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Communiquer directement avec les syndiqués : 20 000 $ au syndicat

Dans le contexte des négociations en vue du renouvellement de la convention collective, un établissement hôtelier a contrevenu à l'article 12 C.tr. en communiquant ses offres salariales directement aux salariés et en discutant librement avec ces derniers de leurs doléances envers le syndicat; l'employeur est condamné à verser 20 000 $ au syndicat à titre de dommages punitifs.
17 novembre 2025

Intitulé

Syndicat des travailleuses et travailleurs de l'Hôtel Le Concorde (CSN) c. 8815003 Canada inc., 2025 QCTAT 3303 *

Juridiction

Tribunal administratif du travail, Division des relations du travail (T.A.T.), Québec

Type d'action

Plaintes en vertu des articles 12 et 53 du Code du travail (C.tr.) — accueillies.

Décision de

Pierre-Étienne Morand, juge administratif

Date

6 août 2025


Décision

Le syndicat est accrédité pour représenter les salariés d'un établissement hôtelier — dans le contexte des négociations visant le renouvellement de la convention collective, il reproche à l'employeur d'avoir communiqué directement le contenu d'une offre aux salariés — l'employeur soutient que les salariés étaient libres de recevoir ou non le message transmis par courriel ainsi que par la plateforme collaborative utilisée pour communiquer des instructions et des directives quant à l'exécution du travail — or, il ne fait aucun doute que les salariés étaient «captifs» dans la mesure où ils recevaient des communications directement de la directrice générale (DG) — en outre, la DG a entravé le monopole de représentation du syndicat en discutant librement et directement avec les salariés de leurs insatisfactions à l'égard de l'association — l'employeur savait que le syndicat s'opposait à la transmission de l'offre aux salariés — le Tribunal conclut que la communication transmise aux salariés visait à contrecarrer la stratégie du syndicat de même qu'à le discréditer et à l'affaiblir — l'employeur ne pouvait en ignorer les conséquences puisqu'il connaissait la vulnérabilité du syndicat à un moment aussi crucial — environ 2 semaines plus tard, il s'est de nouveau adressé directement aux salariés — il a tenu des propos trompeurs et menaçants en évoquant la possibilité d'un lock-out si un vote n'avait pas lieu — l'objectif de déstabilisation est évident — l'employeur a profité de l'occasion pour offrir directement aux salariés une majoration du boni de signature — le syndicat en avait été informé la veille, mais il attendait un écrit confirmant l'offre avant de la présenter en assemblée — la DG s'est encore adressée directement aux salariés le lendemain en raison de questionnements concernant le boni — en précisant la portée de son offre pécuniaire, l'employeur négociait encore une fois avec les salariés, et ce, sans égard pour le syndicat — à la suite des communications de l'employeur, de nombreux salariés se sont rassemblés dans une chambre — ils ont signé une pétition pour obtenir un vote sur les nouvelles offres et remettre en question le travail du syndicat — si l'employeur n'a pas expressément autorisé une telle rencontre, il l'a provoquée et tolérée en n'intervenant pas lorsqu'il en a été informé — l'employeur a volontairement contrevenu à l'article 12 C.tr. — ce dernier a simultanément manqué à son obligation de négocier avec diligence et bonne foi — il n'y a toutefois pas lieu de retenir la responsabilité personnelle de la DG — elle a agi en tout temps dans le cadre de ses fonctions et avec l'aval ou à la demande expresse du propriétaire de l'hôtel.

Plainte en vertu de l'article 53 C.tr. — rejetée — l'employeur reproche au syndicat d'avoir refusé de continuer la négociation tant que les demandes de la plateforme commune de négociation coordonnée du secteur de l'hôtellerie n'avaient pas été accueillies — à ce moment, les parties en étaient à leur cinquième séance de négociation — les discussions achoppaient sur la question du salaire et de la durée de la convention collective — le Tribunal estime que le syndicat n'a fait montre d'aucune hostilité envers le processus de négociation — celui-ci négociait de façon serrée et cherchait à défendre avec vigueur les intérêts des salariés alors que les pourparlers n'étaient pas encore très avancés — aucune négociation de façade ne peut être imputée au syndicat — les parties ont convenu de requérir l'assistance d'un médiateurconciliateur du ministère du Travail — le fait que le syndicat ait préféré suspendre les discussions en attendant la convocation du médiateur-conciliateur ne permet pas de conclure à un manquement à son obligation de négocier avec diligence et bonne foi — l'employeur se plaint également de la manière dont l'association a présenté ses offres aux salariés lors des assemblées générales — or, le syndicat a présenté les offres en les lisant «ligne par ligne» aux salariés et en les commentant en fonction de son interprétation des faits et de ses demandes — le Tribunal ne peut y voir quelque manquement que ce soit — l'employeur prétend que, par ses gestes, le syndicat a contrevenu à la liberté d'association des salariés qu'il a le mandat de représenter — l'employeur plaide pour autrui — il n'a aucun intérêt juridique à se porter garant de la liberté d'association des salariés, et ce, individuellement ou collectivement.

Plainte en vertu de l'article 12 C.tr. — accueillie — le syndicat a déposé une seconde plainte en lien avec les allégations et les conclusions contenues dans la plainte de l'employeur en vertu de l'article 53 C.tr. ainsi que dans sa requête en vertu de l'article 58.2 C.tr. — le syndicat soutient que l'employeur a cherché à évaluer, à critiquer et à superviser les informations présentées au cours des assemblées générales — il estime que l'employeur a déployé des efforts en vue de lui dicter sa conduite en prenant le parti de salariés pétitionnaires, et ce, à son détriment — l'employeur s'est désisté de sa requête en vertu de l'article 58.2 C.tr., mais les allégations et les conclusions qui y sont contenues constituent des faits devant être examinés pour statuer sur la plainte du syndicat — le Tribunal conclut que les allégations dans les procédures de l'employeur dénotent de la témérité — celui-ci a sciemment tenté de faire indirectement ce que l'article 12 C.tr. lui interdit — il ne pouvait raisonnablement ignorer les conséquences de ses gestes — au moment d'introduire ses recours, l'employeur était déjà visé par une ordonnance provisoire lui enjoignant de cesser d'entraver et de ne plus chercher à entraver les activités du syndicat — la tentative d'entrave aux activités syndicales ne fait aucun doute — le Tribunal n'impute aucune responsabilité personnelle à la DG.

Des ordonnances sont rendues — le Tribunal enjoint notamment à l'employeur de cesser ses comportements qui contreviennent aux articles 12 et 53 C.tr. — il ordonne à l'employeur de transmettre la présente décision à l'ensemble des salariés représentés par le syndicat par courriel ainsi que par la plateforme collaborative — le syndicat réclame 10 000 $ en dommages punitifs dans le cadre de sa première plainte et 20 000 $ en lien avec sa seconde plainte — le caractère intentionnel de l'atteinte à la liberté d'association garantie par l'article 3 de la Charte des droits et libertés de la personne a été établi — l'employeur ne pouvait raisonnablement ignorer les conséquences de ses actions et l'effet perturbateur que celles-ci auraient pour le syndicat — au surplus, il a poursuivi sa croisade antisyndicale malgré l'ordonnance provisoire du Tribunal — la création de conditions propices à la négociation passe par le rétablissement du rapport de force en faveur du syndicat — cet objectif pourra être atteint en accordant des dommages punitifs — le syndicat obtient 10 000 $ pour chacune de ses 2 plaintes.

Suivi

Pourvoi en contrôle judiciaire, 2025-09-05 (C.S.), 200-17-037957-255.