Intitulé
Pleau et Centre intégré de santé et de services sociaux de Chaudière-Appalaches, 2024 QCTAT 3949
Juridiction
Tribunal administratif du travail, Division de la santé et de la sécurité du travail (T.A.T.), Montréal
Type d'action
Contestation par le travailleur d'une décision relative à la recevabilité de sa plainte en vertu de l'article 32 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP). Contestation accueillie.
Décision de
Jean-Sébastien Noiseux, juge administratif
Date
30 octobre 2024
Le travailleur, un préposé à l'entretien ménager, a déposé une plainte au motif qu'il avait fait l'objet d'une mesure discriminatoire ou de représailles ou encore d'une sanction à cause de l'exercice d'un droit prévu par la loi. Il reproche à l'employeur de ne pas avoir inclus dans son salaire la prime «escalier» durant son assignation temporaire, alors que, n'eût été sa lésion professionnelle, il aurait occupé son emploi à temps plein et aurait été admissible à cette prime. La CNESST a rejeté la plainte, considérant qu'elle était irrecevable. Plusieurs travailleurs sont dans cette même situation, et c'est pour cette raison que le Tribunal a ordonné la jonction d'une centaine de dossiers. Parmi eux, 7 dossiers ont été considérés par les parties comme des «dossiers types» et ont été retenus pour être instruits lors d'une audience commune. Le dossier du travailleur en fait partie.
Décision
Dans le contexte de la pandémie de la COVID-19, le gouvernement du Québec a adopté plusieurs décrets en vertu de la Loi sur la santé publique, dont certains ayant pour objectif d'encourager la présence et le travail à temps plein des travailleurs, et ce, par différents incitatifs financiers, notamment une prime de 4 % et la prime «escalier». Cette dernière prime a été conçue de telle manière que, pour pouvoir pleinement en bénéficier, le travailleur doit occuper son emploi à temps plein durant une période de 4 semaines. Plus il cumule de semaines à temps plein, plus il gravit des paliers et reçoit par conséquent une somme forfaitaire plus importante. En revanche, s'il s'absente du travail, il perd son admissibilité à la prime. Différentes exceptions à cette dernière règle ont été prévues, mais les absences liées à la survenance d'une lésion professionnelle n'en font pas partie.
La présente plainte doit satisfaire à 5 critères de recevabilité. À cet égard, les parties reconnaissent, et la preuve le démontre, que le travailleur est bien un travailleur au sens de la loi, qu'il a exercé un droit prévu à cette loi ou qu'il a été victime d'une lésion professionnelle et qu'il n'a pas déposé de grief. En ce qui a trait à la présence d'une sanction ou d'une mesure de représailles, l'employeur est d'avis que, en ne versant pas la prime réclamée, il n'a fait que respecter les arrêtés ministériels. Dans une telle situation, les termes «sanction» et «mesure de représailles» doivent être définis. À cet égard, le législateur a adopté, dans différentes lois ou dispositions législatives touchant la relation un employeur et un travailleur, un cadre normatif protégeant ce dernier de mesures discriminatoires, de représailles ou encore de sanctions du fait de l'exercice d'un droit prévu à ces lois. Ces protections sont identiques. Dans Interprétation des lois (Côté, Pierre-André et Devinat, Mathieu, Interprétation des lois, 5e éd., Montréal, Les Éditions Thémis, 2021, 744 p.), les auteurs sont d'avis qu'il existe une présomption de cohérence et d'harmonie quant à la forme et à la logique en présence de lois connexes provenant du même législateur. Par conséquent, le Tribunal peut, dans le cadre de son analyse, prendre en considération l'ensemble de la jurisprudence sur cette question. Or, à la lumière de celle-ci, le Tribunal retient que l'employeur qui ne verse pas au travailleur effectuant un travail en assignation temporaire le salaire et les avantages liés à son emploi prélésionnel lui impose une mesure de représailles ou une sanction. Vu cette conclusion, le Tribunal ne se prononcera pas sur la présence ou non d'une mesure discriminatoire.
S'appuyant sur certains commentaires de la Cour d'appel, l'employeur et le procureur général du Québec ont affirmé que la présente plainte ne constituait pas le recours approprié en l'espèce. Or, un débat a eu lieu à propos de ces commentaires et il a été conclu que les juges de la Cour d'appel n'avaient pas déterminé si l'article 32 LATMP était un recours approprié lorsqu'un travailleur réclame un droit prévu à la loi, ceux-ci étant plutôt saisis d'un litige concernant l'application de cette disposition à une entreprise de juridiction fédérale. Cette position a été reprise par la jurisprudence et il n'y a pas lieu de s'en écarter, d'autant moins que la plainte en vertu de l'article 32 LATMP est le seul moyen pour ordonner à l'employeur de verser le salaire et les avantages lorsque le travailleur est assigné temporairement. Ainsi, le recours à l'article 32 LATMP est approprié dans le présent dossier.
