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Congédiement illégal et fixation d'indemnité

Le fait d'avoir été victime d'un congédiement illégal ne dispense pas un salarié de l'obligation de réduire ses dommages; puisque la requérante n'a pas été suffisamment proactive dans sa recherche d'emploi alors qu'il y avait une pénurie de main-d'oeuvre dans sa région, son indemnité pour perte de salaire et de congé annuel est réduite de 50 %.
11 septembre 2024

Intitulé

Rhorab c. Garderie éducative La Princesse, 2024 QCTAT 2152

Juridiction

Tribunal administratif du travail, Division des relations du travail (T.A.T.), Laurentides

Type d'action

Requête en fixation d'indemnité — accueillie en partie

Décision de

François Caron, juge administratif

Date

21 juin 2024


Décision

la requérante réclame le salaire qu'elle a perdu entre son congédiement, le 11 avril 2022, et le 23 août 2023, date à laquelle le Tribunal a accueilli ses plaintes en vertu des articles 122 et 124 de la Loi sur les normes du travail — le Tribunal retient la prétention de l'employeur selon laquelle la période d'indemnisation doit débuter le 30 mai 2022, soit la date à laquelle la requérante devait retourner au travail à la suite de son congé de maternité — cette dernière n'a subi aucune perte salariale avant cette date et il serait contraire à l'esprit de l'article 15 a) du Code du travail (C.tr.) de l'indemniser à compter du 11 avril 2022 alors qu'elle n'était pas disponible pour travailler — l'employeur soutient que la période d'indemnisation doit se terminer au moment où la requérante a refusé son offre de réintégration du 6 juillet 2022 ou, subsidiairement, celle faite le 19 avril 2023 par l'entremise de la CNESST — cette prétention n'est pas retenue — l'offre du 6 juillet 2022 n'était pas sans condition puisque l'employeur n'entendait pas réintégrer la requérante dans son poste habituel avec les mêmes avantages — une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances ne l'aurait pas acceptée — considérant le litige qui avait cours entre les parties et le fait que l'employeur n'avait pas fourni plus de précisions ou de détails, la requérante était fondée à croire que l'offre du 19 avril 2023 n'était pas sans condition et qu'elle n'était pas non plus différente de l'offre précédente — la période d'indemnisation doit prendre fin le 23 août 2023, soit au moment où la décision au fond a été prononcée.

L'employeur prétend que l'indemnité due à la requérante doit être réduite puisque celle-ci n'a pas respecté son obligation de réduire ses dommages — la requérante affirme qu'elle n'avait pas à s'acquitter d'une telle obligation étant donné qu'elle a été victime d'un congédiement illégal — son argument s'appuie sur une interprétation littérale de l'article 15 a) C.tr. et de l'obiter de la Cour supérieure dans Avanti Coiffure inc. c. Tribunal administratif du travail (C.S., 2020-07-10 (jugement rectifié le 2020-07-14)), 2020 QCCS 2119, SOQUIJ AZ51694279, 2020EXP-1823, 2020EXPT-1294 — le Tribunal ne s'estime pas lié par l'interprétation donnée dans Avanti Coiffure — la jurisprudence majoritaire du Tribunal considère actuellement que l'obligation de réduire ses dommages s'applique à toutes les plaintes pour congédiement, tant en vertu de la Loi sur les normes du travail que du Code du travail — tout en respectant l'autorité des tribunaux supérieurs et en faisant preuve de déférence à leur endroit, le Tribunal peut, dans certaines circonstances et en toute légitimité, adopter une interprétation différente aux fins de l'exercice exclusif de sa compétence d'attribution — ainsi, un salarié victime d'un congédiement sans cause juste et suffisante ou illégal n'est pas dispensé de l'obligation de réduire ses dommages.

La requérante ne s'est pas acquittée de son obligation de réduire ses dommages — même si elle affirme avoir entrepris sa recherche d'emploi à compter de juin 2022, la preuve documentaire au soutien de ses démarches ne commence qu'à compter de la fin du mois d'août 2022 et son témoignage à cet égard est lacunaire — les accusés de réception du site Internet Indeed démontrent que la requérante a transmis 65 candidatures entre août 2022 et août 2023 — il n'est pas possible de déterminer le nombre de candidatures faites par l'intermédiaire du média social Facebook ni les dates où elles ont été transmises — à au moins 1 occasion, la requérante a mentionné à un employeur potentiel qu'elle souhaitait obtenir une rémunération de 19 $ de l'heure — cette exigence et son manque de flexibilité sont étonnants considérant son statut d'éducatrice en garderie non qualifiée et le fait qu'elle n'a jamais obtenu plus de 15 $ de l'heure chez l'employeur — la requérante a raison d'affirmer qu'il ne peut lui être reproché d'avoir posé sa candidature pour des postes qui ne correspondent pas à sa formation ni à son expérience — cependant, le Tribunal estime qu'elle n'a pas été suffisamment proactive dans ses démarches, d'autant moins que le marché de l'emploi lui était plus que favorable — il appert d'un document du ministère de la Famille qu'il y avait 911 postes vacants d'éducateur non qualifié en 2021-2022 et 669 postes en 2022-2023 — en avril 2023, un bulletin du marché du travail pour la région dans laquelle la requérante effectuait l'essentiel de ses recherches indique que 66 postes d'éducatrice étaient offerts par l'intermédiaire du site d'Emploi-Québec — or, elle n'en a postulé aucun pendant cette période — l'employeur demande que l'indemnité due à la requérante soit réduite de 70 %, mais le Tribunal estime qu'il est plus juste et raisonnable de la réduire de 50 % — la même rigueur ne peut être exigée dans le contexte de l'évaluation d'une recherche d'emploi à l'occasion d'une plainte pour pratique interdite — en tenant compte de l'augmentation du salaire minimum à compter du 1er mai 2023, l'indemnité pour perte salariale s'élève à 19 409 $ — l'indemnité de congé annuel est quant à elle de 776 $.

Réf. ant : (T.A.T., 2023-08-23), 2023 QCTAT 3829, SOQUIJ AZ-51962771.