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Stagiaire malade, stagiaire protégé par la loi

Le Cégep de Trois-Rivières n'a pas repoussé la présomption selon laquelle un étudiant en soins infirmiers a échoué à son stage en médecine ambulatoire en raison d'absences pour cause de maladie et pour prendre soin d'un enfant, lesquelles sont protégées par la Loi visant à assurer la protection des stagiaires en milieu de travail; l'échec est annulé et la réintégration du plaignant dans le stage est ordonnée.
7 octobre 2024

Intitulé

Cloutier c. Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Mauricie et du Centre-du-Québec, 2024 QCTAT 2421

Juridiction

Tribunal administratif du travail, Division des relations du travail (T.A.T.), Mauricie--Centre-du-Québec

Type d'action

Plainte en vertu de l'article 20 de la Loi visant à assurer la protection des stagiaires en milieu de travail — accueillie.

Décision de

Annie Laprade, juge administrative

Date

4 juillet 2024


Décision

le plaignant est inscrit au programme «Technique de soins infirmiers» du Cégep de Trois-Rivières — il prétend que l'échec de son stage en médecine ambulatoire au Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Mauricie et du Centre-du-Québec (CIUSSS) découle, du moins en partie, de ses absences pour cause de maladie ou pour des raisons familiales, soit des absences protégées par l'article 11 de la Loi visant à assurer la protection des stagiaires en milieu de travail — le Cégep et le CIUSSS soutiennent que le plaignant n'a exercé aucun droit protégé par la loi — le 30 août 2022, ce dernier a avisé l'enseignante responsable qu'il serait absent du stage parce que son enfant était malade — à l'audience, il a précisé qu'il s'agissait en fait de l'enfant de sa conjointe — cette imprécision n'entraîne aucune conséquence puisque le droit au congé est le même, que l'enfant soit le sien ou celui de sa conjointe — la prétention du CIUSSS selon laquelle le plaignant a échoué à démontrer qu'il avait pris les moyens raisonnables pour éviter de s'absenter se heurte au libellé de l'article 11 de la Loi visant à assurer la protection des stagiaires en milieu de travail, qui impose plutôt au stagiaire de prendre les moyens raisonnables pour «limiter la durée de l'absence» — une lecture cohérente de l'article 11 alinéa 2 permet de conclure que l'obligation de prendre les moyens raisonnables pour limiter la durée de l'absence vise celle qui excède 1 journée — le plaignant s'étant absenté 1 journée pour garder l'enfant de sa conjointe, il a correctement exercé le droit prévu à l'article 11 — il a d'ailleurs présenté un travail supplémentaire en classe, conformément à la politique du Cégep, afin de compenser sa journée d'absence — le 28 septembre suivant, le plaignant a informé l'enseignante qu'il était malade et qu'il produirait un billet médical pour justifier son absence du stage — cette dernière l'a alors informé qu'il ne pourrait se présenter à son stage le lendemain puisqu'il faut attendre 48 heures après une gastro-entérite pour travailler dans un milieu de soins — le plaignant s'est abstenu de se rendre aux urgences après avoir communiqué avec le service Info-Santé — le Cégep et le CIUSSS affirment que le plaignant n'a pas exercé de droit puisqu'il n'a pas remis la pièce justificative que le plan de cours exige pour motiver chaque absence — or, cette exigence prévue au plan de cours est beaucoup trop large et contraignante et elle ne peut faire perdre le droit aux congés prévus à la Loi visant à assurer la protection des stagiaires en milieu de travail, qui est d'ordre public — en outre, aucun document n'a été requis au moment opportun et les explications du plaignant quant à l'absence de billet médical sont raisonnables — le Cégep et le CIUSSS prétendent enfin que les absences des 28 et 29 septembre ne constituent pas l'exercice d'un droit parce que la décision quant à l'échec du stage avait déjà été prise à ce moment — or, la mention d'échec lors de l'évaluation de mi-stage n'a été communiquée au plaignant que le 4 octobre, soit après ses absences — cela est suffisant pour établir l'exercice d'un droit.

Le 24 octobre, le Cégep a confirmé l'échec du plaignant et a avisé celui-ci de ne pas se présenter aux prochaines journées de stage — le CIUSSS soutient qu'il ne s'agit pas d'une sanction au sens de la loi — le Tribunal est toutefois d'avis que l'emploi des termes «mettre fin à un stage» à l'article 20 de la Loi visant à assurer la protection des stagiaires en milieu de travail ne restreint pas les conditions d'ouverture du recours aux seules évaluations qui interrompent un stage — il s'agit d'une disposition réparatrice qu'il convient d'interpréter largement, de manière à lui donner son plein effet — la distinction entre l'évaluation d'un stage et le fait d'y mettre fin n'est d'aucune utilité en l'espèce puisque le résultat est le même — un établissement d'enseignement dispose de toute la latitude pour conclure à l'échec du stage d'une personne qui n'a pas acquis les connaissances et les compétences attendues — cette décision doit cependant reposer sur d'autres motifs que l'exercice légitime d'un droit prévu par la loi, et ce, peu importe qu'elle soit prise en cours de stage ou à la fin de celui-ci — il y a concomitance entre les absences du plaignant et la mention d'échec à la mi-parcours ayant entraîné la fin de son stage — ce dernier bénéficie donc de la présomption légale prévue à l'article 25 de la Loi visant à assurer la protection des stagiaires en milieu de travail.

