Intitulé
CH Champlain-des-Pommetiers et Meija Giraldo, 2024 QCTAT 2384
Juridiction
Tribunal administratif du travail, Division de la santé et de la sécurité du travail (T.A.T.), Yamaska
Type d'action
Contestation par l'employeur d'une décision ayant déclaré que la travailleuse avait subi une lésion professionnelle. Contestation rejetée. Contestation par l'employeur d'une décision relative au lien de causalité. Contestation rejetée. Contestation par la travailleuse d'une décision relative au lien de causalité. Contestation rejetée.
Décision de
Hugues Magnan, juge administratif
Date
5 juillet 2024
La travailleuse occupe un emploi d'infirmière auxiliaire chez l'employeur, un centre d'hébergement et de soins de longue durée. En décembre 2020, un diagnostic de tendinite de la coiffe des rotateurs de l'épaule droite a été posé, lequel a été reconnu par la CNESST à titre de lésion professionnelle. La CNESST a également reconnu le caractère professionnel du diagnostic de déchirure du sus-épineux droit. Elle a cependant déclaré que le diagnostic de bursite sous-acromiale gauche n'était pas relié à la lésion professionnelle. L'instance de révision a confirmé ces décisions. De façon préliminaire, la travailleuse s'oppose au dépôt en preuve de l'expertise médicale complémentaire qui a été produite par le médecin expert de l'employeur.
Décision
Il est vrai que l'expertise médicale complémentaire aurait pu être déposée au Tribunal bien avant la veille de la première audience. Cependant, puisque la travailleuse en avait obtenu une copie avant l'audience, elle a pu le faire lire par son témoin expert et même contreinterroger le médecin expert de l'employeur à propos de son contenu. Il n'y a pas eu de manquements aux règles de justice naturelle. L'objection de la travailleuse est rejetée. L'expertise médicale complémentaire est donc recevable en preuve.
Quant au fond, la preuve révèle une augmentation quantitative et qualitative des tâches de la travailleuse à compter du début de la pandémie de la COVID-19. Ainsi, en raison des absences liées à la COVID-19, des heures se sont ajoutées à l'horaire de travail de la travailleuse à compter du mois de mars 2020, en plus des heures supplémentaires obligatoires. Par ailleurs, en raison des mesures sanitaires en place, celle-ci devait revêtir un équipement de protection avant d'entrer dans les chambres des patients et le retirer ensuite. Même si cela ne prenait que quelques minutes, la procédure devait être effectuée à de nombreuses reprises. L'horaire de travail habituel de la travailleuse a été bouleversé. Les minutes utilisées en lien avec l'équipement de protection devaient être reprises ailleurs. Les tâches reliées aux patients ont donc été effectuées plus rapidement. Cette augmentation de la cadence de travail a fait en sorte que les membres supérieurs de la travailleuse ont subi un stress supplémentaire, ceux-ci étant sollicités dans presque toutes les tâches habituelles. En raison des absences de plusieurs préposés aux bénéficiaires, la travailleuse a dû effectuer beaucoup plus de tâches en lien avec l'alimentation, l'habillement et la toilette des patients, lesquelles s'ajoutaient aux tâches habituelles et étaient accomplies dans un laps de temps plus court. L'augmentation des tâches et l'environnement de travail non optimal constituent dans le présent dossier un événement imprévu et soudain.
