Intitulé
McGown et École Peter Hall inc., 2024 QCTAT 1858
Juridiction
Tribunal administratif du travail, Division de la santé et de la sécurité du travail (T.A.T.), Montréal
Type d'action
Contestation par la travailleuse d'une décision relative au lien de causalité. Contestation rejetée. Contestation par la travailleuse d'une décision relative à des questions d'ordre médical. Contestation rejetée. Contestation par la travailleuse d'une décision relative à l'emploi convenable. Contestation rejetée.
Décision de
Danielle Tremblay, juge administrative
Date
24 mai 2024
En novembre 2018, la travailleuse, une technicienne en éducation, a été victime d'un accident du travail ayant notamment entraîné une lésion à son épaule droite lorsqu'elle a été agressée par un élève en crise. La CNESST a refusé de reconnaître que le diagnostic de trouble de l'adaptation avec humeur dépressive posé en décembre 2021 était en relation avec la lésion professionnelle. Faisant suite à l'avis du BEM, elle a déclaré que la lésion professionnelle était consolidée le 10 mars 2022 avec suffisance des soins, une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles. Dans une autre décision, la CNESST a déclaré que la travailleuse était capable d'exercer l'emploi convenable de préposée à l'accueil et aux renseignements ailleurs sur le marché du travail.
Décision
Le trouble de l'adaptation avec humeur dépressive n'est pas relié à la lésion professionnelle. Le Tribunal ne trouve pas d'explications quant à la tardiveté du diagnostic dans les notes cliniques du médecin de la travailleuse afférentes au suivi de la lésion professionnelle. De plus, les notes cliniques concomitantes donnent peu d'informations sur les assises justifiant le diagnostic. Le contenu de l'ensemble des rapports médicaux est tout aussi laconique à cet égard. Par ailleurs, durant l'intégralité du suivi médical lié à la lésion professionnelle, la travailleuse a été en mesure de poursuivre ses études à l'université sans retard ni difficulté notable. À l'audience, cette dernière a actualisé la preuve afférente à son état psychologique en demandant au Tribunal d'en tenir compte. Elle a déposé les notes cliniques d'un professionnel de la santé qui est devenu son médecin de famille à compter d'août 2022. Ce dernier a diagnostiqué un trouble panique et a prescrit des médicaments afin de traiter cette condition. Or, le suivi médical s'est poursuivi uniquement en raison de ce trouble panique.
L'avis du BEM selon lequel la lésion professionnelle était consolidée le 10 mars 2022 avec suffisance des soins et des traitements, une atteinte permanente de 3 % et des limitations fonctionnelles est retenu.
En ce qui concerne la réadaptation professionnelle, les nouvelles dispositions s'appliquent au présent litige puisque tous les faits générateurs de droit sont survenus après le 6 octobre 2022, soit la date à laquelle ces dispositions sont entrées en vigueur. Les modifications faites récemment par le législateur introduisent dans la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) plusieurs principes afférents à l'obligation d'accommodement prévue notamment dans la Charte des droits et libertés de la personne. Suivant l'article 166 LATMP, l'objectif de la réadaptation professionnelle demeure de faciliter la réintégration du travailleur chez l'employeur, dans son emploi ou encore dans un emploi équivalent. On indique aux articles 166 et 170 LATMP que l'accès à un emploi convenable chez l'employeur n'est pour sa part évalué que lorsque ce premier résultat n'est pas réalisable. Cet exercice est maintenant subordonné à des conditions plus exigeantes puisqu'il ne suffit plus à la CNESST de demander à l'employeur s'il est en mesure d'offrir un emploi convenable au travailleur; celle-ci doit désormais le valider. L'article 170.1 LATMP lui accorde le pouvoir ainsi que les moyens d'obtenir auprès de l'employeur les renseignements nécessaires à cette évaluation. Comme le précise l'article 170.2 LATMP, la collaboration de l'employeur à la mise en oeuvre de ces mesures, s'il est en mesure de réintégrer le travailleur au sein de son établissement, n'est susceptible d'être limitée que par l'existence d'une contrainte excessive, qu'il lui faudra démontrer. L'employeur qui ne se conforme pas à ces balises s'expose à une sanction administrative pécuniaire. Suivant le premier alinéa de l'article 170.3 LATMP, tant que le délai de 2 ans pour exercer le droit au retour au travail n'est pas expiré, l'employeur est réputé pouvoir réintégrer le travailleur s'il existe un emploi convenable chez lui. Même une fois ce délai écoulé, l'on doit encore présumer qu'il est capable de réintégrer le travailleur, sous réserve de la démonstration d'une contrainte excessive. Comme l'indiquent les termes choisis au deuxième alinéa de l'article 170.3 LATMP, il s'agit toutefois d'une présomption simple, que l'on peut repousser au moyen d'une preuve prépondérante.
