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Vouloir congédier une serveuse qui a de l’initiative

Une serveuse a été congédiée après avoir contesté la convention de partage des pourboires en vigueur et avoir organisé une rencontre avec les autres serveurs afin d'en signer une nouvelle; bien que les motifs économiques de l'employeur soient réels, étant donné la baisse de ses activités, ils ont servi de prétexte pour se départir des services de la salariée, de sorte que la plainte (art. 122 L.N.T.) est accueillie.
20 novembre 2025

Intitulé

Côté c. 7942451 Canada inc. (Resto Bar Le Pois Penché), 2025 QCTAT 2722

Juridiction

Tribunal administratif du travail, Division des relations du travail (T.A.T.), Montréal

Type d'action

Plainte en vertu de l'article 122 de la Loi sur les normes du travail (L.N.T.) à l'encontre d'un congédiement — accueillie.

Décision de

France Legault, juge administrative

Date

4 juillet 2025


Décision

La plaignante, qui occupait un poste de serveuse, prétend avoir été congédiée en raison de l'exercice de droits prévus à la L.N.T., soit pour avoir contesté la convention de partage des pourboires en vigueur et avoir organisé une rencontre avec les autres serveurs afin d'en signer une nouvelle — à titre de moyen préliminaire, l'employeur soutient que cette plainte est incomplète et qu'elle ne constitue pas un acte introductif recevable — bien que, selon lui, le formulaire de plainte soit imprécis, l'employeur n'a pas requis de précision avant l'audience — un acte de procédure ne doit pas être considéré comme nul ou comme ayant été rejeté pour l'unique raison qu'il est entaché d'un vice de forme ou d'une irrégularité de procédure — l'employeur connaissait la nature du recours exercé et n'a subi aucun préjudice du fait que le droit exercé n'était pas précisé dans la plainte — quant au fond du litige, même si l'employeur soutient avoir licencié la plaignante, la protection accordée par l'article 122 L.N.T. vise toutes les formes de rupture du lien d'emploi — ainsi, la fin d'emploi de la plaignante, sans égard à sa qualification, peut constituer une mesure ou une sanction.

L'employeur admet que la plaignante a exercé un droit le 5 janvier 2024 en lui communiquant par courriel une nouvelle convention de partage des pourboires, mais cet envoi est, selon lui, postérieur à sa fin d'emploi, qui a eu lieu le 3 janvier — la preuve non contredite démontre toutefois que la plaignante a avisé son employeur le 7 décembre 2023 qu'elle n'était pas d'accord avec la convention de partage et que, le 2 janvier suivant, elle a organisé une rencontre entre les serveurs afin d'en discuter — au terme de cette rencontre, plusieurs d'entre eux ont signé une nouvelle convention — toutes ces démarches constituent l'exercice d'un droit — l'employeur soutient également que la convention en place était d'une durée de 1 an et qu'elle ne pouvait donc être modifiée ou annulée par les serveurs avant son terme — la L.N.T. protège l'exercice d'un droit et le Tribunal n'a pas à analyser le bien-fondé du droit exercé pour déterminer si un travailleur peut bénéficier de la présomption — il suffit que ses prétentions ne soient pas frivoles ou complètement dénuées de sens, ce qui est le cas en l'espèce — la plaignante a entrepris avant la rupture de son lien d'emploi plusieurs démarches qui constituaient l'exercice de droits en vertu de la L.N.T. — elle bénéficie donc de la présomption, et il appartient à l'employeur d'établir une autre cause juste et suffisante ayant mené à la fin d'emploi de la plaignante — il doit s'agir d'une cause sérieuse, et non d'un prétexte.

L'employeur fait valoir des motifs économiques, soit qu'il a subi une période creuse après les fêtes de fin d'année et a dû procéder à des licenciements — sa preuve repose sur le témoignage de 2 gestionnaires qui ont expliqué le contexte justifiant la décision de mettre à pied plusieurs employés — il aurait été préférable de produire une preuve documentaire pour corroborer leurs prétentions — toutefois, en présence d'une preuve testimoniale non contredite, comme en l'espèce, celle-ci n'est pas obligatoire pour démontrer l'existence de difficultés financières réelles — dans un tel contexte, il appartient à la plaignante de démontrer que la décision prise par l'employeur est un congédiement déguisé plutôt qu'un licenciement — l'employeur explique que le choix des salariés à licencier s'est fait sur la base de critères impartiaux et raisonnables, soit l'ancienneté, la performance, l'expérience et la polyvalence — la plaignante fait valoir que plusieurs serveurs ayant moins d'ancienneté qu'elle n'ont pas été mis à pied — l'employeur explique que cette dernière était moins performante et éprouvait des difficultés à servir une section complète de la salle à manger — la lettre de fin d'emploi ne fait toutefois nullement référence à un problème de performance — la preuve ne fait pas état non plus d'un avis disciplinaire ou d'une rencontre afin de régler ce problème — la plaignante soutient que la décision de mettre fin à son emploi a été prise avec empressement à la suite de l'envoi de la nouvelle convention de partage, et plusieurs éléments dans la preuve soutiennent cette affirmation — la version la plus probable est celle de la plaignante, selon laquelle la rencontre de fin d'emploi a eu lieu le 5 janvier, tout juste avant le début de son quart de travail, soit environ 1 heure après son envoi de la nouvelle convention de partage des pourboires — le fait que la plaignante était inscrite à l'horaire pour la semaine en cours est un indice important — rien n'explique pourquoi il était pressant de mettre fin à son emploi plutôt que de la laisser terminer sa semaine de travail — bien que les motifs économiques invoqués par l'employeur soient réels, ils ont servi de prétexte pour se départir des services de la plaignante — le Tribunal annule le congédiement et ordonne la réintégration de la plaignante ainsi que le versement d'une indemnité correspondant au salaire et aux autres avantages dont elle a été privée.