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Discrimination pandémique chez Air Canada

L'adoption par Air Canada d'une norme générale d'absence de déficience ou de handicap avec limitations fonctionnelles comme exigence professionnelle pour être maintenu au travail durant la pandémie de la COVID-19 constitue l'essence de la discrimination que toutes les lois sur les droits de la personne veulent éradiquer.
8 octobre 2024

Intitulé

Association internationale des machinistes et travailleurs de l'aérospatiale, district 140 et Air Canada (Michael Palmer), 2024 QCTA 279

Juridiction

Tribunal d'arbitrage (T.A.)

Type d'action

Grief contestant une mise à pied. Accueilli.

Décision de

Me Francine Lamy, arbitre

Date

20 juin 2024


Au moment des faits en litige, le plaignant, qui d'ordinaire était affecté à titre de mécanicien à des tâches d'entretien des avions, était temporairement assigné à une autre fonction en raison des effets secondaires (somnolence) d'un médicament antidouleur qu'il prenait en lien avec un accident du travail. Pendant l'assignation à cette autre fonction, il a été mis à pied en réponse à la crise sanitaire déclenchée par la pandémie de la COVID-19. En effet, pour constituer les équipes réduites, l'employeur a écarté tous les salariés présentant des restrictions fonctionnelles attribuables à une déficience en se fondant sur une clause de la convention collective lui permettant de décréter une «mise à pied technique» lorsqu'il est forcé de mettre fin à son exploitation à la suite de situations indépendantes de sa volonté, dont des cas de force majeure. Par la suite, l'employeur a retardé le retour au travail du plaignant au motif que les effets de sa médication devaient être évalués avant de décider de son assignation. Le syndicat estime que le plaignant a été victime d'un traitement discriminatoire fondé sur un handicap. Il reproche à l'employeur d'avoir contrevenu à la convention et à la décision de la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) ayant reconnu que le plaignant était apte à reprendre ses fonctions sans limitations.

Décision

Le syndicat a démontré que, à première vue, la mise à pied technique du plaignant et le refus de le rappeler jusqu'en juin 2021 étaient discriminatoires. L'employeur a adopté une norme générale fondée sur l'absence de déficience ou de handicap comprenant des limitations fonctionnelles comme exigence professionnelle pour être maintenu au travail, et ce, sans égard aux critères objectifs prévus à la convention, soit la compétence et l'ancienneté. Une telle généralité est l'essence de la discrimination que toutes les lois sur les droits de la personne veulent éradiquer. Il n'est pas acceptable, même dans les situations difficiles, voire sans précédent et imprévisibles, que tous les employés souffrant d'une déficience avec limitations fonctionnelles soient retirés en bloc du travail pour cette raison et qu'ils soient privés, sur la base de cette seule caractéristique, de leur droit d'être traités en toute égalité dans l'exercice des droits conventionnels applicables «sans égard à leur capacité réelle d'exercer leurs fonctions». Non seulement l'absence de limitations découlant d'un handicap ou d'une déficience ne peut être une exigence professionnelle justifiée en soi mais, en outre, la contrainte excessive ne peut être présumée. L'analyse doit être individualisée en fonction de chaque situation et les particularités doivent être démontrées au regard du travail exercé, ce que l'employeur a omis de faire en l'espèce. Les autres motifs invoqués par l'employeur pour justifier a posteriori sa décision de mettre à pied le plaignant, alors que, dans les faits, il a procédé de manière générale, ne sont pas appuyés par la preuve. Notamment, la preuve ne révèle aucune mesure en place pour contrôler la vigilance des mécaniciens dans l'exercice de leurs fonctions. C'est le plaignant lui-même qui avait soulevé la question, et ce, avant que la CNESST ne le déclare apte à l'exercice de ses fonctions sur la foi d'expertises, dont au moins une signalait la prise du médicament. Il n'est pas question en l'espèce de minimiser l'importance de la sécurité en ce qui concerne le fonctionnement des avions, mais la prudence ne saurait non plus tout justifier, y compris l'arbitraire. L'employeur ne peut faire valoir que sa décision était fondée sur une norme qui était appliquée à tous et à laquelle le plaignant ne pouvait satisfaire en raison d'une déficience réelle. Il n'a pas été en mesure justifier sa décision de mettre à pied le plaignant jusqu'en juin 2021 par l'incapacité de celui-ci à exercer ses fonctions sans risque pour la sécurité. L'employeur ne pouvait davantage faire valoir la nécessité d'évaluer le plaignant pour le suspendre sans salaire par la suite.