Quant à l'existence d'une relation causale entre l'événement imprévu et soudain et les diagnostics de tendinopathie de la coiffe des rotateurs et de déchirure du sus-épineux, il y a lieu de favoriser l'opinion du médecin expert de la travailleuse. Premièrement, à compter de la fin du mois de mars 2020, la cadence de travail habituelle a augmenté. Deuxièmement, la petite taille de la travailleuse fait en sorte que son environnement de travail est non ergonomique. Le chariot de transport est trop élevé, ce qui l'oblige à accomplir avec les membres supérieurs des mouvements impliquant des amplitudes plus importantes. Troisièmement, certaines tâches comportent des facteurs de risque pour la coiffe des rotateurs de l'épaule droite. Un mouvement d'élévation du membre supérieur à plus de 45 degrés pose un risque considérable pour la coiffe des rotateurs. Parmi les tâches effectuées, la pire est le broyage des pilules avec l'«écrase-pilules» manuel. Le mouvement effectué par la travailleuse sollicite l'ensemble de la coiffe des rotateurs. L'utilisation de façon régulière de cet instrument de travail, à compter du mois de septembre 2020, alors que la travailleuse ne pouvait utiliser en alternance l'écrase-pilules électrique, a ajouté une pression supplémentaire sur la coiffe des rotateurs. D'autres tâches comportent aussi des facteurs de risque pour la coiffe des rotateurs de l'épaule, notamment l'utilisation du pichet d'eau. En raison de la petite taille de la travailleuse, le déplacement du chariot de transport requiert une protraction des muscles de l'omoplate dans une position en antéflexion et une abduction des épaules allant de 45 à 60 degrés. Puisqu'il est difficile d'entrer et de sortir du petit local situé à proximité du poste des infirmières avec le chariot, la travailleuse doit effectuer des mouvements de poussée ou de traction avec les membres supérieurs et avec force. En outre, la préparation des mélanges de médicaments broyés et l'aide à l'alimentation des patients alités doivent se faire avec une élévation et une abduction des membres supérieurs. Même si la force n'est pas requise, ces mouvements sollicitent la coiffe des rotateurs et, lorsqu'ils sont effectués, la travailleuse ne repose pas celle-ci. La tâche additionnelle consistant à revêtir et à enlever l'équipement de protection individuelle n'est pas à négliger. Cela implique des mouvements de l'épaule dépassant les 90 degrés. La travailleuse doit aussi attacher ou détacher les jaquettes de protection à 2 endroits avec les mains placées derrière elle. Considérant qu'il y a 24 chambres sous sa responsabilité, que 3 tournées doivent être effectuées chaque jour et que divers autres soins, qui sont fournis durant le même quart de travail, se sont ajoutés depuis la pandémie en raison du manque de préposés aux bénéficiaires, il est évident que le même geste est fréquemment répété. Cette situation et le dépassement important de la hauteur sécuritaire de travail constituent des facteurs de risque, même en l'absence d'une force ou d'une résistance particulière. Lors du retour au travail de la travailleuse à la suite de la consolidation de sa lésion, en 2023, les facteurs de risques les plus importants ont disparu. L'écrase-pilules électrique était disponible, le pichet d'eau utilisé était plus petit, les mesures sanitaires n'étaient plus en place et l'environnement de travail était plus ergonomique. Depuis, la travailleuse a été en mesure d'accomplir son emploi d'infirmière auxiliaire sans difficulté importante, ce qui milite en faveur du lien causal recherché. L'omission de la travailleuse de déclarer aux divers professionnels de la santé la présence de sa condition médicale à l'épaule droite n'est pas suffisamment importante pour nier l'existence de ce lien. Par ailleurs, l'âge de la travailleuse ne peut à lui seul expliquer la gravité de sa condition médicale à l'épaule droite. L'événement imprévu et soudain a rendu symptomatique sa condition personnelle préexistante de tendinopathie de la coiffe des rotateurs à l'épaule droite, laquelle a évolué en une déchirure du sus-épineux droit.
Bien qu'un phénomène de compensation ou de surutilisation d'un membre puisse causer une lésion au membre opposé, la preuve testimoniale et médicale ne va pas dans ce sens. La travailleuse n'a pas témoigné de façon concrète et détaillée sur le fait que, à compter du 15 décembre 2020, elle aurait utilisé de façon importante son membre supérieur gauche pour effectuer ses tâches. La preuve médicale est également muette quant à la présence d'une douleur au membre supérieur gauche avant l'intervention chirurgicale subie par la travailleuse. Elle démontre plutôt que celle-ci a principalement continué à utiliser son membre supérieur droit après le 15 décembre 2020 dans ses activités professionnelles et personnelles. Même si le Tribunal n'est pas lié par l'opinion des experts en ce qui concerne la relation causale, celle-ci est non contredite et elle s'appuie sur la preuve. Il n'y a aucune raison de l'écarter afin de privilégier une preuve circonstancielle incomplète. Quant à l'examen par échographie du 3 octobre 2022 et à l'inscription figurant dans le rapport médical final, ils confirment la probabilité que la bursite sous-acromiale à l'épaule gauche de la travailleuse soit en lien avec un phénomène dégénératif débutant et non avec une surutilisation circonstancielle du membre supérieur gauche. La travailleuse n'a donc pas démontré la relation causale entre le diagnostic de bursite sous-acromiale gauche et la lésion professionnelle.