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Lésion professionnelle contestée

Le trouble de l'adaptation avec humeur anxio-dépressive diagnostiqué chez le travailleur constitue une lésion professionnelle; le poste de coordonnateur de production créé pour lui au moment de son retour au travail à la suite d'un épuisement n'était pas véritablement un poste ou, à tout le moins, son implantation n'a pas été prise au sérieux par l'employeur.
10 avril 2025

Intitulé

Pioneer Electrogroup Canada et Archambault, 2025 QCTAT 130

Juridiction

Tribunal administratif du travail, Division de la santé et de la sécurité du travail (T.A.T.), Yamaska

Type d'action

Contestation par l'employeur d'une décision ayant déclaré que le travailleur avait subi une lésion professionnelle. Contestation rejetée.

Décision de

Josée Picard, juge administrative

Date

10 janvier 2025


Le travailleur occupait un poste de superviseur de production. Au cours d'un arrêt de travail à l'automne 2018 en raison d'un épuisement, il a été décidé qu'il occuperait un nouveau poste créé pour lui dans l'entreprise, soit celui de coordonnateur de production. Le retour au travail à temps plein du travailleur a eu lieu en janvier 2019. En août 2019, ce dernier a produit une réclamation pour un trouble de l'adaptation avec humeur anxio-dépressive qu'il attribuait à du harcèlement psychologique de la part de son supérieur. La CNESST a accepté sa réclamation.

Décision

L'argument de l'employeur voulant que la réclamation ait été produite hors délai n'est pas retenu. La date de la lésion du travailleur se situe au 1er juillet 2019. À cette date, un professionnel de la santé a confirmé la présence d'un trouble de l'adaptation, diagnostic qui a été confirmé par le professionnel de la santé qui a charge 1 semaine plus tard. Le Tribunal ne retient pas la proposition de l'employeur de fixer le début de la computation du délai au 30 octobre 2018 puisque la condition psychologique qui s'est manifestée à l'automne 2018, laquelle a aussi conduit à un arrêt de travail, est distincte de celle de l'été 2019. En effet, les symptômes n'étaient pas les mêmes. L'épisode de 2018 a été de courte durée, il s'est écoulé un certain délai avant que le travailleur ne consulte de nouveau pour sa condition psychologique et les éléments stresseurs étaient différents. La réclamation du 8 août 2019 est donc recevable.

Afin de déterminer si un travailleur a subi un accident du travail, l'événement ou le cumul d'événements allégués par ce dernier ne doit pas relever de sa seule perception. Il doit plutôt posséder, objectivement, un caractère choquant, bouleversant ou perturbant. Le cumul d'événements doit également déborder le cadre normal et habituel du travail afin d'être reconnu comme un événement imprévu et soudain.

L'allégation du travailleur selon laquelle, lors de son retour au travail en décembre 2018, son supérieur a voulu l'isoler physiquement de la production et des autres employés de l'usine en l'installant dans un bureau à l'écart de tous n'est pas retenue. En effet, l'endroit où un employé exerce ses tâches relève entièrement du droit de direction de l'employeur. La preuve ne permet pas de conclure que l'endroit a été choisi avec une intention malicieuse afin de limiter les échanges du travailleur avec les autres employés. Il s'agit là d'une perception du travailleur qui n'est pas démontrée objectivement. Au surplus, ce dernier a été installé dans une salle de conférence avec tous les équipements nécessaires à l'exercice de son travail. Celle-ci se trouve dans la section de l'immeuble qui est occupée par les employés du secteur administratif et les cadres de l'entreprise. La nouvelle réalité du travailleur pouvait certainement conduire à un changement de l'emplacement de son bureau. Quant au fait que la salle puisse faire office de rangement pour certaines boîtes, le Tribunal ne prend pas ce détail en considération dans l'analyse de la survenance d'un événement imprévu et soudain. Au surplus, il est admis que, en janvier 2019, un employé est venu prendre des mesures afin de procéder à la division de la salle de conférence pour la convertir en bureau typique, comme le supérieur l'avait annoncé à l'automne 2018. Bien que le réaménagement n'ait finalement pas eu lieu, il demeure que l'amorce de ses démarches ne corrobore pas l'intention malveillante du supérieur.

