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Reconsidérer une décision à la suite d’une plainte anonyme

La CNESST n'était pas fondée à reconsidérer sa décision ayant déclaré que la travailleuse avait subi une lésion professionnelle; contrairement aux conclusions retenues par l'enquêteuse que la CNESST avait mandatée à la suite d'une dénonciation anonyme, la preuve ne démontre aucune conduite frauduleuse de la part de la travailleuse.
16 juillet 2024

Intitulé

Braham et Garderie Bel Agir inc., 2024 QCTAT 1657

Juridiction

Tribunal administratif du travail, Division de la santé et de la sécurité du travail (T.A.T.), Montréal

Type d'action

Contestation par la travailleuse d'une décision relative à la reconsidération d'une décision ayant déclaré qu'elle avait subi une lésion professionnelle. Contestation accueillie.

Décision de

Michel Larouche, juge administratif

Date

8 mai 2024


La travailleuse a produit une réclamation après avoir fait une chute dans le stationnement de la garderie où elle travaille. La CNESST a accepté sa réclamation. À la suite d'une dénonciation anonyme, la CNESST a entrepris une enquête pour vérifier si l'accident était effectivement survenu dans le stationnement de l'employeur et si la travailleuse avait réellement été en arrêt de travail pendant toute la période où elle a été indemnisée. Au terme de son enquête, la CNESST a reconsidéré sa décision d'admissibilité et a réclamé à la travailleuse la somme de 28 277,25 $ à titre d'indemnité reçue sans droit, estimant qu'elle l'avait été de manière frauduleuse. L'instance de révision a confirmé cette décision.

Décision

La jurisprudence enseigne que le lieu où survient un événement est l'un des éléments essentiels à prendre en considération lorsqu'il s'agit d'apprécier si un accident de départ ou d'arrivée revêt le caractère de lésion professionnelle. En l'espèce, le rapport d'enquête a été signé en date du 6 novembre 2018. La décision de reconsidération a été rendue le 90e jour suivant ce rapport, soit le 4 février 2019. Le délai prévu à l'article 365 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles est respecté. Les conditions d'ouverture à la reconsidération sont remplies. Par ailleurs, l'enquête réalisée par la CNESST a été menée 1 an 1/2 après la survenance de la lésion. Bien que la dénonciation anonyme ait été reçue en janvier 2018, ce n'est qu'en septembre 2018 que le premier témoin a été rencontré. Un tel délai peut entraîner une imprécision dans les informations recueillies lorsqu'elles reposent sur la seule mémoire des personnes rencontrées. L'une des allégations contenues à la dénonciation anonyme s'avère être sans fondement. Il s'agit de celle voulant que la travailleuse, de concert avec l'employeur, ait gonflé son revenu afin de bénéficier de prestations supérieures à celles auxquelles elle avait droit. L'enquêteuse mandatée par la CNESST a rencontré l'employeur et la travailleuse. Elle ne leur a posé aucune question concernant la rémunération de la travailleuse. Elle n'a donc pas pu obtenir les éclaircissements dont le Tribunal a bénéficié. Selon la travailleuse, la dénonciation anonyme était un acte de vengeance à son égard. Le Tribunal n'écarte pas cette possibilité. La CNESST reproche également à la travailleuse d'avoir reçu une rémunération de l'employeur avant son retour graduel au travail. C'est pourtant la travailleuse qui a transmis à la CNESST cette information. La travailleuse a fourni à la CNESST de son propre chef les relevés de paie antérieurs à la date à laquelle elle déclarait avoir repris le travail de manière progressive. Le Tribunal n'y voit pas là une manoeuvre frauduleuse. L'enquêteuse a conclu que la chute était survenue au domicile de la travailleuse et que cette dernière avait continué à travailler pour l'employeur, lequel avait artificiellement gonflé son salaire. Selon elle, la travailleuse n'a pas subi de lésion professionnelle et elle était de mauvaise foi. Elle considère que la travailleuse a menti pour frauder la CNESST. C'est sur la base de cette dénonciation anonyme et de l'enquête que la CNESST a reconsidéré la décision d'admissibilité. Le Tribunal ne retient pas la conclusion de l'enquêteuse ni, de ce fait, celle de la CNESST. La preuve administrée ne permet pas de repousser la présomption de bonne foi dont jouit la travailleuse. La conclusion voulant que la chute soit survenue au domicile de la travailleuse découle d'une dénonciation anonyme dont certains éléments sont trompeurs. De même, la conclusion de l'enquêteuse est basée sur des extrapolations de faits et sa perception de la crédibilité de la travailleuse. Elle a dirigé les entrevues qu'elle a réalisées en suggérant les réponses aux témoins rencontrés. Elle a omis de tenir compte des éléments favorables à la version de la travailleuse et a tiré des conclusions à partir d'éléments non concluants. La preuve administrée de même que celle qui n'a pas été administrée par la CNESST amène le Tribunal à ne pas retenir cette thèse. La preuve d'une conduite frauduleuse n'a pas été faite de manière prépondérante, de sorte que le Tribunal reconduit la décision initiale de la CNESST reconnaissant que la travailleuse a subi une lésion professionnelle et qu'elle avait droit aux prestations prévues à la loi. Le surpayé n'a plus de raison d'être. La décision en reconsidération est annulée.