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Reconnaissance d’une lésion professionnelle

Pour bénéficier de la présomption de maladie professionnelle en présence d'un diagnostic d'état de stress posttraumatique, l'exposition répétée à une blessure grave ou à une mort effective doit avoir lieu fréquemment, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
8 mai 2025

Intitulé

Lavigne et Ville de Châteauguay, 2025 QCTAT 337

Juridiction

Tribunal administratif du travail, Division de la santé et de la sécurité du travail (T.A.T.), Richelieu-Salaberry

Type d'action

Contestation par la travailleuse d'une décision ayant déclaré qu'elle n'avait pas subi de lésion professionnelle. Contestation accueillie.

Décision de

Elisabeth Goodwin, juge administrative

Date

24 janvier 2025


En 2022, la travailleuse, une policière et une agente sociocommunautaire et aux relations médias, a produit une réclamation pour un stress post-traumatique chronique qu'elle attribuait à 3 événements traumatisants vécus au cours de sa carrière. La CNESST a refusé sa réclamation.

Décision

Puisque le législateur n'a prévu aucune disposition transitoire en ce qui a trait à l'application du nouvel article 29 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles ou du Règlement sur les maladies professionnelles, le Tribunal doit établir quelles dispositions législatives, entre les nouvelles et les anciennes, s'appliquent. C'est en juin 2022 que le diagnostic de stress post-traumatique chronique a été posé pour la première fois. Même si les événements qui ont mené à celui-ci se sont produits avant l'adoption du Règlement sur les maladies professionnelles, sans ce diagnostic, il n'aurait pas été possible de faire un recours. Le fait générateur de droit est donc survenu à la date où a été posé le diagnostic de la maladie professionnelle alléguée. Ce sont les nouvelles dispositions qui s'appliquent. Dans le règlement, la seule maladie qui est retenue à la section intitulée «Troubles mentaux» est le trouble de stress post-traumatique. Les conditions particulières qui y sont associées sont d'«avoir exercé un travail impliquant une exposition de manière répétée ou extrême à une blessure grave, à de la violence sexuelle, à une menace de mort ou à la mort effective, laquelle n'est pas occasionnée par des causes naturelles». Dans le présent dossier, en 2008, la travailleuse a été exposée à la mort d'un individu par pendaison. En 2015, elle a été appelée sur les lieux d'un accident d'automobile où elle a découvert un véhicule en feu à l'intérieur duquel un jeune homme était recroquevillé. En 2019, elle s'est rendue sur les lieux d'un accident agricole, où elle a constaté le décès évident d'un travailleur qui avait la tête écrasée et dont le cerveau était apparent.

Pour que la présomption s'applique, le Tribunal doit déterminer s'il y a une preuve d'une exposition répétée ou extrême à une blessure grave ou à une mort effective. Selon la travailleuse, même s'il n'y a eu que 3 événements au cours d'une période de 10 ans, la récurrence de ses «flashbacks» et les incidents subséquents qui lui ont fait revivre ces 3 événements s'apparentent à une exposition répétée. Elle soutient que l'on peut considérer comme extrême l'exposition à 2 décès et à 1 blessé grave puisque ce n'est pas tous les jours que les policiers et les agents sociocommunautaires et aux relations médias sont témoins de tels drames. Or, la travailleuse échoue à démontrer les conditions particulières prévues au règlement. D'emblée, le sens ordinaire ou usuel du terme «répété» signifie que l'exposition doit se produire à maintes reprises et non seulement 3 fois en 10 ans. Par ailleurs, une analogie peut être faite avec la notion de «répétition de mouvements», qui constitue l'une des conditions d'application de la présomption prévue pour certaines maladies de nature physique. La jurisprudence à ce sujet a conclu que la notion de «mouvements répétés» est synonyme d'une sollicitation fréquente. Selon le Tribunal, l'exposition répétée à une blessure grave ou à une mort effective doit donc avoir lieu fréquemment, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Les cauchemars ne sont pas en soi une exposition, mais plutôt la conséquence de celle-ci. Quant à l'exposition extrême à une blessure grave ou à une mort effective, le Tribunal retient de la preuve que la travailleuse est restée profondément marquée par certains détails des scènes d'incidents, mais elle n'a pas fait la démonstration qu'une telle exposition était excessive.

La travailleuse a toutefois prouvé qu'elle avait subi un accident du travail. Pour déterminer la présence d'un événement imprévu et soudain, le Tribunal s'inspire des enseignements de Sauvé et Général Dynamics produits de défense et système tactiques - Canada Valleyfield inc. (T.A.T., 2023-11-30), 2023 QCTAT 5052, SOQUIJ AZ-51987428, 2024EXPT-62. En ce qui concerne l'événement de 2008, le fait que la travailleuse ait eu à décrocher le corps rigide de la personne qui s'était pendue et à faire face à l'empreinte de la corde autour de son cou et qu'elle ait été laissée seule avec le défunt pendant une longue période déborde le cadre normal et habituel du travail puisque la preuve démontre que celle-ci n'avait pas la formation pour gérer les émotions entraînées par une telle situation, étant donné qu'elle était en début de carrière. En outre, la travailleuse explique revivre des bribes de cet événement régulièrement, par la présence d'objets s'apparentant à une corde ou lorsqu'il est question d'un suicide. Elle en ressent des effets physiques et psychiques, et ce, même après des années. Ce continuum de conséquences constitue une situation singulière et particulière que le Tribunal qualifie d'événement imprévu et soudain.

En ce qui a trait à l'événement de 2015, il n'est pas singulier pour une policière d'avoir à se rendre sur les lieux d'un accident de la route où se trouve un blessé. Ce qui rend l'incident en cause particulier est le fait que l'automobile brûlait encore, de sorte que la travailleuse a craint pour sa sécurité. Les circonstances de cet accident débordent le cadre normal et habituel du travail, car les scènes d'accidents d'automobile, quoiqu'elles soient parfois spectaculaires, ne sont habituellement pas dangereuses pour la vie des policiers. Ce sont d'ailleurs des «flashbacks» de ce feu qui hantent la travailleuse.

Relativement au troisième événement, même si, en raison de son travail, la travailleuse est appelée sur des scènes de crime ou d'accident, voir une personne ayant le crâne écrasé est objectivement une situation imprévue et soudaine. Cela a été traumatisant pour la travailleuse, qui a vu et revu ces images intrusives dans sa vie courante en plus d'en ressentir d'autres effets. Que les 3 événements soient pris isolément ou ensemble, compte tenu des effets néfastes qu'ils ont eus à travers les années, il faut retenir qu'ils étaient imprévus et soudains. Enfin, ces événements sont survenus par le fait du travail. La preuve démontre qu'ils ont entraîné le trouble de stress post-traumatique chronique de la travailleuse. Par conséquent, celle-ci a subi une lésion professionnelle.