Intitulé
Service d'interprétation visuelle et tactile et Montpetit, 2024 QCTAT 2723
Juridiction
Tribunal administratif du travail, Division de la santé et de la sécurité du travail (T.A.T.), Yamaska
Type d'action
Contestation par l'employeur de décisions ayant déclaré que la travailleuse avait subi une lésion professionnelle. Contestation rejetée.
Décision de
Karine Savard, juge administrative
Date
30 juillet 2024
La travailleuse, une interprète en langue des signes, a produit une réclamation pour un diagnostic de tendinite de l'épaule droite. Selon elle, sa maladie était reliée aux risques particuliers de son travail. Au cours du traitement du dossier, un diagnostic de tendinopathie de la coiffe des rotateurs de l'épaule droite a également été posé. La CNESST a reconnu ces 2 diagnostics à titre de maladie professionnelle. L'instance de révision a confirmé ces décisions.
Décision
L'article 30 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) prévoit qu'un travailleur est considéré comme atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail. À cet égard, les parties n'ont pas présenté de preuve établissant les mouvements susceptibles d'occasionner une tendinite de l'épaule. Le Tribunal peut cependant s'appuyer sur sa connaissance spécialisée pour établir quels gestes sont en cause et, après avoir analysé l'ensemble de la preuve, il est d'avis que l'exercice des tâches de la travailleuse comporte de tels facteurs de risque. En effet, dans le cadre de son témoignage, cette dernière a décrit son travail, mais a aussi traduit en langue des signes un texte lu par son procureur. On a ainsi pu constater que, lorsque la travailleuse interprète des propos, ses bras bougent constamment en raison des mouvements qu'elle exécute, lesquels sollicitent la coiffe des rotateurs de ses épaules. Ses bras sont maintenus en suspension avec des mouvements de flexion, d'extension, d'adduction, d'abduction et de rotation, lesquels sont exécutés à un rythme très rapide et avec une amplitude articulaire de l'épaule allant de 30 à 90 degrés, bien que, la plupart du temps, elle se situe entre 45 et 60 degrés. Lors de l'interprétation, on peut observer des micropauses. Cependant, on constate que la travailleuse maintient une position contraignante pour la coiffe des rotateurs notamment parce qu'elle garde les épaules en légère flexion vers l'avant. Il ne s'agit pas d'une position statique de repos. La travailleuse ne présente pas de facteur de risque autre que le travail. Au moment des événements, elle exerçait sa profession depuis 11 ans, ce qui constitue une période d'exposition considérable. Par ailleurs, elle n'était âgée que de 45 ans et ne présentait aucune condition personnelle préexistante aux membres supérieurs pouvant expliquer sa tendinite de l'épaule droite. Quant au fait que seule l'épaule droite est lésée, cela peut s'expliquer par le fait que la travailleuse est droitière et que, comme elle l'a mentionné, le membre dominant est plus sollicité lorsqu'elle exécute son travail.
La travailleuse a aussi déposé des articles de littérature scientifique pour appuyer ses prétentions. Ces derniers ne constituent pas une preuve particularisée au présent dossier, mais on y trouve des éléments intéressants. Selon un premier article, la littérature scientifique reconnaît que les interprètes en langue des signes présentent des troubles musculosquelettiques touchant notamment la région du cou et des épaules. Dans un autre article, les auteurs ont fait une revue des facteurs pouvant expliquer le risque accru de lésion musculosquelettique des membres supérieurs, lesquels sont principalement, dans le cas des interprètes en langue des signes, la posture et les mouvements répétitifs.
Selon la preuve, le temps passé par la travailleuse à interpréter est variable et ne va pas audelà d'une quinzaine d'heures par semaine. Certes, la jurisprudence enseigne que l'on doit tenir compte de l'importance de l'exposition aux facteurs de risque sur les plans de la durée, de l'intensité et de la fréquence. Il s'agit toutefois de critères destinés à évaluer la présence ou non de risques particuliers et non des conditions d'application de l'article 30 LATMP. Ces critères n'ont pas à être tous présents et leur importance est laissée à l'appréciation du Tribunal, qui doit également tenir compte des autres facteurs. Par ailleurs, rien ne permet de conclure que le nombre d'heures hebdomadaires pendant lesquelles la travailleuse a exercé son métier a été insuffisant pour avoir contribué de façon considérable à l'apparition de la tendinite de l'épaule droite. La preuve a établi au contraire que les mouvements effectués par la travailleuse lorsqu'elle travaille sollicitent de manière répétée et fréquente la coiffe des rotateurs de son épaule droite et qu'il y a présence de facteurs de risque, soit des postures répétées ainsi que des postures statiques de l'épaule, dont certaines vont au-delà de 60 degrés de flexion ou d'abduction, des mouvements répétitifs des poignets et des mains ainsi que des mouvements de rotation ou d'extension des bras.
En outre, même s'il appartient au Tribunal de se prononcer sur la question de la relation et que, à cet égard, l'opinion du médecin de la travailleuse n'est pas liante, celle-ci doit tout de même être prise en considération, alors que ce dernier est d'avis que la tendinite de l'épaule droite est une conséquence des mouvements effectués par la travailleuse dans le cadre de son travail d'interprète. Par conséquent, ce diagnostic est relié aux risques particuliers de son travail d'interprète, la preuve ayant démontré que les risques présents au travail avaient contribué de façon considérable et déterminante au développement de la tendinite. Quant à la seconde décision contestée, l'employeur a indiqué qu'elle devrait suivre le sort de la première contestation. En ce sens, puisque la lésion professionnelle de la travailleuse est reconnue, la reconnaissance du diagnostic de tendinopathie de la coiffe des rotateurs de l'épaule droite en relation avec la lésion professionnelle est maintenue.