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Du ouï-dire non recevable en preuve

Le congédiement imposé à un préposé aux bénéficiaires à la suite d'un reportage de l'émission JE concernant son passé d'entraîneur de basketball féminin est annulé; les fautes invoquées par l'employeur n'ont pas été prouvées puisque les athlètes visées n'ont pas témoigné et que le reportage constitue du ouï-dire non recevable en preuve.
4 mars 2025

Intitulé

Syndicat du personnel paratechnique, des services auxiliaires et de métier du CIUSSS de la Mauricie et du Centre-du-Québec — CSN et CIUSSS de la Mauricie et du Centre-duQuébec (Danny Vincent), 2024 QCTA 506

Juridiction

Tribunal d'arbitrage (T.A.)

Type d'action

Grief contestant un congédiement. Accueilli. Demande d'anonymisation. Rejetée.

Décision de

Me Valérie Korozs, arbitre

Date

13 novembre 2024


Le plaignant était préposé aux bénéficiaires (PAB) dans un centre d'hébergement et de soins de longue durée. En décembre 2022, il a été congédié à la suite d'allégations formulées dans un reportage télévisé concernant des événements survenus alors qu'il était entraîneur de basketball pour des programmes scolaires féminins. On lui reprochait ses méthodes empreintes de violence verbale et psychologique et une ancienne athlète dénonçait l'emprise que le plaignant avait eue sur elle et la relation intime qu'ils avaient nouée alors qu'elle était majeure. Pour l'employeur, le congédiement était raisonnable, compte tenu de la gravité de la faute, de l'incidence du reportage sur sa réputation et du fait qu'il doit protéger sa clientèle vulnérable. Le syndicat s'oppose à la recevabilité en preuve du reportage étant donné la règle interdisant le ouï-dire. Sur le fond, il soutient qu'il y a une absence de lien rationnel entre les reproches et l'emploi de PAB.

Décision

Il ressort de la jurisprudence que, en présence d'une faute grave et lorsqu'un emploi est en jeu, les arbitres n'hésitent pas à exclure de la preuve des déclarations extrajudiciaires qui contreviennent à la règle du ouï-dire, sauf si les parties s'entendent pour qu'il en aille autrement ou qu'il aurait été impossible ou déraisonnable d'exiger la comparution du déclarant. En l'espèce, l'employeur n'a pas allégué qu'il aurait été impossible d'obtenir ou d'exiger la comparution des personnes interviewées dans le reportage. L'objection du syndicat à la preuve par ouï-dire est accueillie. L'employeur a obtenu la version du plaignant à l'audience en faisant appel au contenu du reportage.

Le syndicat estime qu'il s'agit d'une preuve postérieure irrecevable puisqu'elle vise à bonifier une preuve que l'employeur n'avait pas en main au moment du congédiement. Cette objection est rejetée. Le témoignage du plaignant à l'audience n'est pas une preuve postérieure. Il est également pertinent puisqu'il est en lien direct avec les motifs invoqués par l'employeur au moment du congédiement.

Sur le fond, en l'absence de preuve à l'audience, le Tribunal ne peut retenir que le plaignant aurait exercé une influence néfaste sur des jeunes femmes mineures en les intimidant ni qu'il aurait commis des attouchements à leur endroit dans l'exercice de ses fonctions ou encore qu'il aurait lancé des objets en direction d'une personne sous le coup de la colère. Le seul reproche restant au soutien du congédiement est l'allégation selon laquelle le plaignant aurait abusé de sa position d'autorité pour obtenir une faveur sexuelle de la part d'une athlète. Ce dernier soutient qu'ils ont plutôt eu une relation intime volontaire alors que l'athlète était majeure. Cette version n'a pas été contredite, l'athlète n'ayant pas témoigné. L'employeur invite le Tribunal à tirer une présomption pour établir que le plaignant s'est servi de sa position d'autorité auprès de l'athlète dans le but d'obtenir des faveurs sexuelles de sa part. Il est toutefois fondamental de rappeler que tout ce que l'athlète a rapporté dans le reportage ne peut servir d'assise à l'analyse d'une preuve circonstancielle. L'ensemble des circonstances mises en preuve ne permettent pas de conclure que le plaignant a profité de son rapport de force pour inciter l'athlète à avoir une relation sexuelle. Par conséquent, le Tribunal conclut que les faits invoqués pour justifier le congédiement n'ont pas été démontrés.

Même en considérant la thèse de l'employeur comme avérée, le Tribunal estime qu'il n'existe aucun lien rationnel entre la relation d'autorité invoquée par ce dernier et l'emploi de PAB occupé par le plaignant, et ce, 20 ans après les événements en cause. L'article 18.2 de la Charte des droits et libertés de la personne ne trouve pas application en l'absence d'accusations criminelles. Les gestes reprochés au plaignant ayant été commis à l'extérieur du cadre de ses fonctions, il est donc question de sa vie privée. Selon la jurisprudence arbitrale, l'article 5 de la charte trouve application pour exiger la démonstration d'un lien rationnel entre les manquements reprochés, l'emploi et l'incidence de ce comportement sur la capacité du salarié à exécuter ses fonctions de façon satisfaisante. En l'espèce, l'employeur insiste sur les conséquences qu'auraient eues les gestes du plaignant sur la réputation de l'établissement et sa capacité à accomplir sa mission, laquelle comprend l'obligation d'assurer la santé et la sécurité de sa clientèle. Le Tribunal est toutefois d'accord avec le syndicat, qui insiste sur l'absence de preuve, d'une part, d'un lien entre les manquements reprochés au plaignant et l'emploi de PAB et, d'autre part, de risques ou de conséquences prévisibles pour la clientèle de l'employeur. Il ressort de la preuve que ce dernier a voulu protéger son image sur la base de craintes subjectives, et ce, alors qu'il ne connaissait pas au moment du congédiement les conséquences concrètes et prévisibles des manquements reprochés au plaignant sur sa capacité à exécuter ses fonctions de PAB ni sur celle de l'établissement à accomplir sa mission. Il n'y a aucune preuve qui laisse croire que le plaignant pourrait commettre de la maltraitance ou des abus physiques ou psychologiques envers la clientèle de l'employeur. Il n'y a pas non plus d'allégations de craintes qui ont été formulées par des usagers ou leur famille. En outre, le fait que les gestes reprochés au plaignant ne soient pas concomitants de l'occupation de son emploi de PAB fragilise le lien de causalité. Le congédiement du plaignant ne s'explique pas d'un point de vue objectif et rationnel et il ne s'agissait pas d'une mesure juste et raisonnable. Le congédiement est annulé et la réintégration du plaignant est ordonnée.