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Tel est pris qui croyait prendre

L'ancien directeur général d'une municipalité n'a pas démontré avoir fait l'objet de harcèlement psychologique de la part d'élus; au contraire, ce sont plutôt les propos qu'il a tenus envers des employés, la mairesse et des conseillers municipaux qui ont créé un climat de travail malsain.
10 juin 2024

Intitulé

Gravel c. Municipalité de Saint-Alphonse-Rodriguez, 2024 QCTAT 574

Juridiction

Tribunal administratif du travail, Division de la santé et de la sécurité du travail et Division des relations du travail (T.A.T.), Lanaudière

Type d'action

Plaintes en vertu de l'article 267.0.1 du Code municipal du Québec et de l'article 122 de la Loi sur les normes du travail (L.N.T.) à l'encontre d'une destitution — rejetées.

Décision de

Guy Blanchet, juge administratif

Date

20 février 2024


Décision

Le demandeur était directeur général de la Municipalité de Saint-Alphonse-Rodriguez — il a été destitué après qu'une enquête externe menée alors qu'il était absent pour cause de maladie eut révélé qu'il avait eu des comportements allant à l'encontre du code d'éthique et ayant entraîné des répercussions sur les employés et le climat de travail — l'employeur fait état de plusieurs événements survenus à compter du printemps 2018, dont un au cours duquel le demandeur aurait crié contre une employée, qui s'est sentie menacée et s'est réfugiée derrière une chaise — outre le style de gestion autoritaire et dénigrant du demandeur, l'employeur lui reproche d'avoir eu un comportement inadéquat et d'avoir formulé des commentaires désobligeants et irrespectueux envers la mairesse — le demandeur nie les reproches qui lui sont adressés et affirme que l'enquête était un complot ourdi par la mairesse pour mettre fin à son emploi — le Tribunal estime que l'employeur a procédé à une enquête sérieuse après que des employés l'eurent informé de certains événements survenus avec le demandeur — le Tribunal n'a pas constaté de précipitation dans l'enquête ni de mauvaise foi à l'endroit du demandeur — le fait que ce dernier n'ait pas été informé à l'avance des reproches qui lui étaient faits ne vicie pas les démarches effectuées — le demandeur a eu amplement le temps de répondre aux questions de l'enquêteuse, qui a tenu compte de sa version des faits — quant aux reproches de l'employeur, il a été démontré que le demandeur avait souvent des sautes d'humeur, qu'il tenait des propos désobligeants à l'égard de ses employés et que son ton de voix était parfois très élevé — le demandeur utilisait des méthodes des plus contestables afin d'indiquer son insatisfaction envers le travail de ses employées — hausser la voix, crier et traiter une employée d'incompétente dépasse les limites acceptables du droit de direction — il était inapproprié de convoquer des employés syndiqués et des cadres à une même rencontre disciplinaire, tout comme de transmettre une mesure disciplinaire écrite faisant des reproches à 3 personnes différentes, la confidentialité d'une telle mesure étant primordiale — les reproches adressés au demandeur fondaient l'employeur à intervenir en vertu de son obligation d'assurer un milieu de travail sain qui respecte la dignité de ses employés — le Tribunal ne croit pas que l'employeur devait respecter la progression des sanctions en imposant plutôt une suspension au demandeur — le Tribunal n'a constaté aucun regret, remords ou repentir chez ce dernier, qui persiste à affirmer qu'il était entouré d'employés incompétents et que l'enquête était un complot — cette négation des événements qui lui sont reprochés entraîne un très haut risque de récidive.

Plainte en vertu de l'article 123.6 L.N.T. pour harcèlement psychologique — rejetée — le demandeur allègue avoir subi du harcèlement de la part d'élus de la municipalité, et plus particulièrement de la mairesse — il affirme que les élus auraient systématiquement entrepris de miner son autorité en s'adressant directement aux employés et en le tenant à l'écart de communications et d'interventions réalisées auprès de mandataires de la municipalité — même s'il semble y avoir eu un différend quant aux rôles respectifs de chacun, le Tribunal n'y voit pas la manifestation d'une conduite s'apparentant à du harcèlement psychologique — l'utilisation du mot «puéril» par la mairesse dans un courriel adressé au demandeur ne faisait que refléter son insatisfaction en lien avec le refus, voire l'obstination, de ce dernier à ne pas vouloir qu'elle assiste à une rencontre avec une firme d'ingénieurs — un échange de messages texte survenu entre la mairesse et le demandeur quelques jours avant son départ en congé de maladie permet de constater qu'il était insatisfait de la manière dont les choses se déroulaient à la municipalité — sa menace de porter plainte contre la mairesse à la Commission municipale du Québec n'était pas une façon d'atténuer les tensions — l'analyse globale des événements relatés par le demandeur ne permet pas de conclure qu'il a été victime de harcèlement psychologique.

Contestation par le demandeur d'une décision ayant déclaré qu'il n'avait pas subi de lésion professionnelle — rejetée — le demandeur a produit une réclamation pour un diagnostic de trouble de l'adaptation avec humeur anxieuse — la CNESST a refusé sa réclamation — les événements décrits dans la plainte pour harcèlement psychologique n'étaient pas imprévus et soudains — ces événements ne présentaient pas un caractère traumatisant sortant des sphères des relations du travail et ne débordaient pas le cadre habituel, normal ou prévisible du travail — en effet, un directeur général peut s'attendre à des divergences d'opinions avec des élus — le processus d'enquête et les conclusions auxquelles l'employeur est arrivé s'inscrivaient dans un continuum et ne constituaient pas l'exercice abusif de son droit de direction — le demandeur n'a pas démontré l'existence d'un lien de causalité entre ses problèmes psychologiques et les événements allégués — il n'a pas subi de lésion professionnelle.

Plainte en vertu de l'article 122 L.N.T. à l'encontre de mesures de représailles — rejetée — le demandeur est présumé avoir fait l'objet de mesures de représailles en raison de son absence pour cause de maladie — quelques jours après son départ, il a été avisé que le mot de passe de sa boîte de courriels avait été réinitialisé afin que la directrice générale par intérim puisse y avoir accès — cette décision ne constituait pas une mesure de représailles — la décision de l'employeur découlait de l'absence du demandeur, mais elle n'avait pour seul but que de permettre à sa remplaçante d'avoir les outils nécessaires pour accomplir ses fonctions — le demandeur prétend en outre que l'employeur a profité de son absence afin de procéder à une enquête «bidon» visant à trouver des motifs pour mettre fin à son emploi — cette prétention n'est pas retenue — devant des employés qui se plaignaient du comportement du demandeur, l'employeur n'avait d'autre choix que de procéder à une enquête indépendante afin de faire la lumière sur la situation et de respecter ses obligations légales.