médical incluant un diagnostic. En l’absence d’un tel motif ou de la connaissance d’un tel motif par l’employeur, l’employé ne pourra lui reprocher à l’employeur de ne pas avoir respecté son obligation d’accommodement[xiv].
L’accommodement raisonnable est une obligation individualisée, basée sur les besoins personnels de l’employé, sur les caractéristiques de l’entreprise et les circonstances[xv]. L’obligation d’accommodement est une obligation de moyen[xvi]. Si l’obligation d’accommodement appartient majoritairement à l’employeur, le salarié (et le syndicat, le cas échéant) doit aussi faire des efforts raisonnables pour faciliter une solution raisonnable[xvii].
La contrainte excessive
Malgré ce qui précède, l’obligation d’accommodement de l’employeur a toutefois une limite : la contrainte excessive.
Une exigence professionnelle est un concept développé par la Cour suprême[xviii]. La troisième étape de ce test est celle de la contrainte excessive. La contrainte excessive et l’obligation d’accommodement sont considérées comme des « concepts symétriques »[xix]. Il est important de comprendre que l’employeur doit toujours supporter une certaine contrainte[xx], jusqu’à la limite du raisonnable, ce qui constitue la « contrainte excessive ».
Pour démontrer qu’il subit une contrainte excessive, l’employeur peut démontrer, à titre d’exemples, les coûts astronomiques de la solution proposée par rapport à sa capacité de payer, le danger pour le travailleur ou ses collègues, la mise en péril du public ou des clients, les effets importants sur les droits des autres salariés, les difficultés pour organiser le travail, le devoir de retirer les tâches essentielles du poste ou de créer un poste sur mesure[xxi].
Section 2 - L’application dans le cadre du télétravail
L’interaction entre l’obligation d’accommodement et le télétravail peut prendre plusieurs formes.
Ainsi, le télétravail peut être convenu dans le cadre d’une entente mutuelle entre l’employé et l’employeur. Mais le télétravail peut aussi être parfois une mesure imposée par l’employeur pouvant occasionner une forme de discrimination pour différents motifs. Dans ce cas-ci, l’employeur devrait alors envisager des mesures d’accommodement raisonnables pour remplir son obligation.
De plus, dans certaines circonstances, le télétravail peut être la cause de maux divers tels des maux musculosquelettiques ou troubles psychologiques. Ainsi, si un employé développe des troubles de santé mentale en raison du télétravail tels que l’isolement, l’épuisement professionnel ou le stress, l’une des conséquences juridiques pourrait être l’obligation de recourir à un accommodement raisonnable.
S’il semble en effet difficile d’éliminer les risques psychologiques liés à ces troubles, notamment dans le contexte actuel de la COVID-19, cela ne désengage pas les employeurs des obligations de la Loi sur la santé et la sécurité au travail (L.S.S.T.) et des dispositions prévues à la LATMP en cas de lésion professionnelle.
Les employeurs dont l’employé subit des troubles de santé mentale, ou qui voient ceux-ci s’exacerber en lien avec l’environnement de travail actuel, pourraient être tenus à une obligation d’accommodement raisonnable, laquelle dans ce cas peut notamment être fondée sur le handicap. Le télétravail peut par conséquent aussi constituer une mesure d’accommodement raisonnable[xxii].
Il importe toutefois de noter que ce n’est pas parce qu’une personne présente un handicap que le télétravail devient automatiquement un accommodement raisonnable pour cette personne[xxiii]. Il doit y avoir un lien entre le handicap (ou autre motif prévu à l’article 10 de la Charte) et la mesure d’accommodement recherchée[xxiv], telle que le télétravail.
Dans une décision portant sur le congédiement administratif d’un salarié pour absentéisme chronique, ce dernier invoquait que le télétravail lui aurait permis de moins s’absenter du travail.
Cette décision est pertinente dans le sens où, dans le cas d’un absentéisme multicausal pour lequel il n’y a aucune preuve selon quoi le télétravail aurait permis de réduire le taux d’absentéisme, l’employeur n’a pas l’obligation de considérer le télétravail comme mesure d’accommodement.
L’arbitre retient que « son handicap n’est accompagné médicalement d’aucune limitation fonctionnelle qui l’empêche d’occuper son poste »[xxv]. Reconnaissant que le télétravail est « une mesure facilitatrice pour toute personne en matière de déplacement », elle mentionne aussi qu’il « requiert une autodiscipline et de l’assiduité »[xxvi].
Dans une autre sentence arbitrale[xxvii], il a été décidé que le fait de mettre fin à un programme de télétravail pour tous les salariés absents pour une longue durée est discriminatoire.
Lors de l’étude des possibilités d’accommodement, notamment en matière de télétravail, l’employeur, de concert avec l’employé (et le syndicat le cas échéant) doit faire une réelle démarche de recherche des solutions possibles et analyser les alternatives sérieusement, dans les meilleurs délais[xxviii]. L’innovation est de mise[xxix].
Certaines personnes peuvent avoir besoin de mesures d’accommodement pour adapter par exemple leurs outils de travail, leurs tâches, leur poste de travail ou leur horaire. Si de telles adaptations du travail sont requises dans un contexte de discrimination pour un motif prévu à l’article 10 de la Charte, l’organisation doit accommoder le salarié jusqu’à la contrainte excessive.
Dans certaines situations, telles que celles de salariés ayant des conditions affectant leur système immunitaire, de certaines salariées enceintes ou des salariés de plus de 70 ans, le télétravail est devenu une méthode de choix pour continuer de donner une prestation de travail en période pandémique. L’obligation d’accommodement raisonnable peut alors prendre tout son sens, encore une fois jusqu’à la contrainte excessive.
Conclusion
Quelle que soit la forme que prend le travail, l’employeur n’a pas le droit de discriminer contre un salarié. Lorsqu’une telle discrimination existe, l’obligation d’accommodement prend une place de premier plan, jusqu’à la contrainte excessive.
Le télétravail peut être à la fois une mesure d’accommodement dans certaines situations ou une cause potentielle de discrimination entraînant la nécessité de mettre en place une mesure d’accommodement dans d’autres cas. Il convient de rester alerte.