Le Cégep prétend que la mention d'échec repose uniquement sur les lacunes du plaignant relatives aux compétences essentielles à la profession d'infirmier — la grille d'évaluation fait état de lacunes sur le plan des apprentissages attendus au terme du cours théorique et des compétences acquises lors des sessions précédentes, qui doivent être maintenues tout au long du programme d'études — le Cégep soutient que c'est ce qui a entraîné l'échec du stage, l'enseignante responsable ayant noté que le plaignant avait été impoli à son endroit et qu'il avait utilisé du matériel non stérilisé — or, l'enseignante a également commenté le nombre de jours d'absence du plaignant — l'affirmation d'une directrice adjointe du Cégep selon laquelle les jours de stage effectués par le plaignant suffisaient pour évaluer ses apprentissages contredit l'évaluation de l'enseignante, qui a affirmé que les absences de ce dernier empêchaient d'évaluer adéquatement sa performance — le Cégep soutient que l'échec a été constaté avant l'exercice d'un droit, soit lorsque le plaignant a fait preuve d'irrespect à l'endroit de l'enseignante, le 21 septembre — le fait que cette dernière ait présenté son projet d'évaluation après les absences des 28 et 29 septembre tend à démontrer le contraire — il appert également que, à la suite de l'événement du 21 septembre, l'équipe de coordination du département de soins infirmiers s'est affairée à rédiger un contrat pédagogique permettant au plaignant de poursuivre ses études suivant des conditions strictes — le Tribunal en comprend que l'échec n'était pas envisagé le 21 septembre, au contraire — la présomption n'a pas été repoussée, le Cégep n'ayant pas démontré l'absence de relation entre l'échec du stage et les absences du plaignant — la décision relative à l'échec du stage est annulée.

Le plaignant demande de réintégrer le cours «Soins ambulatoires et intégration» au second bloc du stage plutôt qu'au bloc de médecine ambulatoire — le Tribunal estime qu'il serait inapproprié de conclure à la réussite du stage en médecine ambulatoire puisque les absences du plaignant l'ont privé de certains apprentissages — il appartient au Cégep de déterminer la mesure appropriée pour lui permettre de mener à bien sa formation, et ce, dans le respect de la loi — le plaignant doit être réintégré dans le cours «Soins ambulatoires et intégration» ou son équivalent lors de la session d'automne 2024 — étant non contestées, les demandes du plaignant visant le retrait de la mention d'échec de son dossier scolaire et disciplinaire et la désignation d'un autre enseignant responsable lors de sa réintégration sont accordées.

Le plaignant réclame 2 500 $ au Cégep pour compenser le préjudice moral subi en raison de l'échec de son stage — le Cégep et le CIUSSS soutiennent que la Loi visant à assurer la protection des stagiaires en milieu de travail n'accorde pas un tel pouvoir au Tribunal — l'article 30 de cette loi renvoie aux dispositions du Code du travail et de la Loi sur les normes du travail (L.N.T.), mais accorde également des pouvoirs supplémentaires au Tribunal, lesquels sont décrits en des termes larges — l'article 30 alinéa 2 de la Loi visant à assurer la protection des stagiaires en milieu de travail décrit de façon large le pouvoir du Tribunal de rendre toute décision lui paraissant juste et raisonnable — le libellé de cette disposition est comparable à celui de l'article 128 paragraphe 3 L.N.T., qui constitue l'assise du pouvoir du Tribunal d'ordonner le versement de dommages non pécuniaires au salarié congédié sans cause juste et suffisante — le Tribunal est d'avis que l'article 30 alinéa 2 de la Loi visant à assurer la protection des stagiaires en milieu de travail lui permet d'ordonner le versement de dommages non pécuniaires au stagiaire victime d'une pratique interdite lorsque les circonstances le justifient — en l'espèce, le plaignant a cessé de participer au cours puisque l'échec du stage implique nécessairement l'échec du volet théorique — son échec a entraîné sa suspension pour 1 session, compte tenu des difficultés scolaires et disciplinaires qu'il avait connues les années précédentes — le plaignant a également perdu son emploi de préposé aux bénéficiaires puisqu'il était lié à son statut d'étudiant — il affirme avoir vécu de l'instabilité financière et personnelle qui lui ont causé du stress — il a tenté sans succès de s'inscrire au programme en soins infirmiers de 2 autres établissements de sa région — au moment de l'audience, le plaignant étudiait à l'université en administration et était employé à temps plein au CIUSSS — la preuve des dommages est succincte — le Tribunal ignore tout de la durée et de l'intensité du stress vécu par le plaignant — il est difficile de discerner les conséquences découlant de l'échec du stage de ce qui résulte de ses difficultés antérieures ou de ses choix personnels — dans ces circonstances, le Tribunal considère que le plaignant n'a pas démontré l'existence de dommages moraux causés par la décision illégale du Cégep.