Intitulé
Charruau c. Domaine Lanaudière (9218-7707 Québec inc.), 2024 QCTDP 12
Juridiction
Tribunal des droits de la personne (T.D.P.Q.), Joliette
Type d'action
Demande en réclamation de dommages moraux (10 000 $) et de dommages punitifs (2 000 $). Accueillie en partie (7 000 $).
Décision de
Juge Catherine Pilon, Me Pierre Arguin et Me Gabriel Babineau, assesseurs
Date
9 juillet 2024
En mars 2021, le demandeur a présenté sa candidature au poste de chef de maintenance offert à la résidence pour personnes âgées exploitée par la défenderesse Domaine Lanaudière, laquelle fait partie du Groupe Édifio. Il était alors nouvellement retraité après avoir occupé le poste de concierge de 1985 à 2020 dans un centre de services scolaire. Il a reconnu sa culpabilité sous une accusation en lien avec de la violence conjugale en 1995, puis il a bénéficié d'une absolution conditionnelle en 1997 comprenant une probation de 2 ans assortie de 120 heures de travaux communautaires. Il reproche aux défenderesses d'avoir agi en violation de ses droits protégés par les articles 4 et 18.2 de la Charte des droits et libertés de la personne en refusant de l'embaucher en raison de ses antécédents judiciaires. Il affirme que, le lendemain de la réception du rapport sur les antécédents judiciaires, il a été informé que sa candidature n'était pas retenue au motif que la direction des ressources humaines ne permettait pas son embauche, compte tenu de ses antécédents. Les défenderesses affirment que le rejet de la candidature est plutôt fondé sur l'absence de compétences requises du demandeur pour le poste en question et qu'il n'a jamais été question des antécédents judiciaires lors de l'appel de suivi.
Décision
a version des défenderesses est difficilement conciliable avec plusieurs autres éléments de preuve. Dans le cadre de son témoignage, le représentant des défenderesses a prétendu essentiellement que le processus d'embauche avait révélé que la candidature du demandeur n'était pas satisfaisante, car celui-ci n'avait pas les compétences nécessaires dans l'entretien d'immeubles et qu'il n'avait jamais été question de l'embaucher. Il affirme qu'une première entrevue a été tenue au téléphone, sur haut-parleur en raison des mesures sanitaires imposées durant la pandémie de la COVID-19, et que la piètre qualité du son faisait en sorte qu'il était difficile de bien entendre les réponses du demandeur. Il a ensuite convoqué ce dernier à une entrevue à la résidence afin d'obtenir de meilleures réponses. Or, il est incompréhensible que le représentant des défenderesses n'ait pas écourté l'entrevue du demandeur s'il avait décidé d'écarter d'emblée sa candidature. Au contraire, le représentant lui a fait remplir les documents d'embauche et lui a fait visiter les lieux. En outre, il semble improbable que, en pleine pandémie, le représentant des défenderesses ait convoqué en personne un candidat insatisfaisant dans le but d'aller chercher de meilleures réponses. Par ailleurs, les nombreuses affirmations du représentant des défenderesses au sujet du manque de compétence du demandeur sont incompatibles avec la preuve. Celui-ci mentionnait dans son curriculum vitae qu'il avait été le président d'une entreprise de construction de 2005 à 2011 et qu'il supervisait alors 22 personnes de différents corps de métier. Il a également fait mention d'expériences pertinentes pour le poste. Il est beaucoup plus probable que le demandeur ait été convoqué à une entrevue en personne puisque son entrevue téléphonique s'était bien déroulée. Il y a lieu de conclure que la candidature du demandeur avait initialement été retenue et que ce sont ses antécédents judiciaires qui constituent la seule raison de refuser son embauche subséquente. Une somme de 5 000 $ est accordée au demandeur pour compenser le préjudice moral subi, ainsi que 1 000 $ par défenderesse à titre de dommages punitifs. Que les parties défenderesses aient eu ou non l'intention de causer le préjudice moral qu'a subi le demandeur, il ne fait pas de doute qu'une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances pouvait prévoir les conséquences. En effet, le refus d'embauche, alors que le demandeur avait les compétences requises, sur la base d'un événement s'étant produit plus de 25 ans auparavant dans un contexte conjugal, sans même lui donner la chance de s'expliquer, ne pouvait que mener à un préjudice moral. Il était prévisible que le demandeur soit ébranlé par le refus et que son moral soit touché.