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Harcèlement : s’acquitter de ses obligations

L'ancien supérieur de la plaignante s'est présenté sur les lieux du travail alors qu'il ne travaillait plus pour l'employeur, qu'il connaissait l'existence de la plainte pour harcèlement psychologique le visant et qu'il pouvait constater l'effet de sa présence sur la plaignante; bien qu'il s'agisse d'un comportement hostile et non désiré, la plainte est rejetée puisque l'employeur a mis fin à ce dernier.
22 octobre 2024

Intitulé

Niyonzima c. Chez-Nous de Mercier-Est, 2024 QCTAT 2349

Juridiction

Tribunal administratif du travail, Division de la santé et de la sécurité du travail et Division des relations du travail (T.A.T.), Montréal

Type d'action

Plaintes en vertu de l'article 123.6 de la Loi sur les normes du travail pour harcèlement psychologique — rejetées.

Décision de

François Demers, juge administratif

Date

8 juillet 2024


Décision

La demanderesse, une intervenante de proximité dans un organisme sans but lucratif, a déposé une plainte pour harcèlement psychologique visant son supérieur et une autre contre la supérieure qui a succédé à ce dernier — elle reproche à son ancien supérieur d'avoir corrigé, à plusieurs occasions, des textes qu'elle avait rédigés en présence d'autres salariés ou de bénéficiaires — une personne raisonnable n'aurait pas considéré cette situation comme une manifestation d'hostilité — la correction de textes en présence de collègues est un événement anodin et quotidien dans plusieurs milieux de travail — la demanderesse témoigne avoir essuyé des reproches de son ancien supérieur pour un travail de rédaction effectué par un collègue — même si c'est le cas, il s'agit d'un événement isolé, lequel est peu étayé par la preuve — il ne s'agit pas non plus d'une «conduite grave» — la demanderesse reproche à son ancien supérieur d'avoir organisé une rencontre d'équipe qui ne pouvait que dégénérer et n'avoir rien fait pour calmer le jeu ou la protéger — il s'agit d'une approche maladroite, mais il n'appartient pas au Tribunal de dicter les meilleures pratiques de gestion — il n'y avait pas d'hostilité à l'égard de la demanderesse dans cette démarche — quant à la rencontre du 22 août 2018, compte tenu des versions différentes et en l'absence de corroboration par des témoins directs, le Tribunal doit déterminer ce qui s'est véritablement passé — il est établi que la rencontre a donné lieu à un accès de colère de la part de l'ancien supérieur — il est vraisemblable que ce dernier ait haussé le ton après que la demanderesse lui eut reproché de faire preuve d'injustice en faisant référence à ses conditions de travail — il est toutefois peu probable qu'il ait crié ou frappé la table ou encore qu'il se soit précipité vers la demanderesse d'une façon qui aurait fait craindre à une personne raisonnable qu'il allait l'agresser physiquement — la perception du danger de cette dernière ne comporte pas assez d'indices de fiabilité pour être retenue — la preuve révèle par ailleurs que la demanderesse vivait des frustrations quant à ses conditions de travail — les questions de rémunération sont toutefois au coeur des droits de direction de l'employeur — l'approche de ce dernier, qu'elle soit justifiée ou non, n'était pas arbitraire au point de constituer un comportement hostile ou non désiré — la demanderesse témoigne que des salariés qui vivaient des moments difficiles venaient parfois se confier à elle et chercher du réconfort dans son bureau — lorsque son ancien supérieur s'en apercevait, il la grondait en lui disant qu'elle encourageait les commérages — la demanderesse ne s'est pas acquittée de son fardeau d'établir une preuve factuelle suffisante de cette conduite — elle et 5 de ses anciens collègues ont affirmé que l'ancien supérieur créait un milieu de travail toxique — afin de conclure à l'existence d'une condition vexatoire, le Tribunal doit être en mesure d'apprécier les comportements, les paroles ou les gestes qu'on attribue à une personne et de les évaluer en fonction du modèle «subjectif-objectif» — il est impossible d'effectuer cet exercice en l'espèce puisque, en l'absence d'une preuve factuelle précise, les allégations ne sont que des perceptions subjectives dont le Tribunal ne peut apprécier l'objectivité — les événements postérieurs à la fin d'emploi de l'ancien supérieur constituent une conduite vexatoire — une personne raisonnable considérerait comme un geste hostile et non désiré le fait que ce dernier se soit présenté sur les lieux du travail de la demanderesse alors qu'il ne travaillait plus pour l'employeur et qu'il connaissait l'existence de la plainte pour harcèlement psychologique de même que l'incidence de sa présence sur la demanderesse — une personne raisonnable conclurait que cette conduite vexatoire a porté atteinte à la dignité et à l'intégrité psychologique de la victime — la présence de l'ancien supérieur a eu pour effet de créer un milieu de travail néfaste pour la demanderesse, bien que cela ait été de courte durée. En ce qui a trait à l'attitude de la nouvelle supérieure lors d'une rencontre, la demanderesse n'a pas établi la survenance de gestes, de paroles ou de comportements hostiles ou non désirés lors de celle-ci — lors d'une discussion, la nouvelle supérieure a fait une remarque malhabile qui pouvait raisonnablement être interprétée comme un reproche quant au fait d'avoir déposé la première plainte pour harcèlement psychologique — la présentation rapide d'excuses évacue cependant le caractère hostile ou non désiré de l'événement — la demanderesse soutient que la nouvelle supérieure lui a demandé de s'isoler pour ne pas être une mauvaise influence sur l'équipe — elle a choisi elle-même de s'isoler pour ne pas courir le risque que ses interactions avec ses collègues soient mal interprétées — il n'y a pas de preuve prépondérante d'une conduite hostile ou non désirée — il y a par ailleurs eu un conflit quant à certaines conditions de travail — ce désaccord s'inscrit dans le cadre des droits de direction de l'employeur — la preuve ne révèle pas que ce dernier a exercé ceux-ci de façon arbitraire ou capricieuse — l'écoute de l'enregistrement de la rencontre de février 2020 révèle la tenue d'une discussion franche entre la demanderesse et la nouvelle supérieure — même s'il existait manifestement un conflit, une personne raisonnable ne verrait aucun comportement hostile ou non désiré.

L'employeur s'est acquitté de ses obligations en présence d'une situation de harcèlement psychologique — il a réagi dès que possible en transmettant une mise en demeure dans laquelle il enjoignait à l'ancien supérieur de ne plus de se présenter sur les lieux du travail — la conduite de ce dernier a cessé immédiatement.

Contestation par la demanderesse d'une décision ayant déclaré qu'elle n'avait pas subi de lésion professionnelle — rejetée — la demanderesse n'a pas subi un accident du travail — seuls les faits antérieurs à la réclamation (le 28 août 2018) sont analysés — la rencontre du 22 août 2018 est l'élément principal mentionné à la réclamation — il est retenu que la demanderesse a été victime d'un accès de colère de la part de son ancien supérieur et que celui-ci a haussé le ton — cette conversation, aussi malhabile qu'elle ait pu être, ne s'écarte pas du cadre normal et habituel du travail, et ce, même si l'événement a manifestement causé du stress et des désagréments à la demanderesse — aucun événement imprévu et soudain n'a été démontré — la demanderesse n'a pas subi de lésion professionnelle.