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Exercice raisonnable des droits de l’employeur

L'employeur n'a pas exercé raisonnablement ses droits en fermant le dossier d'un opérateur informatique souffrant de problèmes de santé mentale connus, lesquels rendaient difficiles ses communications avec autrui, y compris celles en lien avec ses absences du travail; la fin d'emploi est annulée et la réintégration du plaignant est ordonnée.
11 juin 2024

Intitulé

Syndicat du personnel de bureau, des techniciens et professionnels de l'administration du Centre intégré de santé et de services sociaux du Bas-Saint-Laurent - CSN et Centre intégré de santé et de services sociaux du Bas-Saint-Laurent (grief patronal et grief syndical), 2024 QCTA 117

Juridiction

Tribunal d'arbitrage (T.A.)

Type d'action

Grief contestant une fermeture de dossier. Accueilli en partie. Grief patronal réclamant le remboursement des frais d'annulation d'une expertise médicale. Rejeté.

Décision de

Me Denis Desjardins, arbitre

Date

15 mars 2024


Le plaignant, un opérateur en informatique, s'est absenté du travail à de nombreuses reprises en raison de sa condition psychologique, et il y a souvent eu des délais avant qu'il ne transmette les pièces justificatives à l'employeur, et ce, malgré des rappels. Le 14 mars 2022, l'employeur l'a convoqué à une évaluation médicale prévue le 16 mars en lui précisant que, à défaut de s'y présenter, il serait tenu d'acquitter les frais d'annulation. Le plaignant ayant manqué son rendez-vous sans fournir de motif valable afin de justifier son absence, l'employeur lui a transmis une facture de 557 $. Le 20 mai suivant, il a transmis au plaignant une lettre l'avisant qu'il n'avait remis aucune pièce justificative motivant son absence du travail au-delà du 15 mai et qu'il s'agissait de la quatrième intervention semblable depuis le mois de mars. Le plaignant n'ayant pas donné suite à une autre lettre datée du 27 mai qui lui demandait de justifier son absence, l'employeur a procédé à la fermeture administrative de son dossier d'emploi. Le syndicat soutient que l'employeur a abusé de ses droits en mettant fin à l'emploi du plaignant et qu'il n'a pas tenu compte de l'état de santé de ce dernier, qui souffre notamment d'anxiété généralisée et qui était dans l'impossibilité d'agir pour justifier ses absences.

Décision

L'article 23.24 de la convention collective prévoit que la personne salariée doit aviser l'employeur sans délai lors d'une absence pour cause de maladie et lui soumettre promptement les pièces justificatives requises. Ces exigences ne sont toutefois pas absolues, l'article 23.26 prévoyant que la personne salariée qui n'a pu aviser l'employeur ou soumettre les pièces requises en raison de la nature de sa maladie doit le faire dès que cela est possible. En l'espèce, le plaignant a eu un comportement inconsistant dans ses communications avec l'employeur. Il répondait tardivement aux demandes de ce dernier, lequel a dû lui faire de nombreux rappels. Les documents justificatifs joints aux réponses du plaignant dataient souvent de nombreuses semaines. Or, une telle désorganisation dans le suivi de son dossier d'invalidité n'est pas étrangère à la maladie mentale dont il souffre. L'employeur a été accommodant jusqu'au 20 mai 2022, mais il a fini par fermer le dossier du plaignant et mettre fin à son emploi. Or, il n'a pas démontré qu'il avait une cause juste et suffisante de congédier administrativement le plaignant à compter du 1er juin 2022. Le Tribunal considère que l'employeur n'a pas exercé raisonnablement ses droits de direction en procédant au congédiement administratif du plaignant. L'employeur connaissait la nature de la maladie de son employé, et c'est en toute connaissance de cause qu'il a été accommodant envers lui et qu'il a maintenu le lien d'emploi pendant une certaine période. Aucune preuve ne démontre une amélioration considérable de l'état de santé du plaignant qui aurait pu justifier la mise en application de la mesure annoncée dans la lettre transmise le 27 mai, à savoir le respect des obligations découlant de son contrat de travail et la justification de son absence avant le 31 mai suivant. L'exercice raisonnable des droits de l'employeur nécessitait qu'il continue d'être compréhensif et d'accommoder le plaignant afin que celui-ci fournisse les pièces justificatives de son absence dès qu'il le pouvait, et ce, comme il l'avait fait auparavant. Rien ne démontre qu'un tel accommodement prolongé au bénéfice du plaignant aurait occasionné une contrainte excessive pour l'employeur. Le Tribunal annule la fin d'emploi du plaignant et ordonne sa réintégration.

L'employeur demande au Tribunal d'ordonner le remboursement des frais d'annulation de l'évaluation médicale à laquelle le plaignant a omis de se présenter le 16 mars 2022. Le court délai de 2 jours entre la convocation et l'évaluation est inhabituel, le délai étant généralement de 5 ou 7 jours ouvrables selon les représentants de l'employeur. Le plaignant affirme avoir pris connaissance de la convocation le 15 mars et avoir paniqué. En examinant la situation à la lumière du courant jurisprudentiel fondé sur les exigences de la bonne foi, le Tribunal considère que rien ne démontre que le plaignant n'a pas agi selon ces exigences. Au contraire, sa bonne foi est manifeste dans le courriel qu'il a transmis le jour de l'évaluation à l'agente administrative à la gestion de la présence au travail. Même si l'on applique le courant jurisprudentiel fondé sur la responsabilité civile extracontractuelle, il ressort de la présente affaire que l'évaluation n'a pas eu lieu pour un motif indépendant de la volonté du plaignant, à savoir une convocation transmise très tardivement à une personne souffrant d'anxiété généralisée.