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Droits de la direction

Le déplacement du plaignant dans son ancien secteur d'activités découlait des droits de la direction et ne constituait pas un congédiement déguisé; même en considérant l'effet cumulatif des décisions et des comportements de l'employeur, on ne peut conclure à un congédiement, de sorte que la plainte (art. 124 L.N.T.) est rejetée.
17 juin 2024

Intitulé

Chaput c. Vins et spiritueux Breakthru Canada inc., 2024 QCTAT 928

Juridiction

Tribunal administratif du travail, Division des relations du travail (T.A.T.), Montréal

Type d'action

Plaintes en vertu des articles 122 et 124 de la Loi sur les normes du travail (L.N.T.) — rejetées.

Décision de

Véronique Girard, juge administrative

Date

19 mars 2024


Décision

Le plaignant prétend que l'employeur l'a congédié de façon déguisée, le 23 décembre 2021, en lui retirant son poste de directeur régional des ventes, secteur des détenteurs de permis, qu'il occupait depuis près de 2 ans, pour le réaffecter à son ancien poste de directeur régional des ventes, secteur du détail — il est admis que le plaignant est un salarié et qu'il s'est absenté pour cause de maladie entre le 19 septembre et le 16 décembre 2021 — ce dernier a également dénoncé une situation de harcèlement psychologique — selon l'employeur, considérant que le harcèlement provenait d'une personne qui n'était plus à son service, il n'avait pas d'autorité à son endroit et ne pouvait donc agir pour faire cesser le harcèlement — l'argument de l'employeur n'est pas dénué de fondement — on peut se demander si la présente situation est couverte, en tout ou en partie, par l'obligation de l'employeur d'assurer à ses employés un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique — la demande formulée par le plaignant à l'employeur n'était pas non plus des plus explicites — pour l'application de la présomption légale, le Tribunal n'a cependant pas à déterminer si le droit du plaignant était fondé — il suffit que celui-ci réclame de bonne foi, avec une apparence de droit, le bénéfice de la loi, ce qui est le cas en l'espèce — il ressort de la preuve que le plaignant a fait l'objet d'un déplacement ou d'une mesure de représailles lui donnant ouverture au recours prévu à l'article 122 L.NT. — la théorie de l'employeur, qui invoque un simple changement d'équipe, ne peut être retenue — certes, l'appellation d'emploi et les conditions de travail sont demeurées sensiblement les mêmes, tout comme le salaire, les avantages sociaux et le statut du poste — néanmoins, le plaignant a été muté pour accomplir ses fonctions dans un secteur d'activité distinct de celui au sein duquel il travaillait avant son départ en congé de maladie — un changement lui a été imposé contre son gré par l'employeur, peu importe que l'on parle d'un changement de poste, de secteur d'activité ou d'équipe — ce changement correspond à la définition de «déplacement» — il n'y a toutefois pas de concomitance entre la mesure imposée et les droits exercés — la décision de réaffecter le plaignant à son ancien poste a été prise à la fin d'août, avant que ce dernier n'informe l'employeur du harcèlement subi de la part d'une ex-employée et avant son arrêt de travail pour cause de maladie — le Tribunal ne voit rien de suspect dans le fait que, au moment du départ du plaignant en congé de maladie, le 22 septembre, l'employeur ne lui avait pas encore annoncé le changement qui devait être implanté 10 jours plus tard — les annonces d'une réorganisation ne sont généralement pas effectuées des semaines à l'avance — il était approprié que l'employeur attende le retour du plaignant pour l'aviser du changement et qu'il ne le fasse pas le premier jour de son retour en travail progressif — l'absence de concomitance fait échec à l'application de la présomption légale, mais n'entraîne pas pour autant le rejet du recours — le plaignant n'a toutefois pas démontré que la mesure lui avait été imposée à cause de l'exercice d'un droit résultant de la loi — le Tribunal ne voit aucune raison valable pour laquelle l'employeur tiendrait rigueur au plaignant d'avoir dénoncé du harcèlement et des menaces de