Intitulé
Fortuné Laurore c. Meilleures Marques ltée, 2024 QCTAT 3013
Juridiction
Tribunal administratif du travail, Division des relations du travail (T.A.T.), Laval
Type d'action
Plainte en vertu de l'article 123.6 de la Loi sur les normes du travail pour harcèlement sexuel et psychologique — rejetée.
Décision de
Véronique Girard, juge administrative
Date
23 août 2024
Décision
La plaignante occupait un poste de coordonnatrice logistique chez l'employeur, une compagnie de distribution — ses allégations concernant le harcèlement sexuel d'un cariste n'ont pas été contredites — la plaignante a été victime de commentaires et de propositions à caractère sexuel ainsi que d'un attouchement — ces comportements étaient non désirés, insistants et répétés — il s'agit d'une conduite vexatoire — pour ce qui est des propos à caractère sexuel d'un second cariste, alors que ce dernier a demandé à la plaignante son numéro de téléphone pour aller danser, il s'agit d'une blague de mauvais goût — son caractère isolé et non répétitif ne permet pas de la qualifier de conduite vexatoire — par ailleurs, un chauffeur-livreur aurait dit à la plaignante qu'il était impossible de ne pas ressentir quelque chose en la voyant — il s'agit d'un commentaire déplacé et non désiré, mais qui ne s'est pas reproduit — pour ce qui est des allégations de harcèlement à caractère psychologique, la plaignante appuie notamment ses prétentions sur l'enquête de la CNESST, qui a conclu à la présence d'une telle situation — or, le Tribunal doit trancher la plainte à partir de la preuve présentée devant lui et non pas à partir d'une précédente enquête administrative — le témoignage de la plaignante révèle une tendance à l'exagération — la preuve indique également une tendance à interpréter toutes les contrariétés vécues dans son milieu de travail comme de la persécution — le Tribunal ne peut écarter l'ensemble des témoignages rendus par les représentants de l'employeur et retenir la vision tronquée de la réalité de la plaignante comme unique point d'analyse — en ce qui concerne le supérieur de la distribution, la preuve a révélé qu'il était avant tout question d'une relation conflictuelle entre la plaignante et ce dernier — quant au chef d'équipe sur le plancher, la plaignante n'a pas démontré que les paroles qui lui sont reprochées lui étaient destinées — en ce qui a trait aux propos tenus par un autre cariste qui a apostrophé la plaignante en blasphémant et en remettant en cause sa compétence devant d'autres employés, outre leur incivilité, ils étaient hostiles et dénigrants — en ce qui concerne la situation avec le voisin de bureau de la plaignante, lequel lui a répondu sur un ton enragé des propos désobligeants d'une incivilité flagrante, bien qu'une situation semblable ne se soit pas reproduite, il s'agissait néanmoins de propos hostiles et humiliants — la plaignante a également affirmé que l'attitude du personnel d'entrepôt avait changé à son égard après le dépôt de sa plainte pour harcèlement sexuel — la preuve a démontré que la confidentialité de sa plainte n'avait pas été assurée — il n'a toutefois pas été établi que la plaignante avait été victime de représailles à la suite du dépôt de sa plainte.
En somme, outre les propos et le geste à caractère sexuel de l'un des caristes, qui constituent à eux seuls une conduite vexatoire, la plaignante a démontré avoir fait l'objet à 2 reprises de propos incivils et hostiles de la part de 2 collègues — il s'agit toutefois de 2 événements ponctuels visant des personnes distinctes, lesquels ont été gérés sur-le-champ par le chef du centre de distribution sans qu'il y ait de récidive — lorsqu'ils sont évalués globalement, ces 2 événements n'ont pas le caractère de répétitivité nécessaire pour conclure à l'existence d'une conduite vexatoire à caractère psychologique de la part des collègues — même s'il concluait à une telle conduite, le Tribunal estimerait que l'employeur a fait le nécessaire pour la faire cesser lorsque les situations ont été portées à sa connaissance.
Le fait d'avoir subi des gestes et des propos à caractère sexuel sur les lieux de son travail est une atteinte à la dignité de la plaignante — la preuve a également révélé une atteinte à son intégrité psychologique, la plaignante ayant témoigné de plusieurs conséquences à cet égard — son témoignage a aussi révélé que les propos et les gestes du cariste avaient créé un sentiment d'insécurité au travail — en raison de ceux-ci, la plaignante a donc subi du harcèlement au sens de la loi — l'employeur a conclu qu'il s'agissait d'une faute grave et a imposé une suspension de 5 jours au cariste en prenant en considération son ancienneté et son dossier disciplinaire vierge — par ailleurs, au moment où la plaignante a subi du harcèlement sexuel, il existait chez l'employeur une politique de prévention du harcèlement psychologique et sexuel et de traitement des plaintes depuis plusieurs années — cette politique était affichée dans l'entrepôt ainsi qu'à la cafétéria, elle avait déjà été présentée au personnel du centre de distribution et sa lecture annuelle était obligatoire — l'employeur a donc rempli son obligation légale de prévenir le harcèlement — même si, selon la plaignante, l'employeur aurait dû mettre en place des mesures de protection à son égard, l'approche de ce dernier était raisonnable et proportionnée à la situation dénoncée — quant à l'absence de soutien psychologique offert, le long délai pour conclure l'enquête n'a certainement pas aidé à rassurer la plaignante — toutefois, cela ne fait pas partie de l'obligation de l'employeur de faire cesser le harcèlement, mais relève plutôt de bonnes pratiques de gestion des ressources humaines.