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Congédiement annulé mais réintégration non ordonnée

La négligence dont a fait preuve le plaignant en jetant au rebut une bicyclette de grande valeur n'était pas suffisamment grave pour permettre à l'employeur de passer outre au principe de la progression des sanctions; le congédiement est annulé, mais la réintégration n'est pas ordonnée étant donné la taille de l'entreprise et la méfiance qui s'est installée entre les parties.
19 août 2024

Intitulé

Dumas c. Bicycles Record inc., 2024 QCTAT 1772

Juridiction

Tribunal administratif du travail, Division des relations du travail (T.A.T.), Québec

Type d'action

Plainte en vertu de l'article 124 de la Loi sur les normes de travail à l'encontre d'un congédiement — accueillie.

Décision de

Lyne Thériault, juge administrative

Date

15 mai 2024


Décision

Le plaignant occupait un emploi de vendeur dans une entreprise spécialisée dans la vente et la réparation de bicyclettes — il soutient avoir fait l'objet d'un congédiement sans cause juste et suffisante à la suite de la mise au rebut d'une bicyclette de grande valeur — l'employeur prétend qu'il était fondé à congédier le plaignant sans avis ni délai en raison de la gravité de la faute — bien que la preuve soit muette à ce sujet, il est probable que, après s'être vu désigner des boîtes par le responsable du quart de travail, le plaignant et son collègue ont cru de bonne foi qu'elles ne contenaient que des rebuts et non une bicyclette de grande valeur — l'employeur prétend que les 2 employés ne pouvaient ignorer qu'ils étaient en train de jeter une bicyclette neuve et qu'ils étaient complices dans la réalisation de ce geste «grossièrement malicieux» — le Tribunal ne peut adhérer à cette thèse — la preuve ne démontre pas de mauvaise foi de la part du plaignant — en plus d'invoquer une forme d'aveuglement volontaire du plaignant et de son collègue, l'employeur accuse ces derniers d'incompétence en soutenant qu'ils devaient vérifier le contenu des boîtes avant de les jeter — or, ils ne l'ont pas fait et ils auraient probablement dû le faire — la version la plus probable est que la boîte contenant la bicyclette était ouverte, qu'elle a été prise pour une boîte de rebuts et qu'elle a été jetée par inadvertance — il s'agit d'une perte importante pour l'entreprise qui relève toutefois d'une malencontreuse erreur, et non d'un acte de pure négligence — une situation semblable a déjà eu lieu avec le responsable du quart de travail et n'a pas entraîné un congédiement — en ce qui concerne la perte causée à l'entreprise, les faits démontrent qu'elle a été compensée à tout le moins en partie par l'assureur — puisqu'on ne peut présumer la mauvaise foi du plaignant et de son collègue, il faut conclure que la faute consiste à ne pas avoir vérifié le contenu de la boîte — les 2 employés ont peut-être cru que le responsable de quart l'avait déjà fait — même si l'on retient qu'ils ont été négligents en ne respectant pas la consigne et en ne vérifiant pas le contenu de la boîte, il demeure qu'il s'agit d'une erreur de jugement qui constitue une faute légère et non de la négligence caractérisée — l'employeur n'a pas interrogé le plaignant, et l'on ignore s'il a questionné le responsable du quart de travail le soir où la bicyclette a été jetée — une faute, même grave, ne soustrait pas un employeur à son obligation de mener une enquête sérieuse et de laisser au salarié l'occasion de donner sa version des faits — l'employeur ne s'est pas déchargé de son fardeau de démontrer que la faute était suffisamment grave pour congédier le plaignant sans respecter le principe de la progression des sanctions — il s'agit d'un congédiement sans cause juste et suffisante — le congédiement est annulé — l'allégation des parties selon laquelle la réintégration est impossible vu la petite taille de l'entreprise est, à elle seule, insuffisante — toutefois, si on la jumelle aux autres arguments des parties, aux circonstances de la fin d'emploi, au rôle joué par le responsable du quart de travail ainsi qu'au fait que le plaignant relève directement de l'un des propriétaires et qu'il a des interactions quotidiennes avec lui et le responsable, il semble inconcevable que ces personnes puissent de nouveau collaborer et avoir des relations professionnelles harmonieuses — la méfiance s'est installée de part et d'autre — il n'y a pas lieu d'ordonner la réintégration du plaignant.