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Contestation du statut de salarié

Le plaignant, un livreur pour une pharmacie, est un salarié et non un entrepreneur indépendant; l'employeur n'ayant pas repoussé la présomption selon laquelle celui-ci avait fait l'objet d'un congédiement en raison de ses absences pour obligations familiales et pour cause de maladie, la plainte (art. 122 L.N.T.) est accueillie et la réintégration est ordonnée.
17 octobre 2024

Intitulé

Awad c. Ekaterine Karaindros et Abdel Hakim Ait-Aoudia, 2024 QCTAT 2517

Juridiction

Tribunal administratif du travail, Division des relations du travail (T.A.T.), Laval

Type d'action

Plainte en vertu de l'article 122 de la Loi sur les normes du travail à l'encontre d'un congédiement — accueillie.

Décision de

Nancy Martel, juge administrative

Date

18 juillet 2024


Décision

Le plaignant occupait le poste de livreur dans une pharmacie — il prétend avoir fait l'objet d'un congédiement déguisé puisque l'employeur ne l'a jamais rappelé au travail après qu'il eut exercé 2 droits prévus à la Loi sur les normes du travail, soit en s'absentant pour remplir des obligations familiales et pour cause de maladie — l'employeur conteste le statut de salarié du plaignant — il soutient aussi qu'il n'a imposé aucune sanction au plaignant étant donné que celui-ci, en omettant de lui remettre les documents médicaux justificatifs requis, avait volontairement abandonné son emploi — en 2020, alors que le plaignant était hospitalisé, son supérieur immédiat lui a trouvé un remplaçant — lors de l'absence visée par le présent litige, c'est son supérieur qui a fait appel à différentes personnes pour pallier la situation — la question des remplacements n'est pas probante pour déterminer le statut de salarié — le plaignant a personnellement fourni sa prestation de travail — cet élément penche donc en faveur de la reconnaissance d'un tel statut — le plaignant recevait une rétribution pour chacune des livraisons effectuées à la demande de la pharmacie — le paiement à la tâche, à l'acte ou au client constitue un salaire — le fait que l'employeur ne fasse pas de déductions fiscales à même les sommes versées ne suffit pas à conclure qu'il ne s'agit pas d'un salaire — l'examen global de la relation entre le plaignant et l'employeur révèle la présence d'un lien de subordination juridique — le plaignant travaillait exclusivement pour la clientèle de la pharmacie, et ce, en son nom — il ne livrait que la marchandise appartenant à celle-ci et n'intervenait d'aucune façon dans la fixation des prix — il collectait l'argent des clients selon les directives données — à la fin de chaque journée, il devait se rapporter au gérant de la succursale et lui remettre la totalité des sommes amassées — la rémunération était établie en fonction d'une somme fixe pour chaque livraison — le plaignant devait atteindre un certain seuil de performance pour voir sa rémunération augmenter — il n'avait pas de chances réelles d'accumuler des profits à proprement parler — il n'a investi aucun capital et, à l'exception des frais liés à l'utilisation de son véhicule personnel, il n'engageait pas d'autres dépenses dans le cadre de ses fonctions — les risques de perte étaient limités — même si son horaire comportait une certaine flexibilité, il devait s'assurer d'effectuer quotidiennement et aux heures déterminées 2 ramassages de la marchandise à livrer — concernant les congés ou les vacances, le plaignant devait donner un avis de 2 semaines et obtenir une autorisation — lors d'une absence pour cause de maladie, on lui demandait de fournir des documents médicaux justificatifs — le plaignant est un entrepreneur dépendant — sa relation avec la pharmacie était caractérisée par un lien de subordination juridique — il était donc un salarié au moment de sa fin d'emploi. Par ailleurs, il n'y a aucun indice laissant croire que le plaignant souhaitait abandonner son emploi — celui-ci a donné une date de retour au travail, a fait un suivi auprès de son supérieur et l'a relancé étant donné son absence de réponse — ce comportement est incompatible avec une intention de démissionner — l'employeur pouvait exiger du plaignant qu'il justifie son absence — l'omission de ce dernier de le faire ne peut lui servir de raccourci pour conclure à une démission — l'employeur a choisi de demeurer silencieux et n'a pas réagi, pas plus qu'il n'a rappelé le plaignant au travail — il a rompu unilatéralement le contrat de travail et lui a imposé un congédiement — dans la soirée du 12 décembre 2021, ce dernier a accompagné sa mère à l'hôpital — elle en est ressortie le 16 décembre suivant, mais il devait demeurer à son chevet le temps que son état se stabilise — parallèlement, il a luimême éprouvé des ennuis de santé — il a dû se soumettre à différentes investigations médicales — il a attendu que ces 2 situations soient maîtrisées avant d'informer l'employeur de son retour au travail, lequel pouvait avoir lieu le 3 janvier 2022 — la durée de cette absence n'a rien de déraisonnable — la théorie de la supercherie ne peut être retenue — la coïncidence pouvait pousser l'employeur à faire des vérifications, ce qu'il n'a pas fait — celuici était en droit de vérifier que la totalité de la période était justifiée par les raisons invoquées — il n'a cependant entrepris aucune démarche pour obtenir les certificats médicaux qu'il allègue avoir exigés — il est demeuré passif et a conclu de cette omission que l'absence était injustifiée — en ne réagissant pas au moment des événements et en n'exigeant aucun engagement sur ce point de la partie plaignante à l'audience, il n'a pas été en mesure de contredire le plaignant ni de soutenir sa thèse de l'absence injustifiée — celui-ci s'est absenté pour une raison familiale et pour cause de maladie — la date de retour au travail était le 3 janvier 2022, mais cela ne s'est jamais concrétisé en raison du congédiement déguisé — la proximité temporelle rendant plausible le fait que la sanction soit liée à l'exercice des droits, il y a lieu de conclure qu'il y a concomitance — la présomption de pratique illégale s'applique — à aucun moment l'aptitude du plaignant à revenir au travail n'a été contestée — au lieu de lui permettre de reprendre son travail, le supérieur a assujetti son retour à la remise de documents médicaux qu'il n'a pas officiellement exigés, prolongeant d'autant l'absence — il n'a envoyé aucun écrit ni n'a requis la présence du plaignant à une date précis — plutôt que de suivre la règle de la progression des sanctions, il a tout simplement laissé aller les choses — le plaignant n'a jamais été informé que, s'il ne fournissait pas des certificats médicaux, son emploi était en jeu — n'eût été cette absence, il y a tout lieu de croire que le plaignant serait toujours en poste — l'employeur n'a pas réussi à repousser la présomption établie au bénéfice du plaignant — le congédiement est annulé et la réintégration est ordonnée.