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Se retirer dans un garde-manger

Une suspension de 6 mois est substituée au congédiement d'une auxiliaire en santé et services sociaux qui s'est retirée plus de 1 heure dans un garde-manger; il était déraisonnable pour l'employeur de faire fi du contexte de la faute, soit les craintes exprimées par la plaignante quant au fait de devoir travailler seule, la nuit, en présence d'une nouvelle usagère violente et imprévisible.
21 janvier 2025

Intitulé

Syndicat des travailleuses et travailleurs de la santé et des services sociaux (CSN) et Centre intégré de santé et de services sociaux de l'Outaouais (Maria-Atalina Dagobert), 2024 QCTA 397

Juridiction

Tribunal d'arbitrage (T.A.)

Type d'action

Griefs contestant une lettre de congédiement et un congédiement. Accueillis en partie; le congédiement est modifié en une suspension de 6 mois.

Décision de

Me Denis Nadeau, arbitre

Date

9 septembre 2024


La plaignante, une auxiliaire en santé et services sociaux, travaillait seule la nuit dans une unité hébergeant des jeunes présentant des troubles graves du comportement. Elle a été congédiée pour s'être retirée dans un garde-manger durant la nuit du 14 au 15 janvier 2018. La plaignante a expliqué ce geste par la peur et le sentiment d'insécurité qu'elle vivait depuis l'arrivée d'une jeune usagère présentant un comportement imprévisible, agressif et violent. L'employeur soutient qu'elle a fait preuve de négligence et que la gravité de la faute justifiait la rupture du lien d'emploi.

Décision

La preuve non contestée révèle sans équivoque que l'usagère en cause avait déjà causé des blessures physiques à divers intervenants au centre jeunesse où elle se trouvait avant son arrivée à l'unité. Cela a suscité de l'inquiétude chez la plaignante, qui travaillait seule la nuit, alors qu'il y avait toujours au moins 2 personnes pendant les autres quarts de travail. Dans la nuit du 27 au 28 décembre 2017, l'usagère a fait une crise au cours de laquelle elle a notamment menacé de tuer la plaignante à l'aide d'un couteau. Cette dernière a demandé à sa gestionnaire de ne plus être seule pendant le quart de nuit parce qu'elle craignait l'usagère, mais l'employeur n'a pas fait droit à sa demande. Le Tribunal comprend également que le document de prévention active propre à l'usagère, qui est pourtant l'outil principal d'intervention, n'a été présenté et expliqué à la plaignante que durant la nuit du 14 au 15 janvier, par une agente de relations humaines qui s'était rendue à l'unité et qui avait constaté l'absence de la plaignante. Par ailleurs, l'employeur a reconnu qu'un agent d'intervention avait été ajouté au quart de nuit à la suite des événements. La gestionnaire de la plaignante a expliqué que la décision de congédier celle-ci n'était pas fondée sur les motifs de ses gestes, mais bien sur le fait que les usagers mineurs de l'unité avaient été laissés sans surveillance pendant plus de 1 heure. Sans nier que la plaignante se soit trouvée dans le garde-manger de 2 h 10 et à 3 h 30 environ, le Tribunal signale que l'agente de relations humaines est arrivée vers 2 h 33 et qu'elle s'est installée au centre de l'unité après avoir constaté que les usagers dormaient dans leurs chambres. L'agente n'était certes pas à l'unité pour effectuer le travail de la plaignante, mais le fait est que l'absence de surveillance des usagers n'a duré qu'une vingtaine de minutes. Néanmoins, le retrait de la plaignante dans le garde-manger pendant environ 1 heure 20 minutes constitue une faute sérieuse qui méritait une sanction disciplinaire, et ce, même si ce geste n'a pas eu de conséquences et s'il a été effectué «sans malice».

Les 2 personnes au coeur de la décision de congédier la plaignante, dont sa gestionnaire, allèguent que la présence de l'usagère dans l'unité, ses comportements imprévisibles, sa violence physique et verbale ainsi que ses troubles du sommeil n'ont pas été considérés comme pertinents et n'ont eu aucune incidence dans l'évaluation de la sanction à imposer. Or, le Tribunal estime que de faire ainsi abstraction de l'ensemble des circonstances directement liées au geste commis par la plaignante est erroné et déraisonnable. Ces circonstances n'étaient ni bénignes ni superficielles. Au contraire, elles mettent en lumière le travail d'une salariée ne possédant pas la formation d'une professionnelle en troubles graves du comportement ni les techniques d'une agente d'intervention, mais qui devait travailler seule pendant le quart de nuit dans une unité comportant 4 usagers ayant tous un potentiel de comportements agressifs. Malgré ses demandes, la plaignante n'a reçu aucune aide particulière ni aucun soutien adapté de la part de sa gestionnaire relativement à l'usagère. L'employeur invoque l'expérience qu'avait la plaignante pour expliquer sa position. Or, plusieurs intervenants ont indiqué que les interventions auprès de l'usagère en cause comportaient des risques réels pour leur sécurité, et ce, en dépit d'une expérience importante et d'une force physique certaine. Même si la plaignante n'a pas exercé un droit de refus, il demeure que l'employeur était légalement tenu d'assurer sa sécurité. La plaignante, qui était au service de ce dernier depuis 2005, avait un dossier disciplinaire vierge. Elle a reconnu qu'elle s'était retirée dans le garde-manger et a exprimé des regrets. Compte tenu de l'ensemble des circonstances et du droit applicable, le Tribunal estime que le congédiement était déraisonnable et trop sévère et qu'il y a lieu d'y substituer une suspension de 6 mois sans salaire. Cette sanction, qui demeure sévère, indique la réprobation du geste commis, tout en tenant compte du contexte dans lequel les événements se sont déroulés.