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Télétravail et congédiement déguisé

Une responsable de la coordination de la production a fait l'objet d'un congédiement déguisé lorsque l'employeur lui a retiré la possibilité d'exécuter ses tâches en télétravail; sa plainte (art. 124 L.N.T.) est toutefois irrecevable puisqu'il n'y a pas de lien causal entre son omission de respecter le délai pour déposer celle-ci et l'information erronée qui lui avait été donnée par la CNESST.
6 février 2025

Intitulé

Guérard c. SamaN inc., 2024 QCTAT 3718

Juridiction

Tribunal administratif du travail, Division des relations du travail (T.A.T.), Mauricie- -Centre-du-Québec

Type d'action

Plainte en vertu de l'article 124 de la Loi sur les normes du travail à l'encontre d'un congédiement déguisé — rejetée.

Décision de

Dominic Fiset, juge administratif

Date

17 octobre 2024


Décision

La plaignante, une responsable de la coordination de la production dans une usine, a été suspendue avec traitement pour une durée de 1 semaine — la décision de l'employeur constituait une mesure administrative qui relevait de ses droits de direction — dans un contexte de crise touchant les activités de l'employeur, il s'agissait d'une mesure légitime pour protéger ses intérêts — on ne saurait y voir un congédiement déguisé, d'autant moins que la plaignante n'a pas été laissée dans le néant et qu'une échéance lui a été donnée — par ailleurs, les 2 courriels transmis par l'employeur le 9 décembre 2022, dans lesquels il informait cette dernière qu'elle ne pourrait poursuivre ses tâches de coordonnatrice à la production en télétravail, cristallisait la position de ce dernier — dès ce moment, en appliquant le critère de la personne raisonnable, la plaignante était en mesure de savoir qu'une condition essentielle de son contrat de travail avait été modifiée de façon substantielle — bien qu'un choix soit offert par l'employeur, l'une et l'autre des avenues proposées empêchaient le télétravail — ce faisant, l'employeur a non seulement fait fi du devoir de loyauté que la plaignante avait à son égard, mais il a aussi laissé entendre qu'il n'avait pas confiance en elle en ce qui a trait à la confidentialité des données contenues dans son système informatique — la plaignante avait pourtant un parcours sans tache au sein de l'entreprise — sa seule faute, s'il en est, consistait à être prise dans le feu croisé d'un litige opposant son conjoint et le propriétaire de l'entreprise — la plaignante a fait l'objet d'un congédiement déguisé, l'employeur ayant décidé unilatéralement de modifier de façon substantielle l'une des conditions essentielles de son contrat de travail.

La plainte de la plaignante a toutefois été déposée hors délai — cette dernière a reconnu, le 5 janvier 2023, qu'une des conditions essentielles de son contrat de travail avait été modifiée unilatéralement et substantiellement par l'employeur — le ton et le contenu du courriel envoyé à l'employeur sont sans équivoque — même s'il fallait conclure que ce n'est pas le 9 décembre 2022 que la plaignante avait en main tous les éléments lui permettant de conclure qu'elle faisait l'objet d'un congédiement déguisé, c'est au plus tard le 5 janvier 2023 qu'elle avait toute l'information nécessaire — or, la plaignante a déposé sa plainte le 30 mars suivant, soit plus de 45 jours plus tard — elle n'a pas démontré un motif raisonnable au sens de l'article 15 de la Loi instituant le Tribunal administratif du travail — la plaignante prétend qu'elle n'a pas déposé sa plainte dans les 45 jours suivant son courriel du 5 janvier 2023 puisque le préposé de la CNESST lui avait mentionné qu'elle n'était pas considérée comme congédiée tant que son salaire était maintenu — le Tribunal ne peut faire droit à cette prétention puisqu'il n'y a pas de lien causal entre l'information erronée donnée par le préposé de la CNESST et l'omission de respecter le délai — la plaignante passe sous silence le fait que le préposé de la CNESST lui a dit qu'elle pouvait communiquer de nouveau avec celle-ci pour déposer une plainte s'il n'y avait aucune volonté de la part de l'employeur de lui permettre de reprendre ses tâches habituelles en télétravail — or, c'est exactement ce que la plaignante a exprimé dans son courriel transmis à l'employeur le 5 janvier 2023 — cette dernière se devait de faire preuve de diligence pour déposer sa plainte — cela demeure vrai même si l'employeur a décidé seulement à la fin mars qu'il ne lui verserait plus son salaire.

L'employeur demande que le contenu du témoignage du propriétaire portant sur le litige l'opposant à ses vendeurs, lequel se déroule devant la Cour supérieure, soit frappé d'une ordonnance de confidentialité — il s'agit d'un litige privé qui ne présente aucune particularité justifiant qu'une telle ordonnance soit rendue — bien que certains éléments exposés par le propriétaire soient susceptibles d'avoir une incidence négative sur les affaires de l'entreprise, il ne s'agit pas d'un critère qui doit être pris en considération pour contrevenir au principe de la publicité des débats, soit l'un des fondements d'une société démocratique — l'appréhension de l'employeur quant à un risque de procès inéquitable devant la Cour supérieure est hypothétique.