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Infection à la COVID-19, un cas de lésion professionnelle

L'aggravation de la condition personnelle dégénérative du rachis lombaire de la travailleuse est en relation avec la lésion professionnelle, soit une infection à la COVID-19; elle a été rendue symptomatique par la toux excessive secondaire à l'infection.
22 mai 2025

Intitulé

Lespérance et Centre d'hébergement Champlain, 2025 QCTAT 883

Juridiction

Tribunal administratif du travail, Division de la santé et de la sécurité du travail (T.A.T.), Richelieu-Salaberry

Type d'action

Contestation par la travailleuse d'une décision ayant déclaré qu'elle n'avait pas subi de lésion professionnelle. Contestation accueillie.

Décision de

Sonia Sylvestre, juge administrative

Date

27 février 2025


Le 26 février 2022, la travailleuse a subi une lésion professionnelle, soit une infection à la COVID-19. Elle a produit une réclamation pour une récidive, rechute ou aggravation suivant les diagnostics de hernies discales lombaires à plusieurs niveaux, d'arthrose et de sténose foraminale L5-S1. La CNESST a refusé la réclamation. L'instance de révision a confirmé cette décision.

Décision

Le 6 mars 2022, soit lors de la première visite médicale en lien avec une condition lombaire, la lésion professionnelle n'était pas consolidée. Il n'y a donc pas lieu d'analyser la demande de la travailleuse sous l'angle de la récidive, rechute ou aggravation. Le Tribunal examine plutôt la réclamation sous l'angle de la relation causale.

Hormis une entorse lombaire survenue à la suite d'un accident de motoneige il y a plusieurs années et suivant lequel elle avait complètement récupéré, la travailleuse n'a pas d'antécédents pertinents au niveau lombaire ni n'a éprouvé de douleurs lombaires de manière concomitante de la lésion professionnelle. Bien qu'elle présente des antécédents de bronchite, pour laquelle elle utilise des pompes, celle-ci était complètement rétablie de son dernier épisode, survenu en janvier 2022.

La travailleuse témoigne qu'elle a développé une toux intense et prolongée à la suite de sa lésion professionnelle. Les quintes de toux étaient si intenses qu'elle en vomissait. La travailleuse affirme que la toux sévère et excessive qu'elle a vécue à la suite de son infection à la COVID-19 n'était pas comparable à celle qu'elle avait déjà eue par le passé. Le 3 mars 2022, elle a commencé à ressentir des douleurs dans le bas du dos. Quelques jours plus tard, la douleur au dos est devenue intolérable et elle ressentait des engourdissements dans les cuisses jusqu'aux genoux faisant en sorte qu'elle avait de la difficulté à marcher. La CNESST souligne qu'il n'est fait aucune mention de toux excessive lors de la consultation du 6 mars 2022. Dans la mesure où la travailleuse consultait en urgence en raison de la gravité de sa condition lombaire, cela n'est pas en soi en surprenant ni de nature à remettre en doute son témoignage. Les notes cliniques du professionnel de la santé, qui suit la travailleuse à compter du 9 mars suivant, font état de «toux +++» et relatent la même trame factuelle quant à l'apparition des douleurs lombaires et des engourdissements. Il existe donc un lien temporel entre les quintes de toux excessives et l'apparition des douleurs lombaires ainsi que des engourdissements aux membres inférieurs. La preuve démontre également que c'est la condition personnelle de nature dégénérative de la travailleuse, jusqu'alors silencieuse, qui s'est manifestée de manière concomitante des quintes de toux et postérieurement à celles-ci. Outre la symptomatologie rapportée, qui est compatible avec la manifestation symptomatique de dégénérescence discale, les examens réalisés par le professionnel de la santé qui a charge confirment des pertes d'amplitudes articulaires du rachis lombaire avec des manoeuvres de Tripode et de Lasègue positives. Il s'agit de signes rachidiens et dure-mériens qui sont aussi évocateurs de la manifestation clinique de la condition dégénérative. La CNESST prétend que les examens neurologiques sont équivoques en ce qu'il n'y a pas de signes francs d'atteinte radiculaire. Or, il a été mainte fois reconnu que l'absence d'une atteinte radiculaire n'est pas un obstacle à la reconnaissance d'une hernie discale lorsque d'autres signes rachidiens ou duremériens sont présents de manière constante, comme c'est le cas en l'espèce. Par ailleurs, la manifestation clinique de la dégénérescence discale est plutôt atypique puisque la manifestation naturelle d'une condition personnelle de cette nature se fait généralement de manière progressive sur une longue période. Sa présentation clinique aiguë en l'espace de quelques jours milite pour l'existence d'un élément déclencheur. Considérant l'absence de tout traumatisme au niveau lombaire et l'apparition de symptômes de manière concomitante de la toux excessive, c'est cette dernière qui constitue l'élément déclencheur. Par sa connaissance spécialisée, le Tribunal sait que la toux, tout comme l'éternuement ou l'effort de défécation, est associée à la manoeuvre de Valsalva. Il s'agit d'une manoeuvre spécifique afin de valider l'existence d'une atteinte dure-mérienne dont la cause peut être une hernie discale. Le Tribunal retient de la littérature médicale que les efforts déployés lors d'une toux, et même lors de vomissements, engendrent physiologiquement une pression dure-mérienne et intradiscale qui peuvent provoquer ou augmenter une symptomatologie d'origine discale. En l'espèce, la toux n'a pas causé les hernies discales, l'arthrose et la sténose foraminale L5-S1, mais a rendu symptomatiques ces conditions personnelles. En vertu de l'article 1 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles et de la théorie du crâne fragile, la travailleuse a droit à la réparation intégrale de la lésion professionnelle, et ce, même si les conséquences de celles-ci sont plus considérables étant donné sa précarité antérieure au rachis lombaire. Par conséquent, il existe une relation entre la manifestation symptomatique de la condition personnelle de hernies discales lombaires, d'arthrose et de sténose foraminale et la lésion professionnelle.