lois-et-reglements / jurisprudence

Harcèlement psychologique et criminel : protestation et réadmission

L'employeur n'a pas manqué à ses obligations en matière de prévention du harcèlement psychologique en réadmettant sous certaines conditions, malgré les protestations d'une chargée de cours, une ancienne étudiante qui avait été condamnée pour harcèlement criminel à l'endroit de cette dernière.
17 septembre 2024

Intitulé

Syndicat des chargées et chargés de cours de l'Université de Sherbrooke et Université de Sherbrooke (Isabelle Sirois-Dumont), 2024 QCTA 248

Juridiction

Tribunal d'arbitrage (T.A.)

Type d'action

Grief en matière de harcèlement psychologique. Rejeté. Demande d'anonymisation. Rejetée.

Décision de

Me Huguette April, arbitre

Date

4 juin 2024


Le syndicat conteste la décision de l'employeur, un établissement d'éducation supérieure, de réadmettre sous conditions une étudiante ayant été reconnue coupable il y a quelques années de harcèlement criminel à l'endroit de la plaignante, une chargée de cours. Sans accuser l'employeur d'avoir fait preuve d'une complète passivité, le syndicat soutient qu'il n'a pas pris les mesures appropriées pour prévenir la détresse psychologique que la réintégration de l'étudiante a causé à la victime, au vu notamment des nombreux endroits sur le campus où elles étaient susceptibles de se croiser. Réintégrer l'étudiante dans un tel contexte constituerait une décision abusive et déraisonnable. En défense, l'employeur fait notamment valoir le temps qui s'est écoulé depuis la manifestement du harcèlement, sa politique en matière de harcèlement psychologique, l'absolution conditionnelle dont a bénéficié l'étudiante et la sévérité des mesures d'encadrement prises à son égard. Cette dernière présente pour sa part une demande d'anonymisation.

Décision

Il est difficile de conclure que l'employeur n'a pas tenu compte de la position et des craintes de la plaignante, laquelle s'opposait à toute réinscription de l'étudiante à moins qu'elle ne suive ses cours à distance, ou de retenir que la plaignante n'a pas été consultée. Si le comité ne s'était pas préoccupé de la plaignante et du fait qu'elle était encore affectée, il est permis de croire qu'il aurait accepté la réinscription de l'étudiante sans l'astreindre à des conditions. De plus, la crainte de la plaignante que le retour à l'université de l'étudiante déclenche de nouveau un comportement obsessionnel chez elle ne tient pas compte du fait qu'il s'est écoulé au moins 4 ans depuis les faits, que celle-ci est suivie régulièrement par un psychologue et qu'elle a maintenant une vie familiale. Contrairement à la situation qui avait cours dans Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux et CIUSSS du CentreSud-de-l'Île-de-Montréal (Michèle A. Dupont), (T.A., 2019-06-12), 2019 QCTA 279, SOQUIJ AZ-51604950, 2019EXPT-1304, A.A.S. 2019A-26, la plaignante et l'étudiante n'auront pas à partager des aires communes de façon régulière, bien qu'il puisse arriver qu'elles se côtoient. Il s'agit d'une différence notable. Par ailleurs, on ne peut supposer que l'étudiante n'aurait pas été réadmise ou encore que les conditions imposées auraient été différentes si la plaignante avait été informée du fait qu'elle pouvait déposer une plainte en vertu de la Politique visant à prévenir et à faire cesser le harcèlement. En effet, le renvoi n'est pas automatique. Le principe de la progression des sanctions s'applique même en matière de harcèlement et, en l'espèce, il existe des facteurs atténuants. En somme, l'employeur a rempli son obligation de prévention, laquelle est une obligation de moyens et non de résultat. Il n'avait pas à démontrer qu'il a fait cesser le harcèlement, mais plutôt qu'il a pris de façon probante et raisonnable les moyens à sa disposition pour y arriver. L'arbitre n'a pas à déterminer si les mesures proposées par le syndicat sont préférables à celles adoptées par l'employeur, mais bien si celui-ci a rempli son obligation de prévention. Il s'agit d'une question devant être tranchée en fonction du critère de la personne raisonnable. À cet égard, l'appréciation de la victime elle-même, bien qu'elle ne soit pas dépourvue de pertinence, n'est pas déterminante.

Quant à la demande d'anonymisation, le fait que l'étudiante, en vertu de l'article 730 du Code criminel (C.Cr.), soit réputée ne pas avoir été condamnée et que son dossier ne se trouve pas dans les registres judiciaires ne signifie pas que cette information est confidentielle selon la loi. D'ailleurs, il est expressément prévu, dans la Loi sur les normes du travail, qu'une clause d'amnistie prévoyant le retrait d'une mesure disciplinaire ne peut être invoquée lorsque la mesure disciplinaire a été imposée pour harcèlement. Le législateur n'a pas prévu une exception pour l'article 730 C.Cr. Certes, dans le présent cas, il s'agit d'une étudiante, mais il n'y a pas de raison de conclure à un traitement différent.