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Démission libre au lieu d’un congédiement déguisé

Les plaintes pour congédiement sans cause juste et suffisante de 2 cadres d'une organisation, soit la directrice des finances et le directeur du département de services aux entreprises et secteur gouvernemental, sont rejetées puisque la fin de leurs emplois résulte plutôt d'une démission libre et volontaire et non d'un congédiement déguisé.
13 février 2025

Intitulé

Turcot c. Société québécoise de gestion collective des droits de reproduction, 2024 QCTAT 3802

Juridiction

Tribunal administratif du travail, Division des relations du travail (T.A.T.), Montréal

Type d'action

Plaintes en vertu des articles 123.6 et 124 de la Loi sur les normes du travail pour harcèlement psychologique et à l'encontre d'un congédiement — rejetées.

Décision de

Geneviève Drapeau, juge administrative

Date

24 octobre 2024


Décision

la plaignante, qui occupait le poste de directrice des finances, soutient avoir été victime de harcèlement psychologique de la part de la directrice générale (DG) et de la directrice adjointe (DA) de l'employeur, un organisme sans but lucratif — elle soutient également avoir été victime d'un congédiement déguisé — le plaignant, le directeur du département de services aux entreprises et secteur gouvernemental, allègue aussi avoir été l'objet d'un congédiement déguisé — l'employeur nie la survenance de harcèlement psychologique et affirme que les plaignants ont plutôt démissionné — dans le cadre d'une plainte pour harcèlement psychologique, la conduite vexatoire doit être démontrée au moyen d'une preuve prépondérante — à cet égard, la plaignante a évoqué une série d'événements, dont le fait d'avoir reçu des messages texte tous les jours pendant ses vacances — or, peu importe que l'on retienne la version de la plaignante ou celle de l'employeur, cet événement ne saurait constituer une conduite vexatoire — la plaignante a surtout été contrariée de voir que la DG ne semblait pas s'inquiéter pour elle et qu'elle souhaitait uniquement connaître la date de son retour — elle ne lui a d'ailleurs pas demandé de cesser de lui écrire, et aucun contenu hostile ou inapproprié n'a été mis en preuve — bien qu'il puisse être dérangeant de recevoir de tels messages en vacances, il faut considérer que la plaignante occupait un poste clé chez l'employeur et que la pandémie de la COVID-19, qui s'est déclenchée durant cette période, constitue un événement exceptionnel — ainsi, ce que la plaignante a perçu comme un comportement harcelant est en réalité l'exercice non abusif du droit de direction dans des circonstances exceptionnelles — pour ce qui est de l'altercation concernant le départ de la comptable, la DG reconnaît avoir eu un échange vif avec la plaignante à ce sujet — cet événement ne correspond toutefois pas à la définition de «conduite vexatoire» puisque la plaignante comme la DG ont haussé le ton et ont participé à l'altercation — aucun propos hostile n'a par ailleurs été prononcé — quant à l'incident lié au boni du plaignant, la plaignante reproche à la DG d'avoir menti à ce dernier et de l'avoir accusée à tort de ne pas vouloir verser le boni — bien que cette affirmation ait été prouvée, elle ne revêt pas la gravité que la plaignante lui attribue — les explications données par la DG révèlent qu'il ne s'agissait pas d'un caprice et qu'il y avait un litige quant au montant et aux paramètres de ce boni — une personne raisonnable ne se serait pas sentie humiliée ou blessée dans de telles circonstances — en ce qui concerne l'isolement que la plaignante aurait subi, le Tribunal retient le témoignage de la DG — la preuve démontre qu'il y avait un conflit de personnalités entre les 2 cadres et que les relations étaient très tendues — il était normal, dans ces circonstances, que la DG, qui ne souhaitait pas envenimer la situation, ait limité ses interactions avec la plaignante jusqu'au départ de celle-ci — il est également compréhensible que, dans le contexte pandémique, un employeur demande à ses employés de ne pas tous se présenter au travail en même temps — la preuve ne démontre d'ailleurs pas que la plaignante aurait été isolée — pour ce qui est des propos de la DA, on retient de son courriel que celle-ci était inquiète pour la plaignante, une amie de longue date, et qu'elle a demandé à leurs amies communes de lui venir en aide — rien n'indique que ce courriel serait un désaveu des compétences de la plaignante — quant aux commentaires de la DA sur l'âge de la plaignante, alors qu'elle lui aurait demandé si elle allait bientôt quitter le travail, comme elle était rendue à 65 ans, ces propos peuvent en effet être perçus comme discriminatoires et il est possible qu'ils aient heurté la plaignante — néanmoins, même si l'on considère les événements prouvés dans une perspective globale, il ne s'en dégage pas un ensemble de comportements hostiles subis par la plaignante permettant de conclure à du harcèlement psychologique au sens de la Loi sur les normes du travail.

Quant à la plainte pour congédiement déguisé de la plaignante, la preuve démontre que, lors de la deuxième rencontre avec le médiateur, cette dernière a annoncé son intention de démissionner — la plaignante affirme qu'elle n'était alors pas apte à donner un tel consentement — le fardeau de démontrer son inaptitude lui appartient puisqu'elle est présumée apte à contracter — or, le fait que la plaignante était en arrêt de travail le lendemain de la médiation ne signifie pas qu'elle n'était pas apte à signer l'entente et que sa démission n'est pas valide — en effet, le certificat médical déposé en preuve n'indique pas que, au moment de la signature, la plaignante se trouvait dans un état d'esprit affaibli et qu'elle n'était pas en mesure d'évaluer les avantages et les inconvénients que cette entente représentait pour elle — en outre, à aucun moment entre la signature de l'entente et son départ la plaignante n'a manifesté l'intention de ne plus quitter son emploi volontairement — ce n'est que 5 mois plus tard qu'elle a déposé la présente plainte — par ailleurs, un salarié peut démissionner en raison d'un milieu de travail désagréable, d'un supérieur ou de collègues qu'il juge inadéquats ou encore d'insatisfactions professionnelles, mais ces considérations ne font pas en sorte d'annuler la validité d'une démission — la plaignante n'a pas démontré avoir été congédiée.

En ce qui concerne la plainte pour congédiement déguisé du plaignant, ce dernier a enregistré une rencontre avec la DG au cours de laquelle il a dit de façon claire qu'il démissionnait — rien dans cet enregistrement ne permet de croire qu'il a été contraint de le faire — on comprend qu'il a démissionné en raison de son insatisfaction quant à son salaire et à ses conditions de travail ainsi que parce qu'il n'aimait pas le style de gestion de la DG.