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Exigences inatteignables : congédiement déguisé

Un vendeur de services professionnels a fait l'objet d'un congédiement déguisé; même si le plan d'amélioration de rendement n'a jamais été mis en application, la simple présentation de celui-ci, qui comportait des exigences inatteignables, démontre que l'employeur ne désirait plus être lié par le contrat de travail.
1 août 2024

Intitulé

Teolis c. Dell Canada inc., 2024 QCTAT 1602

Juridiction

Tribunal administratif du travail, Division des relations du travail (T.A.T.), Montréal

Type d'action

Plaintes en vertu des articles 122 et 124 de la Loi sur les normes du travail (L.N.T.) à l'encontre d'un congédiement — accueillies.

Décision de

François Demers, juge administratif

Date

8 mai 2024


Décision

Le plaignant faisait partie de l'équipe de vente de services professionnels — il s'est absenté du travail de juin à novembre 2021 pour des motifs personnels — à son retour au travail, il a été informé qu'il ne ferait plus de ventes directes et qu'il se concentrerait dorénavant sur les ventes de services par l'entremise de revendeurs — en mai 2022, son supérieur lui a imposé un plan d'accompagnement — insatisfait des résultats, il a informé le plaignant, le 8 juillet suivant, qu'il ferait l'objet d'un plan formel d'amélioration du rendement — les parties reconnaissent que ce plan n'a jamais été mis en vigueur — dès sa présentation, elles ont convenu (à la demande du plaignant) de le suspendre afin d'explorer la possibilité d'un départ volontaire en contrepartie du paiement d'une indemnité — la simple présentation du plan de rendement démontre toutefois que l'employeur voulait rendre la situation du plaignant intolérable, ce qui représente une intention manifeste de ne plus être lié par le contrat de travail — ce plan d'une durée de 15 jours ouvrables comportait des exigences invraisemblables et manifestement inatteignables, ce que le Tribunal peut aisément constater même sans une connaissance fine du travailleur — la présentation du plan d'amélioration de rendement n'a pas poussé le plaignant à démissionner ni à accepter une indemnité de départ contre son gré — il demeure toutefois que la simple présentation du plan l'a convaincu d'entreprendre des discussions pour quitter son emploi.

La preuve ne démontre pas que le plaignant a démissionné — l'employeur convient que ce dernier n'a jamais «écrit» qu'il démissionnait — le supérieur admet également que le plaignant ne lui a jamais «dit» qu'il démissionnait — la simple demande de ce dernier qu'on lui présente une offre de séparation n'implique pas une démission — il s'agit de l'exploration d'une possibilité dans le contexte où le plaignant considérait qu'il n'avait aucune chance réelle de succès — au surplus, la séquence des faits contredit la position de l'employeur — l'offre d'indemnité de fin d'emploi a été présentée au plaignant le 11 août 2022 — la mère de ce dernier est décédée le 15 août suivant et il a demandé un congé à l'employeur, ce qui a été accepté — celui-ci reconnaît donc que, le 16 août, le plaignant était encore à son service, car il n'y aurait pas eu lieu d'accorder un congé si, comme il le soutient, le plaignant avait démissionné le 8 juillet — la fin d'emploi du plaignant, le 19 août 2022, résulte de la décision unilatérale de l'employeur — il s'agit d'un congédiement.

Quant à la plainte en vertu de l'article 122 L.N.T, le plaignant est un salarié et 2 des droits invoqués (le dépôt de sa plainte pour congédiement le 15 août 2022 et son absence à partir du 16 août suivant en raison du décès de sa mère) sont concomitants de la fin d'emploi imposée le 19 août 2022 — l'employeur ayant choisi d'invoquer la démission, il ne peut prétendre qu'il a mis fin à l'emploi pour une cause juste et suffisante — les autres causes justes et suffisantes qu'il aurait pu invoquer sont loin d'être convaincantes — la présomption légale n'est pas repoussée — le travailleur a donc été congédié pour un motif illégal — un tel motif ne peut constituer une cause juste et suffisante de congédiement — même en l'absence de la plainte fondée sur l'article 122 L.N.T. et de la conclusion relative à l'illégalité du motif de congédiement, le Tribunal aurait accueilli la seconde plainte en vertu de l'article 124 L.N.T. en analysant l'affaire uniquement dans ce contexte — l'employeur invoque essentiellement des motifs de congédiement administratifs plutôt que disciplinaires fondés sur des problèmes de rendement — il n'a pas démontré qu'il s'était conformé à ses obligations s'il désirait soutenir que la fin d'emploi relevait d'un congédiement administratif — le congédiement est annulé — le plaignant ne désire pas que le Tribunal se prononce sur une ordonnance de réintégration dans le cadre de sa plainte fondée sur l'article 122 L.N.T. — il n'y a donc pas lieu de l'ordonner — il en va de même de la seconde plainte, la réintégration n'étant souhaitée par personne.