Le travailleur n'a pas non plus établi la présence d'une directive selon laquelle il était interdit pour les employés de lui adresser la parole. Sa conviction de l'existence de cette dernière repose sur une impression de sa part, soit sur du ouï-dire. Quant aux événements survenus le 25 juin 2019, des changements dans la planification de réunions ou dans la liste des personnes invitées ne peuvent correspondre à un événement imprévu et soudain puisque ces modifications sont susceptibles de survenir dans le cadre normal du travail. Par ailleurs, on ne peut conclure que le travailleur a fait face à l'éventualité d'un congédiement. Il est tout aussi possible que les paroles du supérieur puissent signifier qu'il voulait clarifier une situation qui était survenue avec un collègue.

Cependant, le changement de poste du travailleur lors de son retour au travail à temps plein, la perte de tâches au printemps 2019 découlant de l'embauche de 2 nouveaux employés et, dans une moindre mesure et avec une certaine nuance, le fait que son supérieur l'ignorait permettent de conclure à la survenance d'un événement imprévu et soudain. Dans le cadre de son nouveau poste, le travailleur a été assigné à des tâches qui ne l'occupaient que 2 à 3 heures dans une journée de travail. Le reste du temps, il ne faisait rien et attendait qu'on fasse appel à lui, ce qui ne survenait que rarement. Au surplus, en mai 2019, l'embauche d'une personne qualifiée en ressources humaines et d'un superviseur de jour a conduit au retrait de certaines tâches qui étaient assignées au travailleur. Bien que ces embauches puissent être justifiées, le résultat demeure le même quant à la diminution du travail devant être accompli par le travailleur. Cette situation ne peut être considérée comme normale dans un milieu de travail. Elle présente plutôt un caractère bouleversant et perturbant lorsqu'elle est comparée au rôle que jouait le travailleur au sein de l'entreprise de 2010 à 2018. Par ailleurs, l'absence totale de suivi de la part du supérieur relativement à ces changements qu'il avait implantés dans l'entreprise découle d'un désintéressement, d'une négligence dans son rôle de gestionnaire ou d'une confiance démesurée envers le travailleur. Qu'elle découle de bonnes ou de mauvaises intentions importe peu. Il est difficilement convenable qu'une telle absence de suivi puisse être considérée comme justifiée pour le fonctionnement de l'entreprise. Un employeur raisonnable n'aurait pas agi comme le supérieur l'a fait dans les semaines ayant suivi le retour au travail à temps plein du travailleur. Les versions sont contradictoires quant au nombre de fois où ce dernier se serait plaint de son manque de travail. L'employeur prétend que le travailleur était «l'artisan de son propre malheur» puisqu'il se complaisait dans l'exercice de ses tâches allégées. Le Tribunal ne peut retenir cet argument. Les droits conférés par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles le sont «sans égard à la responsabilité de quiconque». De plus, d'autres éléments sont pris en considération dans l'analyse ayant mené à la conclusion qu'un événement imprévu et soudain était survenu. En effet, aucune annonce n'a eu lieu dans l'entreprise pour informer les employés du nouveau poste créé et de la nomination du travailleur. Selon le supérieur, seulement un superviseur connaissait «probablement» les tâches et responsabilités du travailleur. De plus, le poste de ce dernier n'a jamais été pourvu à la suite de l'arrêt de travail du travailleur à l'été 2019. Ces éléments tendent à démontrer que le poste créé pour ce dernier n'était pas un véritable poste ou, à tout le moins, que son implantation n'a pas été prise au sérieux par l'employeur.

Le trouble de l'adaptation avec humeur anxio-dépressive est en relation avec l'événement imprévu et soudain. Les éléments notés au dossier de façon concomitante de l'arrêt de travail de juin 2019 sont parlants quant aux raisons de la détérioration de l'état psychologique du travailleur. Ces éléments appuient la thèse selon laquelle le trouble de l'adaptation avec humeur anxio-dépressive est majoritairement relié à l'occupation du nouveau poste de coordonnateur aux opérations. Les expertises soumises par l'employeur ne permettent pas de remettre en doute cette conclusion. Par conséquent, le travailleur a subi une lésion professionnelle.