Intitulé
Fafoutis c. Technologie de registre Orbinox ltée, 2024 QCTAT 603
Juridiction
Tribunal administratif du travail, Division des relations du travail (T.A.T.), Laval
Type d'action
Fixation d'une indemnité — le 29 janvier 2020, le Tribunal a annulé le congédiement du requérant et a pris acte du fait que celui-ci ne souhaitait pas réintégrer son emploi.
Décision de
François Beaubien, juge administratif
Date
23 février 2024
Décision
en mars 2023, le requérant a toutefois annoncé qu'il demandait alors sa réintégration — il réclame également une indemnité pour le salaire perdu depuis son congédiement, le 11 novembre 2016, des dommages non pécuniaires et le remboursement de divers frais et dépenses — l'employeur prétend que les parties étaient liées par un contrat à durée déterminée qui devait prendre fin le 31 janvier 2017 — selon lui, le calcul de la perte salariale devrait se terminer à cette date — le Tribunal est d'avis que l'intention des parties n'était pas de limiter la durée du contrat à 3 ans — l'entreprise ayant été fondée la veille de l'embauche du requérant, il est illusoire de penser que l'employeur pouvait s'implanter durablement dans un domaine spécialisé en seulement 3 ans et se passer ensuite de ses services — de plus, l'emploi du requérant a pris fin un peu plus de 2 mois avant l'échéance prévue au contrat — l'employeur n'entendait manifestement pas l'aviser dans le délai de 3 mois prévu à la clause de résiliation du contrat et ne pouvait donc plus y mettre fin le 31 janvier 2017 — le Tribunal conclut que le contrat liant les parties n'avait plus de terme et était donc à durée indéterminée — le requérant est en droit de recevoir une indemnité pour perte salariale allant au-delà du 31 janvier 2017, sans toutefois qu'elle se termine à la date de la présente décision — le Tribunal doute de la sincérité du requérant lorsqu'il affirme avoir changé d'idée quant à sa réintégration — le contexte qu'il décrivait à l'époque comme étant invivable n'a pas tellement changé et il travaillerait encore sous les ordres directs du président de l'entreprise, qu'il a qualifié de harceleur — le Tribunal perçoit donc toujours que la réintégration constatée le 29 janvier 2020 est impossible — c'est à cette date que doit cesser le calcul de l'indemnité pour perte salariale.
Le requérant réclame des augmentations salariales et un boni que l'employeur aurait omis de lui payer alors qu'il était à son service — or, la réclamation de sommes dues alors qu'un salarié est encore en poste n'est pas de la compétence du Tribunal, cet aspect relevant plutôt des tribunaux civils — l'employeur affirme que le requérant n'a pas satisfait à son obligation de réduire ses dommages — la formation qu'il a suivie entre mars et août 2017 afin d'améliorer son employabilité ne peut être qualifiée d'équivalente à une démarche de recherche d'emploi — du 30 août 2017 au 29 janvier 2020, le requérant a répondu à une moyenne de 1,76 offre d'emploi par mois et n'a été reçu en entrevue que 2 fois — l'employeur a souligné que ce dernier avait refusé une offre d'emploi nécessitant des déplacements réguliers aux États-Unis ainsi qu'une offre en France — le Tribunal ne croit pas qu'il faille reprocher au requérant de ne pas avoir considéré l'offre d'emploi aux États-Unis — il risquait d'être mis en état d'arrestation dès qu'il se serait présenté à la frontière en raison de contraventions impayées — il avait également de bonnes raisons de ne pas accepter un emploi en France dont la rémunération sous forme de commissions n'était pas garantie — l'employeur n'ayant pas démontré que le requérant aurait pu obtenir un emploi comparable à celui qu'il détenait, il n'y a pas lieu de réduire l'indemnité à laquelle il a droit — déduction faite des revenus gagnés par le requérant et du préavis versé par l'employeur, la perte salariale s'élève à 313 526 $ — à cela s'ajoute des bonis de 6 943 $ — le requérant a également droit à une indemnité pour perte d'emploi équivalant à 2 semaines de salaire pour chacune de ses 6 années de service entre son embauche et la décision ayant constaté l'impossibilité de sa réintégration.
Le requérant réclame 15 000 $ à titre de dommages non pécuniaires — l'employeur a commis la faute de le congédier illégalement en utilisant le prétexte de ses difficultés financières pour se débarrasser de ses services — l'affirmation du requérant voulant qu'il ait été dévasté par la décision de l'employeur, qu'il se soit senti trahi et qu'il ait perdu la confiance qu'il avait en lui n'a pas été contredite — le Tribunal fait droit à sa réclamation — le requérant réclame également 5 000 $ pour abus de droit — il affirme que l'employeur n'a pas été transparent concernant sa situation financière et que cela a créé un retard dans la conduite de l'instance — la réclamation du requérant équivaut à demander que l'employeur soit condamné à lui verser des dommages exemplaires ou punitifs — or, il n'a pas été démontré que l'employeur avait illégalement porté atteinte à un droit qui lui est reconnu par la Charte des droits et libertés de la personne lorsque le plaignant a été congédié — la réclamation pour abus de droit est rejetée.
L'employeur allègue qu'il ne devrait pas être obligé de rembourser les frais juridiques du requérant puisque celui-ci a choisi de faire appel à un avocat de pratique privée alors qu'il pouvait être représenté gratuitement par la CNESST — or, il est reconnu qu'un plaignant a droit à l'avocat de son choix et au remboursement des honoraires qu'il a dû débourser (Zadorozhna c. Ethica Clinical Research Inc./Ethica Recherche Clinique (T.A.T., 2021-05-26), 2021 QCTAT 2518, SOQUIJ AZ-51768654, 2021EXPT-1135) — le Tribunal juge que les sommes de 4 185 $ et 1 932 $ respectivement réclamées pour les frais engagés entre le dépôt de la plainte et la décision au fond et à la suite de celle-ci sont raisonnables et doivent être accordées — l'avocat qui représente le requérant pour la réclamation d'indemnités réclame 105 641 $ pour le travail accompli entre juin 2022 et janvier 2024, en plus de 25 % de l'indemnité qu'il sera ordonné à l'employeur de lui verser — cette demande est déraisonnable — la somme réclamée et les 7 jours d'audience que la présente requête a nécessités paraissent démesurés — il y a lieu d'appliquer le barème de 2 000 $ par jour d'audience et par jour de préparation — le requérant obtient 28 000 $ en remboursement des frais judiciaires engagés pour la présente requête
L'employeur prétend que les intérêts sur les sommes dues ne devraient pas lui être imputés puisque le requérant a refusé ou négligé de faire connaître sa position sur le quantum jusqu'en mars 2023 — ces prétentions ne sont pas retenues — la longueur du délai imputé au requérant est également le fait de l'employeur, qui devait saisir le Tribunal en temps utile s'il jugeait que le requérant tardait à lui faire connaître sa réclamation — le requérant a donc droit au paiement des intérêts sur l'indemnité pour perte salariale, les bonis et les dommages non pécuniaires calculés depuis la date de sa plainte, le 24 décembre 2024 — les intérêts s'élèvent à 127 606 $.