Intitulé
Ansell c. Traffic Tech inc., 2025 QCTAT 1694
Juridiction
Tribunal administratif du travail, Division des relations du travail (T.A.T.), Montréal
Type d'action
Plaintes en vertu de l'article 123.6 de la Loi sur les normes du travail (L.N.T.) pour harcèlement psychologique — accueillies.
Décision de
Véronique Emond, juge administrative
Date
28 avril 2025
Décision
Le plaignant occupait le poste de directeur de la sécurité et de la conformité chez l'employeur, une entreprise de logistique spécialisée dans le transport commercial — la plaignante, qui est également la conjointe du plaignant, occupait quant à elle le poste de directrice de la facturation chez le même employeur — les plaignants prétendent qu'ils ont subi un incident unique grave, à savoir une altercation au cours de laquelle ils ont été congédiés, suivie d'un événement où leur intégrité physique et psychologique a été mise en danger — l'employeur allègue que ses obligations de prévenir et de faire cesser le harcèlement ne sont pas applicables à cette affaire, car les événements se sont déroulés dans la sphère privée des parties, soit lors d'une activité sociale au chalet du président — c'est le président qui a amené la conversation vers un sujet lié travail et non les plaignants — ceux-ci ont vu leur sécurité menacée étant donné les conditions dans lesquelles ils ont été ramenés à la marina, selon la décision unilatérale du président — que ce dernier n'ait plus souhaité poursuivre la discussion et qu'il ait considéré les plaignants comme ivres et irrespectueux alors qu'ils étaient sur sa propriété est une chose, mais l'urgence de les expulser au milieu de la nuit tandis qu'ils avaient tous consommé de l'alcool en est une autre — il s'agit d'un geste hautement risqué qui ne saurait se justifier — le président a véritablement congédié les 2 plaignants le 21 novembre 2020 — les termes employés et les gestes effectués ne souffrent d'aucune ambiguïté — les plaignants n'étaient plus les bienvenus dans l'entreprise, dont le président est le propriétaire unique — ils ont été victimes d'une conduite vexatoire, plus précisément d'une conduite unique grave, à savoir une altercation au cours de laquelle ils ont été l'objet de propos blessants, tenus sur un ton irrespectueux, et où ils ont été congédiés sans ménagement — le président les a en outre placés dans des conditions dangereuses qui constituaient une menace à leurs vies — il y a eu atteinte à leur dignité, mais surtout à leur intégrité psychologique et physique — les plaignants se sont retrouvés sans emploi en même temps, donc sans revenu familial, et ce, en pleine pandémie de la COVID-19 — ils ont été perturbés tant par la perte de leurs emplois de cadres, qu'ils occupaient tous deux depuis de nombreuses années, que par les circonstances dans lesquelles cela est survenu — la période de «flottement» que l'employeur leur a fait vivre dans les semaines ayant suivi les événements a été extrêmement difficile pour eux — ils ont vécu un grand stress et celui-ci s'est étendu bien au-delà de l'incident vécu cette nuit-là — il s'agit d'une conduite grave ayant eu durant une période prolongée un effet nocif pour les 2 plaignants — ces derniers ont démontré avoir été victimes de harcèlement psychologique au travail.
Par ailleurs, il ne fait aucun doute qu'il y avait une relation de subordination lorsque le président a abordé un sujet en lien avec le travail, qu'il a fait part de ses attentes professionnelles envers le plaignant dans un contexte précis et que, mécontent de la tournure des événements, il a congédié les plaignants — il a exercé pleinement ses droits de gestion envers ses employés — cela dépasse le cadre d'une rencontre amicale — la connexité avec le travail est sans équivoque — ces événements graves ont eu d'importantes répercussions sur le milieu de travail des plaignants — il est vrai que le président est peu présent dans les bureaux de l'entreprise et qu'il a peu ou pas de contacts avec les plaignants au quotidien — il est cependant difficile de concevoir que les 2 plaignants auraient pu continuer à exercer leur travail comme si de rien n'était et à contribuer à une organisation appartenant à la personne qui a mis leur sécurité à risque — le milieu de travail a nécessairement été altéré de façon importante par les événements, et ce seul élément suffit pour décider qu'ils se sont produits dans la sphère professionnelle — l'employeur ne peut se réfugier derrière l'argument de la sphère personnelle pour être relevé de son obligation d'offrir un climat de travail sain et exempt de harcèlement à ses employés — bien que les plaignants n'aient pas déposé de plainte officielle en vertu de la politique interne de l'entreprise, ils ont dénoncé les faits à la première occasion à leurs supérieurs immédiats respectifs et aux personnes responsables — l'employeur n'a pas satisfait à son obligation de faire cesser le harcèlement — il n'a rien fait, outre qu'exiger le retour au travail des plaignants comme si rien ne s'était passé.
Plaintes en vertu de l'article 124 L.N.T. à l'encontre d'un congédiement — accueillies — l'intention de l'employeur de se départir des services des plaignants était claire et manifeste — ce dernier a par la suite souhaité contraindre les plaignants à revenir au travail, alors que les conditions de travail avaient été modifiées unilatéralement de façon considérable — le comportement postérieur des plaignants démontre qu'ils croyaient sincèrement avoir été congédiés — le président les a congédiés, puis il leur a demandé de régler le tout avec leurs supérieurs immédiats respectifs — c'est pourquoi les plaignants ont refusé de revenir au travail — rien ne laisse croire qu'ils ont librement et volontairement démissionné — la seule autre conclusion possible est qu'ils ont été l'objet d'un congédiement sans cause juste et suffisante — l'employeur n'a fait valoir aucun motif pour justifier leur fin d'emploi — les congédiements sont annulés — il semble impossible et non souhaitable de réintégrer les plaignants dans leur milieu de travail — le poste occupé par leur harceleur ainsi que les circonstances du congédiement sont de nature à rendre la réintégration illusoire — les échanges postérieurs à la fin d'emploi entre les parties démontrent une hostilité encore bien présente entre elles, alors que les plaignants occupaient des postes de cadres exigeant une confiance et un respect mutuels — la poursuite d'une relation basée sur de telles valeurs essentielles à l'accomplissement de leurs tâches est impossible, compte tenu des circonstances particulières du dossier.