la part d'une ex-employée — il n'y a aucune preuve non plus indiquant que l'absence pour cause de maladie a pu influer sur la décision de l'employeur — même si le Tribunal avait conclu à une concomitance entre les droits exercés et le déplacement et si la présomption s'était appliquée, cela n'aurait pas changé l'issue de la plainte, car l'employeur a démontré l'existence d'une autre cause pour justifier le déplacement qui n'est pas de l'ordre d'un prétexte — ce dernier a estimé que le plaignant serait dans de meilleures conditions pour réussir dans son emploi et donc plus utile à l'entreprise dans ses anciennes fonctions de directeur régional des ventes, secteur du détail — cette décision relevait de la prérogative de l'employeur de déterminer l'allocation de ses ressources. Quant à la plainte en vertu de l'article 124 L.N.T., une personne raisonnable se trouvant dans la même situation que le plaignant n'aurait pas considéré qu'il s'agissait d'une modification substantielle à une condition essentielle du contrat de travail — le seul changement au contrat de travail est le secteur d'activité dans lequel le plaignant exerçait ses tâches et ses responsabilités — il s'agissait d'un changement aux conditions de travail qui découlait du pouvoir de direction de l'employeur plutôt que d'une modification au contrat de travail — le plaignant considère par ailleurs que l'effet cumulatif des décisions et des comportements de l'employeur à son égard amènerait une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances à conclure que celui-ci n'entendait plus être lié par le contrat de travail — le processus d'enquête que l'employeur a mené au cours de l'été 2021 n'était pas parfait, mais il ne s'agissait pas d'une enquête expéditive ou faite en violation des droits du plaignant — ce qui contrarie ce dernier et tend à le maintenir dans sa conviction selon laquelle l'employeur cherchait à lui nuire est que l'enquête résultait de la plainte d'une personne ayant travaillé 6 semaines pour l'employeur et dont les comportements ultérieurs permettent de remettre en cause sa crédibilité — l'employeur admet que, n'eût été cette plainte, il n'aurait pas mené d'enquête auprès de l'équipe du plaignant — néanmoins, de son point de vue, les lacunes en matière de communications et de gestion qu'il a retenues au terme de ce processus demeurent, et ce, même si l'on fait abstraction du témoignage de la personne ayant déposé la plainte — le plan d'action mis en place était par ailleurs proportionnel et conforme aux constats de l'employeur — ce qui peut susciter des interrogations, c'est que, avant même que le plaignant n'ait terminé son plan de développement et qu'il n'ait pu démontrer avoir corrigé les comportements qui lui étaient reprochés, l'employeur a décidé de le réaffecter à ses anciennes fonctions — ce dernier n'a toutefois pas exercé ses droits de direction de façon déraisonnable — à la lecture de l'avis d'action corrective et du plan, on constate que les points sur lesquels devait travailler le plaignant relevaient bien plus du savoir-être que d'objectifs précis propres au poste que celui-ci occupait — la décision de l'employeur s'explique par des motifs plausibles — le plaignant a par ailleurs vécu des moments difficiles en raison du harcèlement et des menaces dont il a été victime de la part d'une ex-employée — l'employeur aurait pu démontrer plus d'empathie à son égard, mais le plaignant n'a pas été laissé à lui-même — quant à l'affichage du poste du plaignant durant son absence pour maladie, ce dernier a pu être insécurisé par cette publication, qui ne correspondait pas aux pratiques habituelles de l'entreprise — il n'a cependant pas communiqué avec son supérieur afin de valider ses perceptions — l'employeur aurait pu l'informer avant de faire sa publication — toutefois, comme il s'agissait d'une offre pour un poste contractuel, une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances n'en aurait pas conclu que l'employeur n'entendait plus être lié par le contrat de travail — on peut comprendre la déception du plaignant de ne pas avoir pu conserver le poste qu'il voulait jusqu'à sa retraite, mais il n'a pas été congédié.