Par ailleurs, le Tribunal est d'avis que la prime doit être incluse dans le salaire et les avantages que l'employeur doit verser à un travailleur en assignation temporaire, comme si ce dernier l'exerçait à temps plein, lorsque celui-ci y est admissible. En l'espèce, le travailleur détenait une affectation à temps partiel lorsqu'est survenu son accident du travail mais, dans les faits, il travaillait en moyenne 36,36 heures par semaine. Il exerçait donc à temps plein son emploi. La preuve révèle également que, pendant la période visée par le présent recours, il existait une pénurie de travailleurs dans le domaine de la santé. Vu cette situation et l'affirmation du travailleur selon laquelle il aurait demandé à son employeur de travailler à temps plein, il faut considérer que, n'eût été sa lésion professionnelle, il aurait travaillé le nombre normal d'heures prévu à son titre d'emploi et qu'il aurait été admissible à la prime «escalier». Par ailleurs, durant la période visée, l'employeur rémunérait déjà le travailleur comme s'il travaillait en moyenne 39,06 heures par semaine. En conséquence, en n'incluant pas cette prime dans le salaire et les avantages du travailleur, l'employeur a exercé à son endroit une mesure de représailles ou lui a imposé une sanction.
Quant au dernier critère de recevabilité de la plainte, il est respecté puisque le travailleur a déposé sa plainte dans les 30 jours ayant suivi sa connaissance de la mesure reprochée, comme l'exige la loi. La plainte est donc recevable.
Le travailleur bénéficie de la présomption prévue à l'article 255 LATMP puisqu'il a démontré que l'employeur lui avait imposé une mesure de représailles ou une sanction et que cette dernière était survenue dans les 6 mois ayant suivi la date à laquelle il avait exercé un droit, soit au moment où l'employeur lui a assigné temporairement un travail. L'employeur doit démontrer qu'il n'a pas imposé cette mesure en raison de l'exercice de ce droit. À cet égard, considérant les prétentions des parties, le Tribunal doit déterminer s'il existe un conflit entre l'obligation qui incombe à l'employeur de verser au travailleur son salaire et ses avantages conformément à l'article 180 LATMP et celle de se conformer aux arrêtés ministériels. Or, il n'y a pas d'incompatibilité entre ces 2 normes puisque celles-ci cohabitent, coexistent et se complètent. En ce qui concerne l'assignation temporaire, les droits du travailleur victime d'une lésion professionnelle découlent d'un régime autonome et complet qui a résulté d'un compromis entre les travailleurs et les employeurs et par lequel les premiers doivent renoncer à la possibilité d'obtenir une compensation pleine et entière par voie d'action civile, alors que les seconds ont l'obligation d'offrir une compensation partielle en cas d'accident. Au moment des faits, la lésion professionnelle du travailleur n'était pas consolidée et celui-ci était toujours présumé incapable d'exercer son emploi. Il avait donc droit à l'indemnité de remplacement du revenu (IRR) et aux autres prestations prévues à la loi. L'assignation temporaire est une mesure d'exception qui permet à un employeur d'affecter temporairement un travailleur à un emploi adapté à sa condition physique et, durant cette période, la CNESST cesse de verser au travailleur l'IRR et l'employeur lui verse à la place son salaire et les avantages liés à son emploi. Le fait de pouvoir recevoir la prime «escalier» tout en s'absentant pour un motif qui n'est pas une exception au sens des arrêtés n'est donc pas antinomique. L'application des arrêtés ministériels n'empêche pas l'application de la loi. Par ailleurs, le Tribunal estime que la prime doit être considérée lors de la détermination du quantum de l'IRR. En effet, selon l'article 45 LATMP, le revenu brut est généralement déterminé sur la base du contrat de travail et le travailleur, pour établir un revenu brut plus élevé, peut notamment y inclure, en vertu de l'article 67 LATMP, les bonis et les primes. Selon l'employeur, en raison de son caractère exceptionnel, la prime «escalier» ne peut être considérée afin d'établir un salaire brut plus élevé. Cette position n'est pas retenue puisque, contrairement aux décisions soumises par l'employeur, cette prime ne constitue pas un versement unique. Celle-ci a une certaine pérennité puisqu'elle a duré près de 2 ans. De même, la prime est versée aux travailleurs en échange d'une prestation de travail.
Le travailleur a été victime d'un accident du travail alors qu'il exerçait son emploi pour l'employeur et qu'il bénéficiait de certains droits, dont celui de recevoir son salaire et ses avantages lorsque son employeur l'assignait temporairement à un travail. Ainsi, à défaut d'un conflit de normes avec les arrêtés ministériels ou le décret, il n'y a pas lieu de lui faire perdre les droits résultant d'une loi qui est d'ordre public. Par conséquent, la raison invoquée par l'employeur, soit le fait de respecter les arrêtés ministériels, ne constitue pas une cause juste et suffisante pour justifier le non-paiement de la prime alors que le travailleur était en assignation temporaire. Le Tribunal ordonne à l'employeur de verser au travailleur la somme forfaitaire pour la période visée, et ce, sans intérêt en raison de la bonne foi de l'employeur, qui a appliqué un décret et des directives, ainsi que du contexte dans lequel se sont produits les faits.