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Suspension nécessaire pour fins d’enquête

Le Tribunal conclut au caractère raisonnable de la suspension à des fins d'enquête qui a été imposée à un technicien en éducation spécialisée visé par des allégations d'inconduite sexuelle à l'endroit d'une usagère; même si les allégations se sont révélées infondées, cette mesure était nécessaire pour protéger les intérêts de l'employeur et sa clientèle vulnérable.
5 septembre 2024

Intitulé

Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) et Centre intégré de santé et de services sociaux de la Montérégie-Est (CISSS) (David Prud'homme), 2024 QCTA 240

Juridiction

Tribunal d'arbitrage (T.A.)

Type d'action

Grief contestant une suspension aux fins d'une enquête. Rejeté.

Décision de

Me Isabelle Leblanc, arbitre

Date

30 mai 2024


Le plaignant, un technicien en éducation spécialisée, a été suspendu aux fins d'une enquête à la suite d'allégations d'inconduite sexuelle à l'endroit d'une usagère dont les capacités sont limitées par des déficiences physiques et intellectuelles. Après une enquête d'environ 2 semaines, l'employeur a conclu que les allégations n'étaient pas fondées et il a levé la suspension. Le syndicat soutient que l'employeur n'a pas respecté l'article 5.08 de la convention collective nationale en ce qui concerne la procédure préalable à l'imposition d'une mesure administrative. Il estime que la suspension était déraisonnable puisque l'employeur avait tout en sa possession pour décider d'imposer ou non une mesure disciplinaire.

Décision

L'employeur a le fardeau de démontrer les motifs et le caractère raisonnable de sa décision. La preuve révèle que la suspension s'appuyait sur la gravité de la dénonciation, la vulnérabilité de l'usagère et celle de la clientèle, la nature du travail du plaignant, qui implique d'être seul avec la clientèle, ainsi que la procédure habituelle en semblable matière. Le fait que la dénonciation ne mentionnait aucune date ni aucun endroit particulier relativement à la survenance des gestes reprochés ne constituait pas un obstacle à la suspension. L'employeur a toutefois été en mesure d'établir que les faits reprochés sont survenus dans les mois ayant précédé la mesure. Cette mention dans l'avis de suspension, qui s'appuie sur les propos de l'usagère, satisfait à l'exigence de fournir «l'essentiel des faits» établie à l'article 5.08 de la convention collective. Par ailleurs, cette exigence ne signifie pas que l'employeur doive fournir le nom des personnes touchées. Ainsi, le fait que le nom de l'usagère ait été omis dans l'avis de suspension ne contrevient pas à la convention collective. En outre, le plaignant a été le premier avisé des propos rapportés par l'usagère à une employée du centre d'hébergement et de soins de longue durée où elle venait d'être placée et c'est luimême qui a avisé l'employeur. Il n'existait donc aucune ambiguïté quant à la nature des faits ayant mené à la suspension et il appert que le plaignant savait sur quoi porterait l'enquête. Par conséquent, il n'y a pas lieu d'annuler la suspension sur la base de l'article 5.08 de la convention collective.

L'employeur a démontré qu'il avait des motifs raisonnables de retirer provisoirement le plaignant du milieu de travail et que cela était nécessaire pour protéger ses intérêts légitimes. Plusieurs personnes avaient eu connaissance des allégations de l'usagère et l'employeur devait s'assurer de la véracité de celles-ci en menant une enquête. Contrairement aux prétentions du syndicat, l'employeur ne détenait pas toutes les informations requises pour prendre une décision éclairée à ce moment. Vu la nature du travail du plaignant et l'impossibilité de savoir si le signalement ne concernait que l'usagère, une réaffectation au sein de l'établissement ne permettait pas de protéger les intérêts de l'employeur ni, surtout, ceux de sa clientèle. De plus, le Tribunal ne peut souscrire à l'argument syndical suggérant que les allégations étaient sans fondement en raison de la déficience intellectuelle dont l'usagère est atteinte. Des allégations d'inconduite sexuelle ne doivent pas être prises à la légère, et ce, même si le dénonciateur présente des problèmes de santé mentale. Enfin, rien ne permet de remettre en doute les intentions des gestionnaires qui sont intervenus au dossier. Bien que le plaignant ait subi des effets négatifs de sa suspension, la mise en balance des intérêts respectifs militait en faveur de la mesure et le Tribunal conclut à son caractère raisonnable.