Intitulé
Bergeron c. Société en commandite Park Avenue-T, 2024 QCTAT 2852
Juridiction
Tribunal administratif du travail, Division des relations du travail (T.A.T.), Montérégie
Type d'action
Requête en fixation d'indemnités — accueillie en partie.
Décision de
Christian Reid, juge administratif
Date
12 août 2024
Décision
Le TAT a déclaré que la requérante avait été congédiée sans cause juste et suffisante le 6 novembre 2020 — la réintégration n'a pas été ordonnée puisque cette dernière y a renoncée — l'employeur fait valoir qu'il n'y a pas lieu d'accorder à la requérante une indemnité pour perte de salaire, alléguant qu'il n'a jamais souhaité se départir de ses services et qu'il l'a maintes fois invitée à reprendre ses fonctions — cet argument n'est pas retenu — avant le 6 novembre 2020, l'offre de reprendre le travail ne comportait aucun compromis quant au salaire — une personne raisonnable n'aurait pas accepté une telle offre afin de respecter son obligation de limiter ses dommages — après le 6 novembre, l'employeur n'a par ailleurs présenté aucune offre de retour au travail à la requérante afin de lui permettre de limiter ses dommages — dans Gareau (Groupe Gareau inc.) c. Brouillette (C.A., 2013-05-30), 2013 QCCA 969, SOQUIJ AZ-50971148, 2013EXP1979, 2013EXPT-1106, J.E. 2013-1057, D.T.E. 2013T-396, [2013] R.J.D.T. 535, la Cour d'appel a confirmé qu'un délai de 2 mois afin qu'un salarié comptant 20 années de service continu absorbe le choc de sa fin d'emploi et pense à la réorientation de sa carrière est raisonnable — la requérante possédait plus de 25 années de service continu chez l'employeur — sa fin d'emploi est survenue le 6 novembre 2020 et il y lieu de considérer, tout comme dans Gareau (Groupe Gareau inc.), qu'il est plus difficile de rechercher un emploi pendant la période des Fêtes — bien que le long délai qu'a pris la requérante représente un cas limite, le Tribunal estime que la requérante était fondée à ne pas commencer de recherches d'emploi (ou, dans son cas, une réflexion sur son avenir) avant le 11 mars 2021, soit la date de la séance de médiation tenue à l'invitation de la CNESST, dans le cadre de laquelle les parties n'ont pas réussi à s'entendre — par la suite, la requérante a immédiatement entrepris, de manière organisée et efficace, le démarrage de son entreprise — elle a alors exercé une mesure appropriée afin de réduire ses dommages, du moins pendant un certain temps — il n'appartient pas à l'employeur de supporter tous les risques inhérents au choix d'un salarié congédié de devenir entrepreneur — vu l'expertise et les compétences de la requérante, il ne fait aucun doute que cette dernière aurait pu trouver un nouvel emploi relativement rapidement, n'eût été sa décision de se consacrer au démarrage de son entreprise — il est raisonnable de considérer qu'elle n'était plus en situation de réduction de ses dommages et qu'elle a aggravé son préjudice après un délai supplémentaire de 6 mois, soit jusqu'au 30 septembre 2021 — puisque les sommes que la requérante a reçues de son entreprise en 2021 couvrent toute l'année, et par analogie avec Lévesque et Martin Chevrolet Buick GMC inc. (T.A.T., 2018-09-12 (décision rectifiée le 2018-09-20)), 2018 QCTAT 4572, SOQUIJ AZ51529783, 2018EXPT-1892, il n'y a pas lieu de déduire ces sommes de l'indemnité qui lui sera accordée à titre de perte salariale — l'indemnité pour perte salariale couvrant la période du 6 novembre 2020 au 30 septembre 2021 totalise 135 494 $ — la requérante a aussi droit à une indemnité pour congé annuel de 13 549 $ ainsi qu'à une somme de 10 162 $, laquelle correspond à la contribution de l'employeur à son régime enregistré d'épargne-retraite — elle a également droit au remboursement de certains frais médicaux — les dépenses engagées après le 30 septembre 2021 ne sont pas retenues.
La requérante a droit à une somme à titre de dommages moraux — sans diminuer l'importance de ce qu'elle a vécu, sa situation n'a pas nécessité de suivi médical ni l'aide d'un professionnel autre que son avocat — son impuissance, ses crises de panique et ses problèmes de sommeil étaient cependant réels et liés à la décision de l'employeur de modifier ses conditions de travail de même qu'à son congédiement déguisé — l'intransigeance dont a fait preuve l'employeur, malgré l'ouverture de la requérante à trouver une solution négociée, a aussi contribué à miner le moral de cette dernière — il paraît juste et raisonnable de fixer l'indemnité pour compenser les dommages moraux à 2 500 $ — par ailleurs, s'il est vrai que la décision de l'employeur de modifier unilatéralement et de manière substantielle les conditions de travail et la rémunération de la requérante a permis de conclure à un congédiement déguisé, aucune preuve ne supporte l'allégation affirmant que l'employeur a usé d'un prétexte afin de se départir des services de la requérante et que, ce faisant, il aurait commis un abus de droit.
Quant aux frais et aux honoraires juridiques, même si les honoraires versés au premier avocat de la requérante n'ont pas été engagés pour la représentation devant le Tribunal, ils demeurent en lien direct avec la plainte pour congédiement sans cause juste et suffisante — la recherche d'un règlement, y compris la participation à un processus de médiation, est favorisée par nombre de lois au Québec, y compris la Loi sur les normes du travail — en droit du travail, il s'agit presque d'un passage obligé — n'eût été le congédiement déguisé dont elle a été victime, lequel a été sanctionné par le Tribunal, la requérante n'aurait pas eu à engager ces frais — le choix de cette dernière de recourir rapidement aux services d'un avocat n'était pas un caprice — les honoraires totaux de cet avocat s'élèvent à 5 610 $ — il s'agit d'une somme raisonnable et le Tribunal ordonne à l'employeur de la rembourser — en que ce concerne les honoraires de l'avocat ayant représenté la requérante lors des audiences devant le Tribunal, si l'on devait tenir compte des factures et de l'entente à pourcentage, cela représenterait approximativement 50 000 $ — il s'agit d'une somme déraisonnable — il y a eu 3 journées d'audience sur le fond ainsi que 1 journée sur les mesures de réparation — la somme à rembourser à la requérante sera donc de 16 000 $, le tout majoré des taxes applicables.
Afin de calculer les intérêts sur l'indemnité pour perte de salaire et autres avantages, la jurisprudence applique la méthode préconisée dans Laplante-Bohec c. Publications Quebecor Inc. (T.T., 1979-08-16), [1979] T.T. 268 — le point de départ est le dépôt de la plainte, soit le 4 décembre 2020 en l'espèce, et la fin de la période d'accumulation est le 30 septembre 2021 — en ce qui a trait aux intérêts sur les dommages moraux, puisque le préjudice s'est produit au moment du congédiement déguisé, cette somme porte intérêt, à plein taux à compter de la plainte — relativement aux frais médicaux, la somme accordée porte intérêt à plein taux à compter de la date où les derniers frais ont été engagés — quant aux honoraires payés au premier avocat, la somme accordée à ce titre porte intérêt à plein taux à compter de la dernière facturation.
Réf. ant : (T.A.T., 2023-07-13), 2023 QCTAT 3503, SOQUIJ AZ-51958178, 2023EXPT-1548.