Intitulé
Poirier et Service sécurité incendie - Ville de Montréal, 2025 QCTAT 624
Juridiction
Tribunal administratif du travail, Division de la santé et de la sécurité du travail (T.A.T.), Richelieu-Salaberry
Type d'action
Contestation par le travailleur d'une décision relative à son droit à l'indemnité de remplacement du revenu (IRR). Contestation accueillie. Contestation par le travailleur d'une décision relative à sa capacité d'exercer son emploi. Contestation accueillie. Dossier retourné à la CNESST.
Décision de
Pierre St-Onge, juge administratif
Date
6 février 2025
Le travailleur exerce le métier de pompier depuis 1987. Le 1er septembre 2019, il a pris sa retraite. En décembre 2022, la CNESST a accepté la réclamation du travailleur pour une lésion professionnelle. Elle a toutefois déclaré que celui-ci n'avait pas droit au versement de l'IRR puisqu'il n'était plus actif sur le marché du travail au moment de la survenance de la lésion professionnelle. Dans une autre décision, la CNESST a déterminé qu'elle n'avait pas à se prononcer sur la capacité de travail du travailleur puisque celui-ci n'avait pas droit à l'IRR.
Décision
Il est bien établi que l'IRR vise à compenser la perte de capacité de gain et non la perte effective de revenu. Le fait qu'un travailleur ait pris sa retraite, ait été mis à pied ou ait abandonné son emploi ne peut donc le priver du droit à l'IRR s'il devient incapable d'exercer l'emploi qu'il occupait habituellement. Dans Société Asbestos Ltée et Vachon (C.A.L.P., 1990- 10-01), SOQUIJ AZ-90156184 (Banque CALP AZ-4000007323), D.T.E. 90T-1365, [1990] C.A.L.P. 1177, la CALP a précisé que la seule question à se poser était de déterminer si la lésion professionnelle entraînait une incapacité à exercer l'emploi occupé habituellement par le travailleur. De même, la jurisprudence constante rappelle que la prise de la retraite après la survenance d'une lésion professionnelle ne met pas fin au droit à l'IRR. En ce qui concerne l'intention du législateur qu'il aurait manifestée lors des débats parlementaires intervenus en 1984 lors de l'adoption de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP), la référence à ces débats doit être utilisée avec prudence. Comme l'a rappelé la Cour supérieure dans Société immobilière 2081-2083 Marie-Victorin inc. c. Ville de Varennes (C.S., 2024-10-31), 2024 QCCS 3969, SOQUIJ AZ-52068181, 2024EXP-2740, lorsqu'une disposition législative est claire, le Tribunal ne peut se fonder sur des débats parlementaires pour y ajouter un texte qui n'y figure pas. Par ailleurs, le législateur a procédé à une réforme importante de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles au cours de l'année 2021. Lors de cette réforme, l'article 44 LATMP a fait l'objet d'un amendement, soit l'ajout, à la fin du deuxième alinéa, de la phrase: «Cet emploi devient, aux fins de l'application de la présente loi, son emploi.» Le législateur n'a aucunement modifié ou précisé la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles en ce qui concerne le droit à l'IRR des travailleurs retraités au moment de la manifestation d'une lésion professionnelle. Les débats parlementaires qui ont eu lieu lors de l'examen du projet de loi et qui ont mené à l'adoption de la Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail permettent de confirmer que le législateur n'entendait pas modifier le droit établi par la jurisprudence à ce sujet. La jurisprudence constante relative au droit à l'IRR des travailleurs retraités s'applique au présent dossier. Ainsi, pour décider si le travailleur a le droit de bénéficier ou non de l'IRR prévue à l'article 44 LATMP, le Tribunal doit déterminer si la lésion professionnelle subie par celui-ci le rend incapable d'exercer l'emploi qu'il occupait habituellement. Puisque le travailleur n'a occupé aucun autre emploi à la suite de sa retraite, cet emploi est celui de pompier.
L'article 46 LATMP prévoit une présomption selon laquelle un travailleur victime d'une lésion professionnelle est présumé incapable d'exercer son emploi tant que la lésion professionnelle dont il a été victime n'est pas consolidée. Pour repousser cette présomption, l'employeur doit démontrer que cette lésion n'a pas rendu le travailleur incapable d'exercer cet emploi. En l'espèce, le seul fait que le travailleur ait pris sa retraite ne signifie aucunement qu'il était alors devenu incapable d'exercer son emploi. La preuve administrée ne permet pas de conclure que nous sommes en présence d'une autre condition qui empêche le travailleur d'exercer son emploi de pompier. Puisque l'employeur n'a pas repoussé la présomption prévue à l'article 46 LATMP, celle-ci doit s'appliquer. En conséquence, le travailleur est incapable d'exercer son emploi de pompier tant que la lésion professionnelle n'est pas consolidée, ce qui est intervenu le 27 juin 2023. Puisque cette lésion a été consolidée avec une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles, la CNESST devait se prononcer sur la capacité de travail du travailleur. En effet, comme le soulignait la CLP dans Société canadienne des postes et Brouillet (C.L.P., 2012-01-19), 2012 QCCLP 337, SOQUIJ AZ-50823350, 2012EXPT-292, [2011] C.L.P. 855, la CNESST doit se prononcer sur la capacité du travailleur, malgré la retraite de ce dernier. En conséquence, le dossier est retourné à la CNESST afin qu'elle procède à l'évaluation de la capacité du travailleur de reprendre son emploi ou un emploi convenable en fonction de ses limitations fonctionnelles.