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Des maladresses ou impairs ne constituent pas des conduites vexatoires

Le syndicat n'a pas démontré qu'un gestionnaire du Centre universitaire de santé McGill s'était livré à du harcèlement psychologique ou à des actes d'incivilité envers 14 ergothérapeutes pendant la période de 2 ans visée par le grief; les quelques maladresses ou impairs commis par celui-ci dans ses relations avec les salariées ne constituaient pas des conduites vexatoires.
22 juillet 2024

Intitulé

Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) et Centre universitaire de santé McGill (CUSM) (grief syndical), 2024 QCTA 175

Juridiction

Tribunal d'arbitrage (T.A.)

Type d'action

Grief syndical pour harcèlement psychologique. Rejeté.

Décision de

Me Yves Saint-André, arbitre

Date

25 avril 2024


Plusieurs ergothérapeutes travaillant au centre d'activités d'ergothérapie du Centre universitaire de santé McGill (CUSM) soutiennent avoir été victimes de harcèlement psychologique et d'incivilités de la part de leur gestionnaire entre 2014 et janvier 2021. Au moyen de son grief du 18 janvier 2019, le syndicat a dénoncé la situation de violence psychologique ainsi que l'omission de l'employeur d'assurer un environnement de travail exempt de harcèlement psychologique. Ce dernier soutient qu'il y a prescription à l'égard des événements allégués antérieurs au 18 janvier 2017 et que les faits postérieurs au grief sont irrecevables. Il s'oppose par ailleurs aux allégations du syndicat et considère avoir fait preuve de diligence en vue de prévenir toute manifestation de harcèlement psychologique.

Décision

Le syndicat prétend que le comportement du gestionnaire s'inscrit dans un continuum factuel et que les faits antérieurs au délai de 2 ans ayant précédé la dernière manifestation de harcèlement (art. 123.7 de la Loi sur les normes du travail) sont pertinents. Puisque les périodes diffèrent selon la salariée visée, il faut analyser la situation individuelle de chacune des ergothérapeutes afin de déterminer s'il y a prescription. L'objection de l'employeur doit être résolue selon une approche individualisée qui doit tenir compte des manifestations de harcèlement démontrées pendant la période de 2 ans ayant précédé le dépôt du grief. Les faits postérieurs peuvent permettre d'apprécier la situation qui existait au moment du dépôt, mais les nouvelles sources de plaintes postérieures à celui-ci ne permettent pas d'établir rétrospectivement du harcèlement psychologique pour la période de 2 ans en cause. Il s'agit de nouveaux faits générateurs de droit qui doivent faire l'objet d'un nouveau grief en conformité avec la convention collective. Dans le cas de l'incivilité, l'article 11.02 de la convention collective prévoit que la prescription est de 60 jours à compter de la connaissance des faits.

Sur le fond, les reproches des 14 ergothérapeutes à l'égard du gestionnaire font état d'un manque d'écoute, d'une attitude désinvolte et conflictuelle, de moqueries et de propos dénigrants, de manipulation, d'une pression indue exercée afin qu'elles effectuent un travail quantitatif au mépris de la qualité et de leurs obligations déontologiques ainsi que d'une attitude misogyne, paternaliste et accusatrice. Plusieurs des affirmations des ergothérapeutes sont vagues, imprécises et non documentées et ne comportent aucun élément démontrant une conduite vexatoire. Dans un cas, la perception subjective d'une ergothérapeute qui attribue une mauvaise intention au gestionnaire en lien avec une remarque faite à son retour d'un congé de maladie ne permet pas de conclure à une conduite vexatoire. En outre, le contrôle de la prestation de travail fait partie intégrante des droits de direction et ne constitue pas du harcèlement psychologique de la part du gestionnaire. En somme, seuls 3 incidents rapportés permettent de conclure que le gestionnaire a commis une maladresse ou un impair dans les propos qu'il a tenus dans le contexte de ses relations avec les ergothérapeutes. Dans les 2 premiers cas, ce dernier s'est excusé dans les jours ayant suivi les incidents et ses excuses ont été acceptées et jugées sincères. Dans le dernier cas, le commentaire du gestionnaire en lien avec le rendement d'une ergothérapeute était certes déplacé, mais il doit être situé dans le contexte d'une situation tendue où même ce dernier pouvait avoir de la difficulté à maîtriser ses émotions. Ces 3 incidents étaient isolés et ne permettent pas de conclure à une manifestation de harcèlement psychologique, d'autant moins que les 2 derniers incidents se sont produits après le dépôt du grief.

De surcroît, le Tribunal estime que l'employeur s'est entièrement acquitté de son obligation de prévenir et de faire cesser le harcèlement lorsque le syndicat lui a indiqué que des allégations avaient été formulées à l'endroit du gestionnaire. Des ressources considérables ont été déployées dès 2016, l'employeur ayant notamment confié à une conseillère en développement organisationnel le mandat de déterminer des pistes de solutions pour améliorer le climat de travail au sein de l'équipe. Après le dépôt du grief, l'employeur a également fait appel à un enquêteur externe. Le Tribunal constate que l'employeur n'a pas ménagé ses efforts pour prévenir le harcèlement en dépit du fait que les allégations n'étaient pas fondées.