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Dénonciation de harcèlement: congédiement présumé illégal

L'employeur, une entreprise de fabrication et de vente de sculptures en bois, n'a pas repoussé la présomption selon laquelle la plaignante avait été congédiée après avoir dénoncé le harcèlement psychologique dont elle se disait victime de la part d'un collègue; la plainte (art. 122 L.N.T.) est accueillie et la réintégration est ordonnée.
6 novembre 2024

Intitulé

Castro Morante c. Sculpteur Flamand inc., 2024 QCTAT 2820

Juridiction

Tribunal administratif du travail, Division des relations du travail (T.A.T.), Québec

Type d'action

Plaintes en vertu des articles 122 et 124 de la Loi sur les normes du travail (L.N.T.) à l'encontre d'un congédiement — la première plainte est accueillie et la seconde est rejetée.

Décision de

Christian Drolet, juge administratif

Date

7 août 2024


Décision

La plaignante travaillait pour l'employeur, une entreprise de fabrication et de vente de sculptures en bois — elle soutient avoir été congédiée sans cause juste et suffisante et avoir été victime d'une mesure de représailles à la suite de l'exercice d'un droit prévu à la Loi sur les normes du travail, soit la dénonciation du harcèlement psychologique dont elle se disait victime au travail — la plaignante a volontairement mis fin à son lien d'emploi en quittant sans autorisation le travail pour une période de 6 semaines au mois de juillet 2022 — elle avait pris la décision d'aller en vacances au Pérou, et ce, qu'elle y soit autorisée ou non, et sa conduite, étant donné que son absence n'avait pas été autorisée, équivaut à un départ volontaire ou à une démission implicite — la plaignante remplit toutes les conditions d'ouverture du recours prévu à l'article 124 L.N.T., sauf celle liée à la durée du service continu — puisqu'elle a démissionné au mois de juillet 2022, il y a eu une rupture du lien d'emploi — la durée du service continu effectué auprès de l'employeur repart à zéro si elle est de nouveau embauchée par celui-ci — puisqu'elle soutient que le congédiement est survenu le 24 août 2022, soit à peine 1 semaine après son retour au travail, elle n'a pas droit au recours prévu à l'article 124 L.N.T. puisqu'elle ne justifiait pas de 2 ans de service continu au sein de l'entreprise au moment de son congédiement — elle a cependant été réembauchée sans condition le 15 août 2022.

La Loi sur les normes du travail accorde à tout salarié le droit à un environnement de travail exempt de harcèlement psychologique — le 18 août 2022, la plaignante a exercé ce droit en demandant au propriétaire ce qu'il entendait faire à la suite des insultes qu'avait proférées le frère de celui-ci à son endroit, ce qu'elle considérait comme une conduite vexatoire — comme la plaignante a exercé son droit les 18 et 19 août 2022 et qu'elle a été congédiée le 24 août suivant, il y a concomitance entre l'exercice de son droit et le congédiement, de sorte que la présomption qu'elle a été congédiée en raison de l'exercice d'un droit protégé s'applique — les seuls motifs invoqués dans la lettre de congédiement sont l'absence non autorisée de 6 semaines, l'instabilité de son horaire de travail ainsi que ses retards et ses absences répétés — l'employeur prétend que ces manquements ont sérieusement porté atteinte au lien de confiance qui doit exister entre un salarié et son employeur — si cela est vrai, il est difficile de comprendre la raison pour laquelle la plaignante a été embauchée de nouveau le 15 août 2022 — la prétention de l'employeur voulant qu'il se soit donné une période de réflexion avant de décider s'il la réembauchait ou non n'est pas retenue — il l'a invitée à travailler de nouveau pour lui sans condition le 15 août, et la plaignante a accepté — l'employeur ne lui a jamais reproché l'instabilité de son horaire de travail ou ses absences et retards répétés avant le 24 août 2022 — le voyage de la plaignante a eu pour effet de rompre son lien d'emploi avec l'employeur, ce qui est l'équivalent en soi d'une sanction — la plaignante n'a pas démissionné le 19 août 2022 — elle a simplement exprimé ne plus vouloir travailler dans un contexte où elle se sentait harcelée par le frère du propriétaire, tout en demandant au dirigeant de l'entreprise ce qu'il entendait faire à ce sujet — elle a été congédiée en guise de réponse — il n'est pas possible, dans un tel contexte, de conclure que l'exercice du droit protégé n'a pas contribué à la décision de congédier la plaignante — sa plainte doit être accueillie et sa réintégration, ordonnée.

Plainte en vertu de l'article 123.6 L.N.T. pour harcèlement psychologique — rejetée — la plaignante soutient avoir été victime de harcèlement psychologique durant sa période d'emploi — tous les comportements ou gestes commis par le frère du propriétaire de l'entreprise ont eu lieu entre le mois de mars et le 18 août 2022, soit une période de 4 mois qui a été entrecoupée par une absence de 6 semaines — chacun des comportements découle d'une cause différente bien qu'ils visent tous la plaignante — même si l'on considère ces comportements comme hostiles, il s'agit d'événements ponctuels qui n'ont pas un caractère répétitif — analysés globalement, ils révèlent plutôt des rapports sociaux difficiles, ce qui, sauf exception, demeure normal dans un contexte de relations du travail — la preuve ne permet pas de conclure à l'existence d'une conduite vexatoire par le frère du propriétaire à l'égard de la plaignante — il n'y a donc pas lieu de procéder à l'analyse des 2 autres éléments de la définition de «harcèlement psychologique», soit l'atteinte à la dignité et à l'intégrité ainsi que le milieu de travail néfaste.