Intitulé
Taylor et 9135-2062 Québec inc., 2025 QCTAT 1722
Juridiction
Tribunal administratif du travail, Division de la santé et de la sécurité du travail (T.A.T.), Richelieu-Salaberry
Type d'action
Contestation par le travailleur d'une décision ayant déclaré qu'il n'avait pas subi de lésion professionnelle. Contestation accueillie.
Décision de
Karine Poulin, juge administrative
Date
23 avril 2025
Le travailleur occupe un poste de chauffeur d'autobus scolaire. Il s'est arrêté dans un restaurant pour s'acheter un café pendant l'heure de battement entre 2 trajets. Alors qu'il se dirigeait vers son autobus, qui était garé dans la rue, il a fait une chute dans le stationnement du restaurant. Il a produit une réclamation pour des diagnostics à l'épaule. La CNESST a accepté sa réclamation. L'instance de révision a infirmé cette décision.
Décision
Le travailleur ne peut bénéficier de la présomption de lésion professionnelle. L'existence d'une blessure n'est pas contestée. Toutefois, celle-ci n'est pas survenue alors que le travailleur était à son travail. Même si son horaire ne prévoit pas officiellement de pause, ce dernier prenait effectivement une pause lorsqu'il s'est arrêté au restaurant et est descendu de son autobus, et ce, que ce soit pour utiliser les installations sanitaires ou pour s'acheter un café.
Le travailleur a subi un accident «à l'occasion du travail». L'existence d'un événement imprévu et soudain de même que son lien de causalité avec la lésion subie ne sont pas contestés. Le Tribunal estime qu'un travailleur qui exerce son emploi sur la route et qui subit un accident lors d'une pause doit bénéficier de la même protection que celui qui exerce son travail dans un établissement de l'employeur. L'analyse doit nécessairement tenir compte des particularités propres au domaine et à la prestation de travail dans son contexte. En l'espèce, il est admis que l'«itinéraire gauche-droite» préparé par l'employeur ne prévoit aucun endroit où le travailleur peut se garer et attendre pendant les périodes de battement. Il ne peut s'arrêter dans un garage à sa guise pour y prendre une pause, se ravitailler ou utiliser les toilettes. Il est évident que, pendant cette période de battement, le travailleur doit immobiliser son véhicule quelque part avant d'entreprendre son deuxième trajet, qui commence environ 30 minutes plus tard. Il est prévisible qu'il profite de cette période d'attente pour soulager ses besoins personnels ou tout simplement pour s'acheter à boire ou à manger. Le travailleur a choisi un endroit situé à proximité de son premier point d'embarquement pour immobiliser son véhicule et prendre une pause de quelques minutes. Qu'il ait choisi un endroit où il peut se soulager et s'acheter un café plutôt que les abords d'un champ, comme il le fait parfois, ne change rien à l'affaire. Par ailleurs, le travailleur a garé son autobus de l'autre côté de la rue, en face du restaurant, parce que le stationnement de ce commerce ne pouvait accueillir un véhicule de cette taille. Il s'est ensuite rendu à pied jusqu'au restaurant, s'est procuré un café et a immédiatement repris le chemin vers son autobus pour réintégrer sa sphère professionnelle. C'est à ce moment, alors qu'il traversait le stationnement, qu'il a fait une chute et s'est blessé. Bien que cette chute soit survenue à une certaine distance de son véhicule, le choix de cet emplacement était dicté par les contraintes physiques du véhicule et non par une préférence personnelle. La distance à parcourir pour retourner à l'autobus était donc une conséquence naturelle et nécessaire de cette contrainte, et le travailleur ne peut en subir un préjudice. Si ce dernier se trouvait à cet endroit à ce moment précis, c'était pour réintégrer sa sphère professionnelle. Le chemin reliant le restaurant à l'autobus constitue une extension des voies usuelles d'accès au lieu de travail du travailleur. Quant à la preuve administrée par l'employeur relativement au non-respect présumé de ses politiques internes, il ne s'agit pas en l'espèce d'un dossier disciplinaire ni d'un dossier de financement. De plus, le Tribunal considère qu'il n'est pas pertinent de traiter de celles-ci dans le cadre d'un dossier d'indemnisation qui porte sur le lien entre un accident et un travail, et non sur le respect ou la violation d'un contrat de travail, les droits prévus à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles étant conférés sans égard à la responsabilité. Par conséquent, le travailleur a subi une lésion professionnelle.