Intitulé
A c. Office municipal d'habitation de Montréal, 2025 QCTAT 1199
Juridiction
Tribunal administratif du travail, Division des relations du travail (T.A.T.), Montréal
Type d'action
Plainte en vertu de l'article 122 de la Loi sur les normes du travail (L.N.T.) à l'encontre d'un congédiement — moyen préliminaire de l'employeur relatif à la recevabilité de la plainte — moyen préliminaire accueilli; la plainte est rejetée.
Décision de
Véronique Emond, juge administrative
Date
18 mars 2025
Décision
En 2019, la plaignante a été embauchée à titre de cadre dans une résidence de type HLM — en 2020, elle a été congédiée — elle a déposé sa plainte en 2023, soit en dehors du délai prévu par la loi — elle échoue à démontrer un motif raisonnable permettant de la relever de son omission — elle savait qu'elle disposait d'un délai de 45 jours pour déposer son recours — elle ne peut se contenter de dire qu'elle a été induite en erreur par la CNESST; elle doit en faire la preuve — la prétention de la plaignante implique que 3 employés de la CNESST, un organisme spécialisé, auraient commis la même erreur dans son dossier en lien avec le même élément de base, soit les critères donnant ouverture au recours prévu à l'article 123 L.N.T. — cette situation est invraisemblable — la plaignante possède un baccalauréat en droit en plus d'une formation de niveau supérieur en gestion — son conjoint est avocat et il l'accompagnait de près dans ce qu'elle vivait — si un doute persistait quant à ses recours suivant ses échanges avec le premier agent de la CNESST, il appartenait à la plaignante de s'informer, comme toute personne raisonnable et prudente l'aurait fait à sa place.
Plainte en vertu de l'article 123.6 L.N.T. pour harcèlement psychologique — rejetée — en ce qui concerne les agissements d'une subalterne, la plaignante avait le pouvoir d'intervenir et de faire cesser les comportements inadéquats à son endroit — elle n'a fait aucune intervention officielle de gestion alors qu'elle était la supérieure de l'agente — la plaignante n'avait pas à obtenir l'assentiment de la directrice pour intervenir — le Tribunal ne retient pas que sa supérieure l'aurait empêchée d'intervenir — elle lui a simplement demandé d'être diligente afin de s'assurer que l'agente en cause ne parte pas en congé de maladie — la plaignante ne peut qualifier cette conduite de vexatoire alors qu'il était en son pouvoir de la faire cesser ou, du moins, de tenter de la faire cesser.
La plaignante a été l'objet de propos et de gestes hostiles et non désirés de la part d'au moins 6 résidents sur les lieux du travail — ces propos et ces gestes se sont répétés pendant une longue période, soit de décembre 2019 à la fin d'emploi, en novembre 2020 — les propos tenus à l'égard de la plaignante étaient d'une grande cruauté et lourds de sens, notamment en raison de l'expression «retourne dans ton pays», que les tribunaux ont qualifiée de grave à plusieurs occasions — quant aux événements de nature sexuelle, le Tribunal retient que la plaignante a vu un résident sortir de la salle de bains en se masturbant — que celui-ci se soit masturbé ou qu'il ait souhaité obtenir de l'aide pour ouvrir la lumière n'y change rien — il était légitime pour la plaignante de croire que le résident effectuait un geste indécent — il s'agit d'un événement unique grave puisque, même s'il s'est produit 1 seule fois, il a eu un effet nocif à long terme sur la plaignante — une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances aurait cru qu'il s'agissait d'un geste à connotation sexuelle non désiré — en matière de harcèlement psychologique, l'intention malicieuse du présumé harceleur est sans importance et n'a pas à être prouvée — les menaces à l'intégrité physique dont la plaignante a été l'objet de la part de ce résident par la suite s'ajoutent à la gravité des événements.
En ce qui concerne les événements en lien avec la directrice du service, la plaignante a reçu un accompagnement au moins équivalent à celui des autres cadres occupant des fonctions de même nature — compte tenu de son manque d'expérience en gestion, auquel s'est ajouté le contexte inédit de la pandémie de la COVID-19, il est possible que la plaignante ait nécessité davantage d'encadrement, mais cela ne saurait équivaloir à une conduite vexatoire — les propos tenus par la directrice en lien avec le fait qu'il s'agissait de sa première embauche d'une personne appartenant à une minorité visible dans un poste de cette nature étaient maladroits et susceptibles d'être mal interprétés — ils ne possèdent toutefois pas le caractère hostile et il s'agit d'un événement isolé — par ailleurs, l'employeur a démontré que le congédiement découlait de motifs liés aux compétences de gestion et à l'attitude inadéquate de la plaignante dans l'exercice de son rôle.
Les propos de nature discriminatoire qui ont été tenus à répétition durant une période de près de 1 an par quelques résidents, combinés aux menaces à l'intégrité physique de la plaignante, constituent une conduite vexatoire — il s'agit de propos et de gestes hostiles non désirés — la plaignante a également été victime d'un geste de violence à caractère sexuel — elle a subi une atteinte grave à son intégrité psychologique et à sa dignité — elle n'était plus en mesure de fonctionner dans ses activités normales quotidiennes depuis sa fin d'emploi — les événements survenus ont entraîné un milieu de travail néfaste, la plaignante n'étant plus en mesure d'effectuer son travail.
L'employeur s'est acquitté de son obligation d'agir pour prévenir et faire cesser le harcèlement — il possède d'ailleurs une politique de harcèlement psychologique qui est présentée aux gestionnaires dès leur arrivée en poste — en plus d'encourager la plaignante à intervenir promptement à chaque occasion, il l'a accompagnée et lui a offert des conseils — il s'agissait d'une situation particulière — c'est la plaignante qui était responsable de la sécurité dans la résidence et de la relation avec les résidents — sa supérieure était également responsable, mais elle agissait d'abord à titre de «coach» auprès de la plaignante, ce qu'elle a fait chaque fois qu'elle a été informée d'une situation problématique — il faut noter que le milieu de travail en cause est difficile, que la clientèle est défavorisée et que certains résidents adoptent des comportements marginaux et tiennent des propos inacceptables — les moyens qui se trouvaient à la disposition de l'employeur étaient limités — le processus d'intervention présenté devant le Tribunal semble pertinent et il a été appliqué avec diligence.
Le nom de la plaignante doit être anonymisé dans la décision et toute information pouvant permettre de l'identifier dans la preuve documentaire admise doit être caviardée — des risques pour sa sécurité existent notamment en raison des nombreuses agressions verbales et des menaces à son intégrité physique qu'elle a subies à la suite des événements — il existe un risque réel d'aggraver l'état de santé déjà fragile de la plaignante en publiant son nom — le huis clos n'est toutefois pas nécessaire pour atteindre les objectifs visés et n'est pas accordé — le Tribunal ordonne d'office le caviardage des noms des résidents, lesquels appartiennent à une catégorie de personnes vulnérables à plusieurs égards.