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Suspension pour une archiviste curieuse

Une suspension de 1 mois est substituée au congédiement d'une archiviste qui a accédé à son propre dossier et à celui d'un membre de sa famille, et ce, sans consentement; le syndicat a démontré que l'employeur avait imposé des sanctions moins sévères à des salariés ayant commis des fautes similaires.
16 juillet 2025

Intitulé

Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) et Santé Québec — Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec (Nancy Bastien), 2025 QCTA 136

Juridiction

Tribunal d'arbitrage (T.A.)

Type d'action

Grief contestant un congédiement. Accueilli en partie.

Décision de

Me Julie Blouin, arbitre

Date

4 avril 2025


Une archiviste a été congédiée pour avoir accédé sans autorisation à son dossier personnel et à celui d'un membre de sa famille à 4 reprises entre mars et octobre 2023. L'employeur soutient qu'il s'agissait de «bris de confidentialité» répétés et que le lien de confiance a été rompu. Tout en admettant qu'il y a eu des fautes méritant une sanction, le syndicat considère qu'il n'y a pas eu de bris de confidentialité au regard de 3 des manquements puisque la plaignante était en droit de connaître les informations consultées dans son dossier. Il estime que cette dernière a fait l'objet d'une sanction inéquitable et incohérente par rapport à d'autres salariés que l'employeur a sanctionnés pour des fautes similaires.

Décision

La plaignante a commis un bris de confidentialité en consultant son dossier, et ce, même si c'était pour accéder à une information qu'elle était en droit d'obtenir. Elle aurait dû faire une demande officielle d'accès. L'absence de consentement du membre de la famille dont le dossier a été consulté par la plaignante rend la faute commise objectivement plus grave, d'autant plus qu'il est question d'informations confidentielles concernant un tiers et que celles-ci n'étaient pas nécessaires pour le travail. Cela est plus grave que de consulter son dossier personnel ou celui d'un proche qui y a consenti. La plaignante a commis des fautes qui méritent une sanction.

L'employeur invoque un courant jurisprudentiel qui considère que la preuve au soutien d'une défense fondée sur le principe de la cohérence des sanctions n'est recevable que lorsque les circonstances d'une affaire visent plusieurs salariés ou que la partie adverse ne s'y oppose pas. Or, le Tribunal estime qu'il est contraire aux principes de la justice naturelle de faire reposer le droit de présenter une défense sur le consentement de l'employeur. Le Tribunal doit déterminer si ce dernier a agi avec justice et équité et si le moyen de défense fondé sur la cohérence des sanctions est valable. La preuve relative aux sanctions imposées à d'autres salariés pour bris de confidentialité est pertinente et fait partie des circonstances en l'espèce puisque le syndicat prétend que la plaignante a reçu un traitement inéquitable. L'objection de l'employeur est rejetée.

Avant même de tenir compte des sanctions imposées à d'autres salariés, le Tribunal estime que le congédiement de la plaignante est disproportionné au regard des fautes commises et de la jurisprudence. Les décisions soumises par l'employeur concernent des manquements beaucoup plus graves qu'en l'occurrence, soit de multiples bris de confidentialité sans le consentement des usagers, la divulgation d'informations confidentielles et des mensonges. Invoquant la cohérence des sanctions, le syndicat a mis en preuve 2 suspensions et 1 avis disciplinaire imposés par l'employeur en lien avec plusieurs bris de confidentialité commis entre 2022 et 2024. De son côté, celui-ci a mis en preuve 2 congédiements imposés respectivement en 2021 et en 2024, le premier ayant été confirmé par un arbitre. Or, les faits ayant mené à ces congédiements ne sont d'aucune commune mesure avec ceux de l'espèce puisqu'il y avait eu plusieurs bris de confidentialité visant plusieurs usagers, et ce, sans explication. Les cas soumis par le syndicat présentent des faits comparables à ceux à l'étude et se sont soldés par des suspensions variant de 2 à 15 jours. Il appert que l'employeur applique normalement le principe de la progression des sanctions en pareille situation, mais qu'il ne l'a pas fait pour la plaignante. Il a également été démontré que, lorsqu'un salarié consulte son propre dossier ou celui d'un proche, une procédure prévoit une rencontre avec un gestionnaire, la remise d'une lettre et la signature d'un engagement. Cette procédure n'a pas été appliquée à la plaignante. Il est évident pour le Tribunal que l'employeur a agi différemment avec la plaignante qu'avec les autres salariés sanctionnés pour des manquements similaires.

Les nombreuses années d'expérience de la plaignante comme archiviste, un poste dont la responsabilité est de veiller à la protection des données confidentielles, constituent un facteur aggravant. Le Tribunal ne retient toutefois pas la prétention selon laquelle le lien de confiance a été rompu. L'employeur a été avisé des bris de confidentialité le 20 octobre 2023 et a obtenu la version des faits de la plaignante le 2 novembre suivant, mais il n'a pas cru nécessaire de retirer celle-ci du travail jusqu'à son congédiement du 27 novembre. Enfin, il existe des facteurs atténuants, dont le fait que la plaignante a admis ses torts à la première occasion et le faible risque de récidive. Dans les circonstances, une suspension de 1 mois est substituée au congédiement.