Intitulé
Alliance des professeures et professeurs de Montréal (FAE) et Centre de services scolaire de Montréal (Saïda Harrat et autres), 2025 QCTA 99 *
Juridiction
Tribunal d'arbitrage (T.A.)
Type d'action
Griefs contestant 1 suspension et 2 réprimandes. Deux des griefs sont rejetés, le troisième est accueilli en partie.
Décision de
Me Patrice Boudreau, arbitre
Date
20 mars 2025
Les 3 plaignantes sont enseignantes au primaire. La première a fait l'objet d'une suspension sans solde de 1 journée après avoir pris la parole au cours d'une séance du conseil d'établissement de l'école, son intervention ayant été jugée fautive par l'employeur. Quant aux 2 autres plaignantes, l'employeur estime qu'elles ont commis des inconduites en transmettant tour à tour un courriel adressé à la directrice de l'école tout en mettant plusieurs de leurs collègues en copie conforme, ce qui justifiait la remise d'une lettre de réprimande à chacune d'elles. Essentiellement, la position de l'employeur repose sur le fait que les plaignantes auraient dérogé à leur devoir de loyauté envers sa représentante, soit la directrice de l'école. Il prétend que ces dernières ont mis en doute la transparence, l'objectivité ou le jugement de la directrice lorsqu'elles se sont exprimées à l'égard de certaines de ses positions. Il reproche également à 2 d'entre elles d'avoir emprunté des voies de communication inappropriées pour ce faire, ce qui contreviendrait aux Lignes directrices sur l'utilisation des technologies à la Commission scolaire de Montréal. L'employeur considère que les plaignantes ont manqué de respect envers la directrice de l'école, qu'elles ont fait preuve d'insubordination ou encore qu'elles ont porté atteinte à sa réputation. Les griefs déposés par le syndicat visent à obtenir l'annulation des mesures disciplinaires prises par l'employeur. Sont invoqués au soutien de ces griefs la liberté d'expression des plaignantes ainsi que leur droit à l'exercice d'activités syndicales.
Décision
En réponse à l'argument du syndicat fondé sur le droit à l'exercice d'activités syndicales, il y a lieu de conclure que les enseignants nommés au sein du Comité de participation des enseignantes et enseignants aux politiques de l'école (CPEPE) ou du Comité au niveau de l'école pour les élèves à risque et les élèves handicapés ou en difficulté d'adaptation ou d'apprentissage de l'école n'occupent pas de fonctions syndicales. Il n'existe aucune comparaison possible entre le rôle occupé par les plaignantes au sein de ces comités à la suite de leur nomination par leurs collègues et celui occupé par une personne ayant été désignée par le syndicat. Les arguments que ce dernier fait valoir sur la base de la liberté d'association doivent donc être rejetés.
Par ailleurs, les faits à l'origine des reproches formulés par l'employeur ont été prouvés. Quant à savoir s'ils constituent des fautes pouvant justifier les mesures disciplinaires imposées, il est nécessaire d'analyser la question sous l'angle de la liberté d'expression des plaignantes par opposition à leur devoir de loyauté envers leur employeur. Il s'agit essentiellement de statuer sur la raisonnabilité des limites imposées aux plaignantes par l'employeur lorsqu'elles ont exprimé leur désaccord à l'égard de positions prises par la directrice de l'école dans l'exercice de ses fonctions. Plusieurs éléments contextuels doivent être considérés à cette fin, tels que le climat de travail tendu au sein de l'école et le fait que 4 enseignantes membres du CPEPE aient démissionné de ce comité de façon concomitante des événements reprochés. Le mandat à caractère consultatif des 2 comités en cause quant à l'évaluation des besoins de l'école en matière de services complémentaires et particuliers à rendre aux élèves doit également pris en compte. Dans le cas de la première plaignante, les messages qui lui ont valu 1 journée de suspension comportaient certaines informations inexactes, voire mensongères, ce qui constitue une faute méritant une mesure disciplinaire. Ce faisant, cette plaignante a en effet enfreint son devoir de loyauté envers son employeur. Il en aurait été autrement si, par exemple, les messages diffusés avaient été composés de propos critiques, mais véridiques et exhaustifs, visant la recommandation formulée par la directrice. Le droit à la liberté d'expression n'est pas absolu; tout dépend du contexte mis en preuve. Or, le contexte en l'espèce ne permettait pas à la plaignante de faire des déclarations visant à porter atteinte à l'autorité et à la crédibilité de la directrice. Une personne salariée raisonnable placée dans le même contexte se serait abstenue de véhiculer de tels propos inexacts. La mesure disciplinaire imposée à la première plaignante était juste et raisonnable dans les circonstances.
Quant à la deuxième plaignante, le problème réside dans le fait que le courriel qu'elle a adressé à la directrice a également été transmis à l'ensemble du personnel enseignant. Si la plaignante avait choisi de l'adresser à la directrice uniquement, il aurait été plus plausible de croire qu'elle souhaitait lui dénoncer ce qu'elle considérait comme un manque de transparence, du favoritisme et une injustice. Ce n'était toutefois pas le cas, et son choix dénote l'intention de miner l'autorité de sa supérieure hiérarchique tout en incitant les autres destinataires à se rallier à elle. Une personne raisonnable n'aurait pas agi de la sorte. Par ailleurs, la plaignante a fait usage des outils informatiques de son employeur en violation des Lignes directrices sur l'utilisation des technologies à la Commission scolaire de Montréal, car rien dans son message ne peut être associé à l'exécution de ses tâches d'enseignante. Ce dernier reproche doit donc également être retenu contre elle. La mesure disciplinaire imposée dans ce cas était juste et raisonnable dans les circonstances.
Enfin, bien que la troisième plaignante ait exprimé des propos qui attaquaient personnellement la directrice et qui étaient susceptibles de porter atteinte à sa réputation, il y a absence de preuve relativement à de possibles répercussions sur la directrice ou l'employeur. Si les opinions émises dans ce courriel ont offensé la directrice ou produit des effets négatifs sur le climat de travail de l'école, l'employeur n'en a pas fait la démonstration. Néanmoins, tout comme sa collègue, la troisième plaignante a fait usage des outils informatiques de son employeur en violation des Lignes directrices sur l'utilisation des technologies à la Commission scolaire de Montréal, de sorte que ce dernier reproche doit aussi être retenu contre elle. Cependant, la mesure disciplinaire qui lui a été imposée était trop sévère et disproportionnée en comparaison de celle imposée à la deuxième plaignante. La réprimande est modifiée en un avertissement écrit.
Suivi
Pourvoi en contrôle judiciaire, 2025-04-17 (C.S.), 500-17-133845-258.