Intitulé
Travailleurs et travailleuses unis de l'alimentation et du commerce, section locale 501 c. Explorance inc., 2025 QCTAT 2864
Juridiction
Tribunal administratif du travail, Division des relations du travail (T.A.T.), Montréal
Type d'action
Plainte en vertu de l'article 12 du Code du travail (C.tr.) pour entrave aux activités du syndicat — accueillie.
Décision de
Irène Zaïkoff, juge administrative
Date
15 juillet 2025
Décision
Le syndicat reproche à l'employeur, une entreprise de développement de logiciels, d'avoir entravé sa campagne de syndicalisation — le courriel de sollicitation du syndicat a été perçu par l'employeur comme une tentative d'hameçonnage, et ce, tant par son expert en cybersécurité que par une douzaine d'employés — l'employeur a réagi de la même façon qu'il le fait quotidiennement dans pareille situation — il pouvait raisonnablement supprimer le courriel et bloquer les envois futurs de ce même expéditeur dans ces circonstances, surtout considérant le domaine dans lequel il exerce ses activités, lequel l'oblige à être particulièrement prudent — la preuve ne soutient pas les allégations de la plainte selon lesquelles le vice-président aurait été furieux et se serait plaint d'attaques contre l'entreprise en insistant pour connaître les instigateurs de la démarche de syndicalisation — alerté par les employés qui se sont plaints de la manière qu'ils étaient sollicités aux abords de l'édifice où sont situés les locaux de l'employeur, celui-ci est simplement allé vérifier ce qui se passait sans que cela puisse constituer une forme d'ingérence ou d'entrave — quoique le commentaire et le ton teinté de mépris du président-directeur général (PDG) puissent démontrer un esprit antisyndical pertinent quant à l'analyse des événements subséquents, ces propos ne constituent pas une tentative d'entrave.
Le courriel transmis par le PDG à tous les employés comporte à sa face même plusieurs éléments faux et cherche à entraver les activités du syndicat — le PDG ne pouvait, sur la base de ses propres constats et de ceux de son vice-président, raisonnablement soutenir que les représentants tentaient de recruter d'une façon très agressive — il a dépeint le syndicat comme une compagnie, alors que celui-ci est un organisme sans but lucratif, ce qui laisse entendre qu'il détient un intérêt personnel plutôt que celui de défendre les intérêts socioéconomiques de ses membres — à plusieurs reprises, il a prêté au syndicat des intentions malveillantes, affirmant qu'il cherchait à nuire à l'employeur, à semer la discorde et à tirer profit de la division — il s'agit d'une vision très négative et réductrice de la syndicalisation, qui vise à discréditer le syndicat — le PDG s'est immiscé dans la démarche de syndicalisation en pointant du doigt ceux qui étaient selon lui à sa source — il les a dépeints comme de mauvais employés qui n'étaient pas loyaux et qui chercheraient uniquement à nuire à l'entreprise — il a ainsi indiqué à tous qu'il savait qui ils étaient, ce qui ne peut qu'envoyer un message dissuasif à ceux qui tenteraient d'appuyer le projet de syndicalisation — le PDG a tenté de nuire à la campagne de recrutement du syndicat — ses propos dépassent largement la marge de manoeuvre que lui accorde la liberté d'expression dans les circonstances — il a utilisé son autorité pour transmettre un message antisyndical à ses subordonnées — de tels agissements constituent de l'entrave et contreviennent à l'article 12 C.tr.
L'une des conditions afin que la théorie des mains propres invoquée par l'employeur puisse trouver application n'est pas remplie en l'espèce, car l'état du droit n'est pas encore fixé en ce qui concerne l'application de l'article 5 C.tr. lors de la sollicitation par courriel — l'employeur n'a pas déposé de plainte visant les agissements du syndicat — il ne convient pas de trancher cette question de façon incidente dans le présent recours — en outre, la théorie des mains propres ne trouve pas sa place lorsque la demande d'ordonnance vise à sanctionner l'ingérence ou l'entrave — le code est une loi d'ordre public — l'article 12 C.tr. est une protection accordée au droit d'association — l'employeur peut saisir le Tribunal pour se plaindre des agissements du syndicat, mais ne peut contrevenir en toute impunité à l'article 12 C.tr.
Le syndicat demande que le Tribunal ordonne à l'employeur d'afficher la décision rendue dans son établissement de Montréal et de la transmettre à tous les salariés de l'ensemble des établissements — cette mesure de réparation paraît nécessaire pour pallier le préjudice subi par la transmission du courriel du PDG à tous les salariés, lequel attaque l'image du syndicat et cherche à le discréditer — ce courriel a eu une incidence sur la campagne de syndicalisation — une somme de 5 000 $ à titre de dommages moraux est appropriée — enfin, 5 000 $ à titre de dommages punitifs permet d'assurer la finalité préventive et dissuasive de ceux-ci.