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Du harcèlement qui porte atteinte à la dignité d’un employé

Un technicien en environnement a fait l'objet de harcèlement psychologique; se moquer de lui en le désignant à plusieurs reprises par le nom d'un terroriste a porté atteinte à sa dignité et a créé pour lui un milieu de travail néfaste.
16 juin 2025

Intitulé

Affane c. BonTerra Ressources inc., 2025 QCTAT 957

Juridiction

Tribunal administratif du travail, Division de la santé et de la sécurité du travail et Division des relations du travail (T.A.T.), Abitibi-Témiscamingue

Type d'action

Plainte en vertu de l'article 123.6 de la Loi sur les normes du travail (L.N.T.) pour harcèlement psychologique — accueillie.

Décision de

François Demers, juge administratif

Date

4 mars 2025


Décision

Le demandeur occupait un poste de technicien en environnement dans une entreprise d'exploitation minière — il avance que, lorsqu'il croisait un collègue à la salle d'entraînement de l'entreprise, ce dernier disait un commentaire désobligeant — une telle remarque est potentiellement hostile et non désirée — la preuve présentée ne permet toutefois pas d'établir que la remarque visait personnellement le demandeur, pas plus que les rires du collègue — le demandeur allègue par ailleurs que son superviseur lui confiait des tâches comportant des risques pour sa santé et qui s'écartaient de la définition de ses fonctions — il n'a pas démontré que l'assignation du travail présentait un aspect abusif ou déraisonnable — le demandeur prétend qu'on ne lui a pas remis les pièces d'équipement de protection appropriées en fonction de la tâche qui lui était confiée — rien n'indique qu'il a fait une demande ou une démarche en vue de les obtenir ni qu'elles lui ont été refusées — le demandeur faisait partie d'une petite équipe (3 personnes, y compris le superviseur), ce qui impliquait une flexibilité dans l'assignation des tâches et un recours régulier au concept de «tâches connexes» — le demandeur avait le droit de refuser d'exécuter un travail s'il avait des motifs raisonnables de croire que l'exécution de celui-ci l'exposait à un danger pour sa santé, sa sécurité ou son intégrité physique — la preuve ne démontre pas qu'il s'est prévalu de ce droit ni que l'employeur l'en aurait empêché — le demandeur n'a pas non plus prouvé la véritable dangerosité des tâches qui lui étaient assignées — une personne raisonnable ne verrait pas dans l'assignation des tâches contestées un caractère hostile — il n'y a pas de preuve prépondérante de propos, de gestes ou de comportements hostiles du superviseur — la preuve indique que le demandeur a commis des gestes qui ont généré 3 sanctions — elle ne démontre pas que l'employeur a utilisé son droit de gestion d'une façon abusive, arbitraire ou discriminatoire — quant à l'événement lors duquel le directeur a dû fermer la porte (sans la claquer) afin de poursuivre une conversation qui était déjà engagée, une personne raisonnable ne verrait rien d'hostile dans ce comportement — les seules paroles hostiles et non désirées que la preuve établit comme visant le demandeur sont les références à Oussama ben Laden — étant donné la répétition de ces paroles par un collègue, cela permet de conclure à une conduite vexatoire — une personne raisonnable estimerait que le fait de se moquer d'un collègue en le désignant à répétition par le nom d'un terroriste international porte atteinte à la dignité de ce dernier et crée pour lui un milieu de travail néfaste — un milieu qui tolère des propos dénigrants et racistes n'est pas propice à l'atteinte des objectifs du travail de façon saine — il existe une preuve prépondérante de la dénonciation faite à l'employeur — ce dernier n'a pas démontré qu'il avait pris les moyens nécessaires pour faire cesser la conduite vexatoire — la preuve des sanctions que l'employeur aurait imposées à la suite des admissions du collègue en cause est si imprécise que l'on ne peut conclure qu'il s'est acquitté de ses obligations — la réaction de l'employeur était aussi tardive puisqu'elle a commencé seulement après le dépôt d'une plainte formelle, alors que le superviseur était au courant de la conduite dénoncée depuis plusieurs semaines

Contestation par l'employeur d'une décision ayant déclaré que le demandeur avait subi une lésion professionnelle — rejetée — le demandeur a subi un accident du travail — il est établi qu'on l'a appelé «Oussama ben Laden» à plusieurs reprises — il s'agit de faits concrets qui sont choquants, bouleversants ou perturbants, et donc «objectivement traumatisants» — l'utilisation de tels termes s'écarte du cadre normal et habituel du travail — il n'est pas normal de ridiculiser un travailleur en l'associant, sous le couvert d'un humour inacceptable, à un terroriste — l'existence d'un événement imprévu et soudain a été établie — le lien de causalité entre cet événement et la lésion diagnostiquée a également été démontré — le demandeur souffrait de dépression lors de son embauche — sa condition préexistante et les traitements qu'il recevait ne l'empêchaient pas de travailler — il est probable que les propos du collègue ont exacerbé la condition préalable du demandeur, lequel a subi une lésion professionnelle.

Contestation par le demandeur d'une décision relative à une plainte en vertu de l'article 32 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles — rejetée — rien dans le témoignage du demandeur ne représente un motif raisonnable de ne pas avoir respecté le délai pour déposer sa plainte — tout au plus, ce dernier invoque une méconnaissance de la loi.

Plainte en vertu de l'article 122 L.N.T. à l'encontre d'un congédiement — rejetée — le demandeur prétend qu'il a été congédié en raison de son absence pour cause de maladie — l'article 79.1 L.N.T. ne s'applique toutefois pas à une absence reliée à une lésion professionnelle — puisque le demandeur a été victime d'une lésion professionnelle qui l'a amené à s'absenter du 13 août au 10 septembre 2021, il n'a pas exercé de droit au sens de l'article 122 L.N.T. — la plainte mentionne également l'exercice d'un «autre droit» — le demandeur précise qu'il s'agirait de la dénonciation du harcèlement dont il s'estimait victime — l'employeur allègue que la fin d'emploi est attribuable à un licenciement pour cause économique — cette démonstration n'a pas été faite — le demandeur était en période d'essai au moment de sa fin d'emploi — le superviseur témoigne d'enjeux de nature technique dans la prestation de travail de ce dernier, et le Tribunal n'a aucune raison de douter de la véracité de ce témoignage — rien dans la preuve n'indique l'existence d'un prétexte — une note concomitante du superviseur indique même l'intention de mettre fin à l'emploi du demandeur avant la dénonciation du harcèlement.

Instance précédente

Michelle Lescarbeau, médiateur-décideur, C.N.E.S.S.T., AbitibiTémiscamingue, 510733900 et ROU22-006, 2022-10-12, 2022 QCCNESST 325, SOQUIJ AZ-51890841.

Réf. ant

(C.N.E.S.S.T., 2022-10-12), 2022 QCCNESST 325, SOQUIJ AZ-51890841.