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Suspension de l’indemnité de remplacement du revenu

Les sommes versées par l'employeur pendant la période des 14 jours suivant l'incapacité d'un travailleur à exercer son travail constituent une IRR pouvant faire l'objet d'une suspension; la CNESST devait suspendre son versement en l'absence du travailleur à son assignation temporaire sans raison valable.
6 mai 2025

Intitulé

Maintenance Blanchette et Rhéaume, 2025 QCTAT 383

Juridiction

Tribunal administratif du travail, Division de la santé et de la sécurité du travail (T.A.T.), Mauricie--Centre-du-Québec

Type d'action

Contestation par l'employeur d'une décision relative à la suspension de l'indemnité de remplacement du revenu (IRR). Contestation accueillie.

Décision de

Dominique Tancrède, juge administrative

Date

29 janvier 2025


Le 3 août 2022, le travailleur a subi une lésion professionnelle. Le professionnel de la santé a autorisé une assignation temporaire du 3 au 10 août 2022 et, par la suite, un retour au travail régulier. Le travailleur n'a pas effectué l'assignation temporaire du 8 au 10 août 2022 inclusivement. Le 9 août, l'employeur a demandé la suspension du versement de l'IRR puisque le travailleur avait omis d'effectuer le travail déterminé. La CNESST a refusé la demande au motif que cette mesure ne pouvait s'appliquer pendant la période du versement des 14 premiers jours suivant l'événement accidentel. L'instance de révision a confirmé cette décision.

Décision

La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) a pour objectif d'éviter à un travailleur qui a subi une lésion professionnelle une interruption du versement de son revenu en raison de délais administratifs, et ce, entre le moment de la survenance de l'accident et celui de la prise en charge par la CNESST. Cela évite ainsi un délai de carence. Pour ce faire, au moment de la survenance d'une lésion professionnelle, l'employeur doit verser un salaire au travailleur qui devient incapable d'exercer son emploi, et ce, conformément à ce qui est prévu à l'article 60 LATMP. Selon cette disposition, ce salaire constitue l'IRR à laquelle le travailleur a droit pour les 14 jours complets qui suivent son incapacité à exercer son emploi. En l'espèce, la CNESST a donc erré dans la qualification des sommes qu'a reçues le travailleur pendant cette période en mentionnant que le versement de l'IRR n'avait commencé qu'à la fin de celle-ci. Il n'y a aucune distinction à faire entre l'IRR versée pendant la «période obligatoire» et celle versée par la suite.

Le travailleur n'a pas effectué son assignation temporaire du 8 au 10 août 2022, et ce, sans raison valable. Il n'a pas non plus contesté celle-ci en vertu des articles 37 et ss. de la Loi sur la santé et la sécurité du travail. L'employeur n'a pas été informé du motif d'absence du travailleur. Ce dernier étant absent de l'audience, le Tribunal ne peut profiter d'une preuve ou encore d'explications à ce sujet. Par ailleurs, la règle générale en matière de suspension du versement de l'IRR veut qu'elle n'ait pas d'effet rétroactif. Cependant, le Tribunal souscrit à la position de la jurisprudence qui mentionne que, en matière d'assignation temporaire, lorsque le travailleur omet ou refuse d'effectuer le travail que son employeur lui assigne temporairement et qu'il était tenu de faire conformément à l'article 179 LATMP, la suspension de l'IRR peut être rétroactive. Les tenants de ce courant jurisprudentiel soulignent qu'il est trop restrictif de limiter la portée de cette mesure à un effet prospectif. Les délais administratifs relatifs au prononcé d'une décision qui dépendent de la CNESST n'ont pas à être imposés à l'employeur.

En l'espèce, l'employeur a demandé la suspension de l'IRR du travailleur le lendemain du premier jour où celui-ci s'est absenté. Afin de donner plein effet à l'article 142 LATMP, la suspension ne peut commencer au jour de la décision de la CNESST, soit le 19 décembre 2022, puisque celle-ci a été rendue plus de 4 mois après la demande présentée par l'employeur. Décider ainsi annulerait tout effet que peut avoir l'article 142 LATMP. Bien que la CNESST ait communiqué avec le travailleur pour l'informer des conséquences de ne pas se présenter à son assignation temporaire la journée même de la demande, elle a mis 132 jours à rendre sa décision. Compte tenu de ces faits particuliers, il y a lieu d'appliquer une suspension rétroactive du versement de l'IRR. La CNESST devait donc suspendre le versement de l'IRR pour la période du 8 au 10 août 2022 inclusivement.