En l'espèce, il n'existe aucune mesure de réadaptation permettant à la travailleuse d'exercer son emploi ou encore un autre équivalent chez l'employeur. La CNESST devait vérifier s'il existait un emploi convenable chez l'employeur avant de considérer les options ailleurs sur le marché du travail. Elle n'a pas procédé de la sorte. La CNESST a plutôt inféré que l'employeur n'était plus en mesure de réintégrer la travailleuse en raison de sa démission, survenue 3 ans plus tôt. Elle semble avoir jugé que la présomption que prévoit le second alinéa de l'article 170.3 LATMP avait été d'emblée repoussée en raison de la démission de la travailleuse, alors que le délai pour son retour au travail était par ailleurs expiré. La jurisprudence antérieure à Québec (Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail) c. Caron (C.S. Can., 2018-02-01), 2018 CSC 3, SOQUIJ AZ-51463650, 2018EXP-396, 2018EXPT-232, [2018] 1 R.C.S. 35, reconnaissait déjà que la démission pouvait justifier de rechercher un emploi convenable ailleurs sur le marché du travail, plutôt que chez l'employeur, une fois le délai lié au droit de retour au travail de 2 ans expiré. Il est aujourd'hui périlleux d'appliquer sans nuance ces principes, particulièrement si l'on tient compte: 1) de la présomption que prévoit le deuxième alinéa du nouvel article 170.3 LATMP, effective même après l'expiration du délai du droit de retour au travail; 2) du fait qu'une telle façon de procéder s'appuie sur un nombre réduit de décisions, de surcroît rédigées avant que la Cour suprême du Canada n'ait rendu Caron; et 3) des avis récents, postérieurs à Caron, beaucoup plus nuancés sur le sujet.
Les faits particuliers du dossier permettent toutefois de conclure que la présomption prévue à l'article 170.3 LATMP a été repoussée et qu'il était approprié de rechercher l'emploi convenable ailleurs sur le marché du travail. La travailleuse, en mettant fin de manière définitive à son lien d'emploi, a libéré son employeur de l'obligation de l'accommoder jusqu'à la contrainte excessive. En effet, la notion d'«employeur» au sens de l'article 2 LATMP ainsi que celle découlant du contrat de travail et dont tient compte la législation afférente aux droits de la personne ne sont plus superposables après une démission. Il faut par conséquent se garder, dans ces circonstances, d'en user de manière indifférenciée et sans nuance. La Cour suprême, dans Caron, signalait d'ailleurs cette différence conceptuelle entre les 2 régimes. Imposer, en dépit de la démission de la travailleuse, à l'ex-employeur d'accommoder celle-ci jusqu'à la contrainte excessive irait à l'encontre de l'intention du législateur. On confirmait d'ailleurs, lors des débats parlementaires, que les nouvelles dispositions applicables en matière de réadaptation professionnelle, particulièrement l'article 170.3 LATMP, ne devraient pas avoir pour effet d'imposer à l'employeur des obligations plus lourdes que celles déjà prévues dans la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles ainsi que dans la législation en matière de droits de la personne. Appliquer la notion d'«obligation d'accommodement raisonnable» à un ex-employeur, alors qu'il n'y est plus tenu, dénature l'essence du contrat de travail sur lequel ce devoir s'appuie, et ce, en lui accordant une portée qu'il n'a pas plus. Il s'agit d'une situation que la Cour suprême, dans Hydro-Québec c. Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d'Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ), (C.S. Can., 2008-07-17), 2008 CSC 43, SOQUIJ AZ-50502617, J.E. 2008-1438, D.T.E. 2008T-607, [2008] 2 R.C.S. 561, assimilait à une contrainte excessive. Cela ne signifie pas pour autant que la détermination de l'emploi convenable, après une démission, devrait toujours s'effectuer ailleurs sur le marché du travail. En effet, comme l'indique le Tribunal dans Ville de Longueuil (service incendie) et Houle (T.A.T., 2022-03-21), 2022 QCTAT 1436, SOQUIJ AZ-51841574, 2022EXPT-1390, paragraphe 20: «[...] la rupture du lien d'emploi ne modifie en rien le processus d'indemnisation et de réadaptation. On doit appliquer la [Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles] comme s'il n'y a pas eu rupture du lien d'emploi.»
En l'espèce, la démission de la travailleuse remontait à plus de 3 ans lorsque la CNESST s'est mise à la recherche de l'emploi convenable. Son droit au retour au travail était alors également expiré depuis 1 an. La CNESST a annoncé aux parties son intention de rechercher ailleurs sur le marché du travail l'emploi convenable sans que celles-ci s'y opposent. Ni la travailleuse ni l'employeur ne considéraient ce résultat comme absurde et ils n'ont pas invoqué non plus de préjudice social ou économique, contrairement à certaines situations décrites dans la jurisprudence. Il en a été ainsi lors de l'audience.
La travailleuse était capable d'effectuer l'emploi convenable déterminé à compter de novembre 2022. Elle s'exprime aisément en anglais et en français et elle a un bon sens de l'organisation. Le Tribunal ne dispose pas d'informations lui permettant de conclure que l'emploi de préposée à l'accueil et aux renseignements n'est pas disponible dans la région de Montréal. Le professionnel de la santé consulté par la travailleuse confirme que cette dernière est en mesure d'effectuer cet emploi puisqu'il respecte ses limitations fonctionnelles.