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Immunité d’un directeur syndical

Les propos tenus par le plaignant dans un courriel à l'intention d'un conseiller en relations du travail de l'employeur, même s'ils ne contribuent pas à un climat de travail respectueux, n'outrepassent pas les limites de la protection conférée par l'immunité relative dont il bénéficie à titre de directeur syndical; l'avis disciplinaire dont il a fait l'objet est annulé.
24 novembre 2025

Intitulé

Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal (SCFP, 301) c. Ville de Montréal, 2025 QCTAT 1978

Juridiction

Tribunal administratif du travail, Division des relations du travail (T.A.T.), Montréal

Type d'action

Plainte en vertu de l'article 15 du Code du travail (C.tr.) pour pratique interdite — accueillie — plainte en vertu de l'article 12 C.tr. pour entrave aux activités du syndicat — rejetée.

Décision de

Sylvain Gagnon, juge administratif

Date

14 mai 2025


Décision

Le plaignant, un directeur syndical, considère que l'avis disciplinaire que lui a imposé l'employeur constitue une sanction pour avoir exercé des droits prévus au Code du travail, soit des fonctions syndicales — il soutient également que ce geste constitue de l'entrave aux activités du syndicat — l'employeur prétend que l'avis disciplinaire a été imposé pour une autre cause juste et suffisante, soit parce que le plaignant aurait tenu, dans un courriel, des propos dénigrants, méprisants et diffamatoires à l'endroit d'un gestionnaire et d'une agente-conseil en ressources humaines — lorsque le salarié démontre que la mesure dont il se plaint est imposée de façon concomitante de l'exercice d'un droit, il existe une présomption que celle-ci a été prise en raison de l'exercice du droit — la présomption s'applique dans le présent cas puisque le plaignant est un salarié et que l'employeur lui a imposé une sanction de façon concomitante de l'exercice d'un droit protégé par le Code du travail, soit celui d'exercer des fonctions syndicales — le plaignant agit dans le cadre de son mandat de directeur syndical lorsqu'il interagit avec l'employeur au sujet de l'application des stipulations de la convention collective portant sur le rappel au travail des salariés saisonniers — en ce qui a trait à ses fonctions de représentant syndical, son rôle est de défendre les intérêts de ses membres — le courriel qui a mené à l'imposition de l'avis disciplinaire s'inscrit dans un échange avec un conseiller en relations de travail de l'employeur au sujet de l'interprétation des stipulations de la convention collective dans le contexte où le plaignant prétendait qu'une salariée qu'il représentait avait subi un préjudice résultant de l'interprétation retenue initialement par son contremaître — le plaignant bénéficie, en principe, de l'immunité relative des représentants syndicaux pour le courriel — la conduite visée par l'avis disciplinaire n'excède pas les limites de la protection offerte par l'immunité — les reproches de l'employeur tombent dans la catégorie des propos relevant de l'incivilité, de l'impolitesse ou de l'irrespect — il ne fait pas la démonstration que la conduite du plaignant ou les propos tenus dans le courriel sont excessifs, intimidants, menaçants ou manifestement vexatoires — certains passages du courriel auraient gagné à être formulés en des termes plus mesurés et nuancés — le ton utilisé ne favorise pas un climat de travail respectueux ni des échanges constructifs — l'employeur était fondé à manifester son désaccord avec cette approche et à réclamer qu'elle change — il devait toutefois s'arrêter là et ne pouvait user de son pouvoir disciplinaire pour forcer le plaignant à obtempérer — étant donné que les propos contenus dans le courriel s'inscrivent dans le cadre d'un échange entre des représentants syndicaux et patronaux sur une question d'interprétation de la convention collective, le plaignant doit pouvoir discuter avec l'employeur d'égal à égal et exprimer son désaccord, et ce, sans craindre d'être sanctionné pour un simple écart de ton — le courriel n'est pas non plus diffamatoire — l'ajout de 2 vice-présidents du syndicat en copie conforme ne modifie en rien la nature du courriel, lequel demeure un échange interne entre des personnes impliquées dans les relations de travail chez l'employeur — en sanctionnant un comportement protégé par l'immunité relative dont bénéficient les représentants syndicaux, l'employeur a puni la façon dont le plaignant exerçait son rôle syndical — l'employeur ne parvient pas à repousser la présomption que c'est en raison de l'exercice d'un droit prévu au Code du travail que le plaignant a fait l'objet d'un avertissement écrit et que la remise de ce dernier constitue une mesure de représailles prohibée par l'article 15 C.tr.

Bien que la remise de l'avis écrit au plaignant constitue une pratique interdite au sens de l'article 15 C.tr., la preuve est insuffisante pour conclure que cette mesure est motivée, dans les faits, par une intention de nuire au syndicat — la volonté de l'employeur n'était pas d'empêcher le syndicat d'accomplir sa mission ou le plaignant de s'acquitter de son mandat syndical — il voulait plutôt protéger ses représentants à l'égard de propos qu'il considérait comme dénigrants et diffamatoires, conformément à ses obligations — l'employeur ne s'en ait pas pris comme tel au fait que le plaignant avait ajouté des vice-présidents syndicaux en copie conforme au courriel, mais plutôt au fait d'ajouter des personnes à la diffusion de propos qu'il jugeait dénigrants — la décision du directeur d'imposer l'avis disciplinaire a été prise en collaboration avec des représentants des ressources humaines — cette décision n'est pas assimilable à une négligence grossière, à une imprudence grave ou à un aveuglement volontaire de la part de l'employeur — le seul fait que le conseiller syndical qui accompagnait le plaignant lors de la rencontre au cours de laquelle celui-ci a présenté sa version des faits ait invoqué qu'il y avait de l'entrave est insuffisant pour conclure autrement.