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Conduite abusive et processus d'enquête vicié

L'enquête injustifiée lancée par l'employeur relativement à la plaignante, de même que la manière abusive selon laquelle elle a été conduite, constituent une conduite grave et vexatoire qui a porté atteinte à sa dignité et à son intégrité et qui a suscité un milieu de travail néfaste pour elle.
3 juillet 2024

Intitulé

Syndicat du personnel enseignant du campus de Saint-Lawrence et Cégep Champlain - St. Lawrence (Lisa Birch), 2024 QCTA 180

Juridiction

Tribunal d'arbitrage (T.A.)

Type d'action

Griefs pour harcèlement psychologique, conduite abusive et processus d'enquête vicié. Accueillis.

Décision de

Me Julie Blouin, arbitre

Date

1er mai 2024


La plaignante, elle-même une enseignante, était la représentante des enseignants au conseil d'établissement au moment où les pratiques de gouvernance ont été l'objet d'enquêtes, la première ayant été menée par un cabinet externe à la demande de l'employeur et la seconde, par la direction des enquêtes du ministère de l'Enseignement supérieur. C'est dans ce contexte qu'on l'a ensuite avisée qu'elle devait rencontrer un enquêteur, cette fois à titre de salariée, à la suite d'une plainte pour harcèlement psychologique et «mobbing» de la part du comité de direction à son endroit.

Décision

Aucune allégation précise ne visait la plaignante au moment du dépôt de la plainte en question. Ainsi, le Tribunal ne comprend pas pourquoi ni comment la plaignante a été identifiée comme présumée harceleuse. Rien n'explique non plus pourquoi l'employeur a amorcé une enquête sans savoir précisément ce qui était reproché à la plaignante ni qui exactement était à l'origine des reproches. Il n'était pas suffisant pour l'employeur d'informer la plaignante qu'il avait reçu une dénonciation dont certaines allégations la concernaient sans préciser celles-ci. Un processus de plainte en matière de harcèlement psychologique est une démarche sérieuse. Le Tribunal s'explique difficilement que, en l'absence d'une plainte officielle ou, à tout le moins, d'allégations sérieuses, le processus ait été lancé et qu'il ait franchi le seuil de la recevabilité. De ce fait, le mécanisme de plainte a été utilisé incorrectement. La plaignante a été ciblée sur la seule foi de soupçons et de présomptions. Dans un tel contexte, l'employeur a commis un abus d'autorité envers celle-ci, d'une part, en l'identifiant comme présumée harceleuse et, d'autre part, en permettant que l'enquête pour harcèlement soit menée. Son objectif était de découvrir les personnes qui remettaient en question certaines de ses opinions ou de ses décisions, alors qu'il n'était pas en mesure de les identifier au départ ni de cibler 1 seul comportement vexatoire au moment d'entreprendre le processus de plainte. En somme, l'employeur a donné carte blanche à l'enquêteur externe afin d'identifier les personnes qui compliquaient le travail du comité de direction. L'enquête pour harcèlement psychologique concernant la plaignante constitue une conduite grave et vexatoire qui a porté atteinte à la dignité et à l'intégrité de celle-ci, en plus de créer un milieu de travail néfaste pour elle. Le fait de faire appel à une firme externe ne permet pas à l'employeur d'agir n'importe comment ni de procéder à une «chasse aux sorcières». Il est responsable de s'assurer que les droits de tous sont respectés, y compris ceux des présumés harceleurs, et ce, même lorsque la plainte provient d'un cadre. L'employeur doit veiller à l'intégrité du processus à l'égard de tous et en tout temps, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce.

La manière dont s'est déroulé le processus d'enquête est tout aussi déraisonnable. À cet égard, ce n'est que 2 mois après le début de l'enquête, alors qu'elle avait déjà participé à 2 rencontres, que la plaignante a été informée de la nature des accusations et de leur source. Or, la politique de l'employeur accordait à la plaignante le droit d'être rencontrée par l'employeur à partir du moment où la plainte avait été jugée admissible ainsi que celui d'être traitée avec respect et conformément aux règles de l'équité procédurale. De plus, la multiplication des enquêtes était inutile, a fortiori dans la mesure où l'employeur n'avait pas cru bon de donner effet aux recommandations contenues dans le premier rapport. Même une fois l'enquête terminée, ce dernier a tardé à mettre fin au protocole restreignant les communications. En effet, l'interruption de ce protocole plus de 5 mois après la réception du rapport constitue une faute additionnelle de l'employeur et démontre que celui-ci a manqué à ses obligations de prévenir et de faire cesser le harcèlement. À ce moment, il ne pouvait ignorer les conclusions de l'enquête ayant déterminé que la plaignante n'avait harcelé personne.