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Interdiction de retrancher l’ancienneté pendant une période de grève

La décision du CISSS du Bas-Saint-Laurent de retrancher l'ancienneté accumulée durant les périodes de grève par des salariés qui étaient appelés à rendre des services essentiels contrevient à l'article 111.11 alinéa 4 C.tr., lequel interdit expressément à un employeur de modifier les conditions de travail des salariés dans une telle situation.
24 avril 2025

Intitulé

Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) et Centre intégré de santé et de services sociaux du Bas-Saint-Laurent (grief syndical), 2025 QCTA 44

Juridiction

Tribunal d'arbitrage (T.A.)

Type d'action

Griefs relatifs à la computation de l'ancienneté. Accueillis.

Décision de

Me Denis Nadeau, arbitre

Date

10 février 2025


Des salariés qui ont rendu des services essentiels lors de 4 journées de grève légale en juin 2021 ont vu leur ancienneté retranchée des périodes correspondantes à la durée, en heures et en minutes, de leur temps de grève. L'employeur justifie sa décision par l'application de l'article 59 du Code du travail (C.tr.) et la non-application des effets d'une clause de pont pendant que des salariés exercent leur droit de grève.

Décision

Le Tribunal doit déterminer si l'exercice de la grève par le syndicat emporte la suspension de la convention collective à l'égard des conditions de travail des salariés qui ont assuré des services essentiels. L'alinéa 4 de l'article 111.11 C.tr. stipule que, «à moins d'entente entre les parties, l'employeur ne doit pas modifier les conditions de travail des salariés qui rendent des services essentiels». En l'espèce, aucune admission produite dans le dossier ne fait mention d'une entente entre les parties qui aurait eu pour effet de modifier les conditions de travail. L'article 111.11 alinéa 4 C.tr. va plus loin que le principe du maintien des conditions de travail en énonçant une interdiction spécifique visant expressément l'employeur, soit de ne pas modifier les conditions de travail des salariés qui se trouvent en situation de grève légale et qui doivent maintenir des services essentiels. En adoptant cette disposition, le législateur a substitué une nouvelle règle à celle de nature générale prévue à l'article 59 alinéa 2 C.tr. Le «facteur déclencheur» mettant fin à l'interdiction pour un employeur de modifier les conditions de travail d'une convention collective échue, soit l'exercice du droit de grève, a été expressément écarté. Ainsi, une grève légale comme en l'espèce ne met pas un terme au principe du maintien des conditions de travail de la convention collective échue pour les salariés qui rendent les services essentiels. L'employeur soutient que, à l'extérieur des plages de temps pendant lesquelles un salarié rend des services essentiels, celui-ci n'aurait pas droit au bénéfice de l'article 111.11 alinéa 4 C.tr. Or, le législateur n'a pas circonscrit l'interdiction de modifier les conditions de travail des salariés qui rendent des services essentiels aux seuls moments pendant lesquels ces services sont rendus. Il a plutôt couvert, par une formule large, les personnes qui rendent ces services. Aucune règle d'interprétation ne permet de soutenir la position de l'employeur. Le Tribunal conclut que, par l'effet combiné des clauses de pont contractuelles et législatives qui assurent la continuité des conditions de travail et la protection de celles-ci découlant de l'article 111.11 alinéa 4 C.tr., l'ancienneté est une condition de travail qui ne devrait pas être modifiée à l'égard des salariés qui ont rendu des services essentiels.

De façon subsidiaire, l'employeur prétend que l'article 13.06 de la convention collective prévoit que l'ancienneté ne peut être accumulée en cas d'une absence qui n'est pas autorisée, ce qui serait le cas lorsqu'un salarié exerce son droit de grève. Cette position s'appuie toutefois sur une interprétation a contrario, restrictive et non fondée en droit de l'expression «absence autorisée». Les parties n'ont pas prévu les motifs entraînant une perte d'ancienneté à l'article 13.06. Elles y ont plutôt précisé une série de situations où un salarié conserve et accumule son ancienneté en dépit de son absence. Le Tribunal estime que l'employeur confond les effets de l'exercice d'une grève, soit le fait que des salariés cessent de travailler de façon concertée, et le libellé même de l'article 13.06 alinéa 1 de la convention collective, qui traite d'«absence autorisée». Il y a lieu de rappeler que, au Québec, une personne en grève légale est autorisée par la loi à s'absenter de son travail. Le principe même du respect de la hiérarchie des sources écarte toute conclusion qui aurait pour effet de restreindre, par voie conventionnelle, la portée réelle du droit d'être autorisé à s'absenter du travail à l'occasion de l'exercice d'une grève.